Duel à la petite cuiller

Une aventure entièrement fourbie par les habitués du site yorik.orgfree.com

Chapitre 1: Débuts

Un singe blond sur un orgue, voilà à quoi ressemblait Eva en ce jour de printemps (ou d'été indien) où elle répétait : "Ne me secoue pas, je suis pleine de larmes".

Maupassy sentit immédiatement la pointe d'agacement qu'il commençait à bien connaitre affleurer à la surface de son front. "Descendez de là, Eva, ça ne sert à rien, nous en avons déja discuté mille fois".

Maupassy levait les bras, ses longs bras qui voulaient dire : "Viens, descends, on va manger ces crêpes avant qu'elles ne ressemblent à des heu...de visqueuses feuilles de papier mâché recouvertes de naphataline". Eva, pour especter le scénario, feignit de pianoter des pieds sur l'orgue-canapé, et, très satisfaite de son tour, consentit à se lécher les babines au souvenir de cette pile de crèpes-confiture au sureau, à saupoudrer sans modération de sucrimpalpable.

Maupassy tira de quelques coups secs la manche d'Eva et ils commencèrent a descendre les longues volées d'escaliers monumentaux qui conduisaient à l'Orgue. La gourmandise faisait sur Eva l'effet d'un shoot d'amphétamines. Les cheveux de Maupassy, coiffés à la Prince Charmant, lui claquaient au visage tant la vitesse de la descente était élevée.

Arrivés à table, un puissant courant d'air (insupportable dans ces grandes demeures prétoriennes - ces châteaux, comme dit benoîtement le peuple) faisait frissonner Eva. Pas Maupassy. Eva se confectionna, en guise d'entrée en matière, une épaisse crèpe de son (pas le son du canon, le son au froment, de bien meilleure qualité) agrémentée de bébés calamars farcis. Ce vent. Elle avait la chair de poulpe.

Ensuite, elle passa aux gigots d'agneau frits dans le coulis de framboise, et rehaussés d'une pointe d'Armagnac 1973, une grande année. Elle découpa également de fines tranches de jambon braisé mariné dans le jus d'ananas, afin d'agrémenter la nouvelle crèpe, cette fois de sarrasin, légèrement parfumée au romarin, en hommage à sa grand-mère, native de Douarnenez. La sauce giclait sur son brocart de soie. Maupassy, les joues en feu, n'avait toujours pas touché à son assiette.

Un rot tonitruant interrompa (si, ca se dit) ces agapes. ..."A vos souhaits", répliqua Maupassy, passablement interloqué. Que d'eau a passé sous les thons depuis la Deuxième Révolution, se pinça t'il. Comme tous les milieux deviennent, heu, interlopes, philosopha t'il en saupoudrant de philosophe au foie gras (quelle curieuse coincidence) sa première crèpe salée. Car il existe quantité de crèpes salées, se rappela t'il au souvenir de ce petit estaminet de Damme, fermé en 2462 alors que sa grasse patronne soutenait les estomacs des maquisards flamois dans leur résistance aussi belle qu'inutile. Et que n'abrège-je mes phrases, s'imprima t'il dans le cortex afin d'en faire bonne usance au cas où il lui viendrait l'idée de retracer ses 28 premiers printemps sur cyberlivre. De l'armagnac 1973...que la vie est douce, songea t'il encore en regardant la marine accrochée aux auvents en loupe d'arbre fruitier. Les filtres anti UV se levaient, l'un après l'autre, dans le jardin, cachant la balançoire au fond du champ de framboisiers.

C'est à ce moment précis qu'il l'aperçut, au travers de la haute baie vitrée aux arcs de fer qui ouvrait la salle telle une côte de porc sous le couteau d'un bon cuisiner. Malgré ses petits carreaux aux couleurs de vitrail victorien, elle offrait une large vue sur le domaine privé de la famille Verbuche. "Eva", glissa discrètement Maupassy. "Je pense que quelqu'un nous observe !" "En êtes-vous sûr, mon bon ?" Répliqua la jeune femme d'un ton dubitatif, entre deux bouchées. "Vous savez pourtant bien que le domaine est sous contróle satellite !"

L'adrénaline, la bile, les humeurs, les sucs, le mauvais sang, les phéromones, les graisses, les acides ainsi que les aliments récemment ingérés remontèrent au coeur d'Eva: A travers la fenetre se distinguaient les contours d'une silhouette de fort méchante allure. "Qui va là?" s'exclama Maupassy, alors que son pied cherchait, frénétiquement, la pédale d'appel d'urgence qui se trouvait sous le tapis, exactement sous le milieu de la table.

Que faisait cette pédale sous la table ? Maupassy investiguerait plus tard. La silhouette menaçante, pas tibulaire, mais presque, se figeait dans un grand rire sardonique. Maupssay fit de même, le rire en moins. C'était à nouveau ce gros moustachu suintant l'étoupe de Gardien de la Concorde Civile. Il était énorme, dans son uniforme en toile de sphyr. Il dégorgeait compulsivement un rapport probablement accablant à la centrale sous-marine, ses yeux furetant de plats en plats. Ils étaient faits. Récidive...ce mot planait comme une menace parmi les toiles de maître en istminiac. Ce satané flique disposait des codes d'accès spectraux depuis sa dernière instruction pour consommation de viande animale sauvage. Ils étaient faits. Maupassy appuya sur le bouton bleu de la table XXII en stuc de ronciers. Le bouton bleu. Son conseil advisor aurait un os à ronger...ca lui fera du bien, il semblait morne et abattu, au club, le soir du match planétaire. Il jouerait serré, cette fois. Plus question d'espérer une condamnation d'une petite semaine à nourir à la cuillère les déshérités du Texas, le "Nouveau Sahel", en compagnie de milliardaires malgaches, indiens et chinois. Et ces images atroces de petits texans au ventre gonflé par la malnutrition et la soif, qui revenaient de temps en temps le hanter à la vue d'un chapon aux morilles truffé aux girolles et aux cèpes de Lombardie, arrosé de Barolo 2384...le texas, et ses politiciens véreux, corrompus jusqu'à la couenne, indifférents au sort de ce peuple sacrifié, au climet atroce, à l'aridité record. Maupassy préférait encore servir la tambouille au Jardin d'Acclimatation de Stalingrad, comme Ruppert l'année passée. Ce vieux Ruppert...

Tandis qu'Eva entamait goûlument un plat de sardines fraîches, Maupassy tenta de computer toutes les fuites possibles. Si Ernesto, leur employé, n'avait pas encore chassé l'incongru, c'est qu'il ne le ferait plus. il savait bien que les Gardiens de la Concorde ne venaient jamais seuls... "Laissez tomber cette huileuse poissonade, Eva !" Martela-t-il brusquement. "Nous voilà dans de beaux draps." "Allons, mon amy", fit-elle en relevant à peine la tête. "Pas ici, dans la salle à manger !" Alors qu'elle tendait le bras vers un cruchon de Bordeau enrichi en vitamines D et E, la verrière explosa en éclats. Maupassy comprit immédiatement pourquoi : les Gardiens avaient fait appel à la fameuse Brigade 103 de la Commission Gastrique. Détournement de graisses saturées, détention et consommation de mauvais cholestérol... Ils étaient faits. Tandis qu'on leur lisait leurs droits, la voix à moitié couverte par le bruit des rotors de l'hélicoptère de la Brigade, Maupassy aperçut Ernesto. Il se tenait près de la porte qui menait à la cuisine : l'un des Gardiens s'approcha de lui et lui remit une trousse en cuir synthétique. Ernesto croisa le regard de Maupassy, et lui expliqua tout sans avoir rien à dire.

Maupassy élança alors le bras, tremblant... Sa jambe gauche se fléchit légerement, juste assez pour lui donner une fière et altière pose du jeune dieu grec. Sa main, imploratrice devant le seigneur, s'agittait, s'agittait! "ErnestoooOOOOoooo" fit Maupassy, d'une voix fluette comme le pinson...

Il s'écroula, le cerveau paralysé par le désespoir, dans une position cubique. Eva, l'attention focalisée sur le roti farci au foie gras et légèrement braisé dans une sauce à la gueuze avec une délicate touche de framboises, n'arrivait pas à matérialiser la moindre idée. "Foutus... nous sommes foutus" répétait Maupassy inlassablement tandis que les gardiens vérifiaient les cordes et étudiaient les arbres voisins afin d'en choisir les branches les mieux placées.

Maupassy commença à sanglotter doucement pendant que l'un des hommes le hissait à la branche la plus basse du vieux massif de bégonias que son propre grand-père avait planté là. "Pauvre grand papy", songea-t-il entre ses larmes chaudes. "S'il était encore vivant, il n'aurait jamais permis que tout cela ne se produise." Eva, elle, était couchée dans le gazon, trop occupée à flirter avec la digestion de sa viande naturelle pour se soucier du monde extérieur. Elle rotait silencieusement, candidement souriante, en observant les étoiles. Maupassy la regarda un instant, soulagé de savoir qu'elle mourrait sans s'en rendre compte. "Ma pauvre Eva, tu n'as jamais eu beaucoup de jugeotte", soupira-t-il une dernière fois avant de se retourner lentement vers son boureau. "Ah, vous pouvez être fier de vous !" Eructa-t-il. "Encore un affreux mangeur de chair animale qui ne dérangera plus personne avec ses maniaqueries violentes." "Allons monsieur", cingla l'homme, "ne rendez pas les choses plus compliquées qu'elles ne sont". Eperdu par la répartie du fonctionnaire, Maupassy revint maladroitement à la dernière scène qu'il verrait, face à lui. L'hélicoptère, là-haut, au-dessus du chateau, béant. La baie vitrée, maintenant brisée, comme un tissu qu'on ouvre au fleuret. Et dans l'herbe fraîchement tondue, piétinant alègrement le travail de quinze jardiniers, se trouvaient les hommes de la Brigade, ainsi qu'Ernesto. Ernesto. Ce brave Ernesto. Cette crapule d'Ernesto.

Maupassy s'apprêtait à refermer les yeux pour la dernière fois quand la voix d'Ernesto se fit entendre. "Arrêtez", commanda-t-il. "La femme d'abord". Les gardiens, dont la plupart s'étaient assis dans l'herbe et avaient tiré de leurs sacoches d'étoupe de savoureux cigares cubains afin d'assister au spectacle avec plus de confort, regardèrent ailleurs. "Bons-à-riens!", cracha-t-il. Il se dirigea à pas nerveux de ses petites jambes vers le corps d'Eva et entreprit de le traîner vers l'endroit où Maupassy se trouvait déjà en position.

Eva s'amusait follement. Que cet Ernesto pouvait être taquin. "A taquin, taquin et demi" était la devise de sa famille, tatouée sur son omoplate depuis l'obligation d'affichage des Valeurs. Mais Ernesto avait parfaitement raison. Arrière petit fils d'un affranchi de charleroi, une ville de l'Ancienne Belgique (c'est une salle de concert), il connaissait sur le bout des doigts qui lui restait le code d'Honneur ("donner, c'est donner") et les règlements ancestraux des simulacres d'exécution (par pendaison, par crucifixion pour les crimes des djihadistes, par noyade pour les pyromanes, etc...). Et le cérémonial, l'"étiquette" était claire : "Ladies First", comme disent nos amis d'Outre Manche. C'est après le deuxième mmandat de Sylvester Bush III, marqué par tant de dérapages que même les plus conservateurs des républicains attrapaient la nausée, de Sartre, que la Cour de Justice Internationale, toutes chambres réunies, avait mis fin aux exécutions "avec sang réel", pour les remplacer par d'innocents jeux de rôles, de fraîches petites saynettes dignes de la Commedia dell' Arte, mais qui laisssaient des traces très profondes dans le subconscient des "condamnés", sans parler de leurs plus proches amis, qui se détournaient d'eux, puisqu'ils n'avaient même pas été punis de manière idoine. C'était fort cruel, comme tourments infinis. Les photos de la pendaison factice s'étaleraient dès l'après - midi sur les écrans de chacun de leurs amis, connaissances, collègues, membres des familles alliées et rivales, ....

L'ironie de la situation frappa soudain Maupassy en plein sur le nez, qu'il avait fort délicat. Ernesto, en le vendant de la plus affreuse des façons (non, ce ne sont pas des façons), pourrait finalement s'acheter son déplaceur décapotable. Le donner pour un dépapotable, lui, un maître aimant, et ce pour un cabri au lait, voilà qui était finement joué. Eva ne s'arrêtait pas de s'esclaffer (la fatigue, les nerfs, sans aucun doute). Cela devenait plus qu'agaçant. "Un peu de kalm, Eva" tonna t'il d'une voix de stentor. "C'en est fini de vos jeux. Il va vous falloir vous amender, et pas plus tard que dorénavant" ! Peine perdue. Maupasssy paierait la pension. En plus de l'amende.

Le docteur von Broum s'esclaffait dans son fauteuil en cuir rouge. Il admirait par le truchement de ses écrans l'arrestation de son vieil ennemi, Maupassy l'insolent, Maupassy la raclure! Ernesto, le risible petit insecte avait bien travaillé. von Broum se réjouissait! Il n'y aurait bientôt plus d'embuches sur la route du coeur d'Eva! Ha Ha Haa!

von Broum ne put résister plus longtemps et saisit son micro de bord, lui donna quelques petites tapes, et sur un fond de larsen corrigé immédiatement par les ingénieurs du son, prononça un "un, deux, un, allo, test, test" qui résonna entre les différents haut-parleurs installés sur les hélicoptères qui encadraient la demeure de Maupassy. Tous les visages se tournèrent vers l'Azur.

Depuis plus de vingt-cinq ans, Humboldt von Broum attendait cet instant, jouissif, étincellant, ou il tiendrait enfin Maupassy entre ses doigts. Jamais il n'avait pu oublier ce petit être insolent, et son affreuse manière de prononcer son nom. Jamais, jamais. Mais aujourd'hui serait différent : il pourrait enfin dire à ce pleutre, cette lavette bourgeoise empiffrée de graisse saturées, tout ce qu'il avait pensé sans jamais pouvoir le dire. Tout en bas, il le savait, Maupassy regardait le ciel comme s'il pouvait lui donner la clémence, à lui et à cette petite salope d'Eva. Eva, qui s'était refusée à lui lors de son adolescence, préférant le charme indécent d'un steak-frites à une vie de gloire ainsi peut-être que de beauté. "Ah" lanca-t-il dans le microphone. "Comme il est bon d'avoir votre destin entre les mains."

"Humborg! vous ne nous laisserez donc jamais en paix!" s'écria Maupassy. "Mais je viens justement vous l'apporter, la paix, mon cher Maupassy. A votre AME, plus particulièrement, ah, ah, ah." répondit von Broum."Allons-y Ernesto, il est temps d'en finir avec cette racaille". "SALAUD!". "Allons, Monsieur, calmez-vous, ça ne sert plus à rien, maintenant". "Vous...VOUS, Ernesto! En qui j'avais plaçé tout ma confiance et mon compte-épargne!!! Vous, un traitre!!! Raaaah!". "Ca ne sert à rien de vous débattre, Monsieur, je fais des noeuds solides, j'ai été marinier, vous le savez, je"... A cet instant retentit une voix coupante derrière eux. "Haut les mains."

Ernesto ne bougeait plus d'un cil (qu'il avait fort ras, comme c'était la mode 20 années auparavant) : "Haut les mains", retentit une nouvelle fois, plus métallique encore. "Peau de lapin"...."Peau de lapin"...Ernesto brûlait de répondre "Peau de lapin", ce qui ferait très chic, très décalé, très Movie. Mais il couinait, il n'en menait pas large, et puis il était déjà très occupé (à rendre son calecon long plus lourd et très odoriférant).

Maupassy reprenait la main...qu'il avait fort endolorie, Ernsto l'ayant ficelé comme un saucisson de salsifi. Ernesto...que de souvenirs depuis qu'il avait pris sous son aile (ou la cuisse) ce jeune brésilien un peu fou...la première fois que Maupassy vit Ernesto, à Fortaleza...il se souvient : "Nous étions Eva et moi, en train de nous servir à manger, et c'était de tout en abondance. De la bouillie de farine de maïs et du chou, de la courge cuite, des lardons frits, et on faisait griller des pièces de viande sur tous les feux. Pour qui voulait de la soupe, il suffisait d'aller s'en chercher une portion à la porte de la cuisine. Et l'on but également son content de cachaça, car Joca Ramiro, l'oncle d'Ernesto, ordonna de nous servir tous à volonté - une cachaça de première. Cela avait plu à Maupassy, de voir cette foule de gens, les choses qu'ils faisaient et disaient, la façon dont on pouvait rire, et faire la bringue, ayant tous bien mangé, bu à la régalade. Mais stop. Retour à la réalité. Ernesto, 30 ans plus tard, flageolant sur ses jambes équarries, l'air un peu moins souverain.

Lady Scralett avait attendu le bon moment! Personne n'avait fait attention au petit réduit au fond du jardin. Elle était sortie de sa cachette quand l'infâme Ernesto avait déclenché la dernière phase du plan. Et maintenant, elle avait réussi à se faufiler dans leur dos. Elle pointait son arme, un Derringer 22mm, l'arme préferée des espionnes en combinaison de cuir, parce qu'il pouvait se dissimuler dans un soutien-gorge, ce qui était quand même plus joli qu'une ceinture lourde et encombrante... Le MI5 l'avait contacté il y dix jours exactement, pour lui donner la mission de protéger la vie de M. Maupassy, soi-disant un riche industriel, mais Lady Scralett avait bien l'impression maintenant que ce Maupassy trempait dans des affaires autrement plus louche que la vente de voitures d'occasion sur Oak Bridge... Elle s'adressa à Ernesto en maniant l'accent marseillais à la perfection:"Toi, le loufiat! Tiens tes mains bien en vue compris?" Elle tenait en respect une belle brochette de truands! Assise sur la pelouse, l'air effarée d'une personne qui ne comprends rien à la situation, Eva ouvrait des yeux ronds comme des billes, elle scrutait l'espionne en cuir avec hébêtement... Elle réussit juste à souffler "Maman??"

Tandis qu'elle tenait en joue l'ensemble de la troupe de la Brigade, la jeune femme au service secret de sa Majesté libéra Maupassy d'un geste sur-entraîné. "Occupez-vous le jeune fille", lui souffla-t-elle. Ensuite, elle revint face à Ernesto. Celui-ci avait adopté un teint vermillon cendré, bouillonnant de rage : "Senhora Scraletta", cria-t-il d'une voix à peine retenue. "Je vous ai sous-estimée, depuis notre dernière rencontre." "Tu as raison, le louffiat", lui rétorqua-t-elle de sa voix d'opale en levant le regard vers l'hélicoptère qui tournoyait bruyamment dans le ciel nocturne. "Et rappelles-le à ton parrain, le vieux von Broum." Aussitôt, elle lança son poing sur l'arcade sourcillère du Brésilien. "Bien fait !" Ajouta Maupassy qui tenait Eva par les aisselles. Tandis qu'Ernesto s'écroulait sur le sol, sous le regard éberlué des hommes impuissants de la Brigade, Lady Scralett emmena les deux jeunes gens dans les ombres du taillis d'où elle était sortie quelques instants plus tôt. Dans les hauts-parleurs placés sur l'hélçicoptère, ils purent entendre le gémissement de l'homme auquel ils venaient d'échapper. "Teufel", grinça Humboldt von Broum.

Chapitre 2: La fuite

Scarlett et Maupassy couraient maintenant dans les sous-bois, trainant Eva, l'un par les pieds, l'autre par les cheveux. "Vous ici, Scarlett, c'est merveilleux, je ne sais comment..." chuchota Maupassy entre deux souffles. "Fermez-la, Maupassy" répliqua Scarlett. "Gardez vos politesses et vos stupides finauderies pour vous, ça vaudra mieux". La répartie coupée, ils cheminèrent en silence pendant quelques heures, les os gelés par la nuit d'hiver sans nuages, lorsque tout d'un coup Scarlett s'apercut qu'elle ne tenait en mains que des bottes vides. "Ah ça..." dit-elle en se retournant.

"Fermez - la, Maupassy", singea Maupassy, encore passablement piqué. "Heu...pardon" ajouta t'il aussitôt, le bras replié devant son nez.

Après avoir faussé compagnie à l'Anglaise, Maupassy avait encore traîné la jeune femme dans une direction qui partait à angle droit par rapport à celle qu'ils suivaient précédemment. Au bout d'un certain temps que lui-même n'avait pu estimer, il avait décidé qu'ils étaient suffisament loins. Les bras finalement croisés sur la poitrine, il fit le point et scruta l'horizon. Quelques lumières scintillaient, telles des maisons de lutin. "Mais non pas des maisons de lutin", se corrigea-t-il. "Ce sont des feux follets, voilà". Epuisée d'avoir été traînée sur les chemins rocailleux pendant autant de temps, Eva finit par se relever. "Maupassy", gémit-elle. "Que voulez-vous ?" Lui répondit-il. "J'ai faim, trouves-moi un steak" Maupassy fronça les sourcils, et jeta un oeil à la montre qu'il portait au poignet : "Un steak ! A cette heure !" Il agita alors frénétiquement les bras de bas en haut. "Mais où voulez-vous que je trouve un steak à cette heure-ci ?" Eva, elle aussi, se mit à trembler tout aussi frénétiquement, tandis que son corps l'emmenait dans une valse de Saint-Guy incontrôlée. Maupassy comprit qu'elle était en manque. S'il ne trouvait pas de la viande rapidement, la jeune femme allait lui claquer dans les doigts comme les élastiques qu'il tendait dans sa jeunesse.

Maupassy déposa Eva sur la rocaille et partit au galop. Ses naseaux soufflaient une vapeur blanche de fureur et d'essoufflement. "Après avoir échappé à tous ces dangers, pensait-il, ce serait vraiment trop stupide". Il s'arrêtat soudain. "Mais... ces feux follets... ce sont des maisons de lutin! Sauvé! Je suis sauvé!" "Grand Schtroumpf! Je... quel honneur, je... Attention! elle est énorme! elle va nous submerger!". Il perdit connaissance et s'étala de tout son long.

Chapitre 3: Auvencelle

Lorsqu'il ouvrit difficilement ses yeux embrumés par une chappe de plomb ouateuse, Maupassy ne distingua pas toutes les formes qui l'entouraient. Tout d'abord, il perçut la chaleur de l'âtre crépitante, et ses éclairs de lumière qui frappaient les murs en chaume. Le bois cliquetait doucement sous la combustion, et la pièce était baignée dans une chaleur silencieuse. En s'appuyant sur ses coudes endoloris par sa mauvaise chute, il put voir une table grossière en bois, à laquelle était assise une silhouette informe. Elle était à contre-jour, mais lui demanda néanmoins avec un accent teuton : "Ah, vous êtes réveillé..." "Où suis-je ?" S'exclama Maupassy d'un ton las. "Où est Eva ?" "La petite dame est allongée dans l'autre pièce" Fit l'ombre en indiquant une porte sur sa gauche. "Elle a besoin de repos... Et de viande". Maupassy sursauta. Qui que ce soit, cette personne avait déjà compris. Si elle était malveillante, elle aurait déjà appelé la Brigade. "Ne vous inquiétez pas", reprit-elle en se levant de son siège. "Vous êtes en sécurité, je tiens un petit routier. J'y sers quelques fois des plats défendus." En la regardant plus attentivement, il distingua une femme, vieillie par le temps. Elle sentait la bonne chair passée, et ses joues rouges témoignaient de sa bombance quotidienne. Maupassy se laissa alors retomber en arrière dans la chaise longue qui lui servait de lit. Il avait une couverture de laine animale sur les genoux.

La vieille se retourna et cracha dans l'âtre qui crépitait derrière elle. La scène offrait un cachet bien typique, pensa Maupassy. Il versa ensuite quelques larmes silencieuses à la pensée de la vie tant facile et faste qu'il avait maintenant définitivement perdue. "Nous ne sommes plus que de misérables fugitifs" se lamenta-t-il pour lui-même. "Jamais nous ne nous en sortirons". La vieille interrompit son auto-lamentation par un rot bruyant. "Ils nous appellent des monstres, maintenant" dit-elle, "On peut même plus manger une bonne côtelette en paix"

Une larme coulait lentement le long des nervures de la feuille craquelée qui lui servait de face. Quel parchemin, songea Maupassy. Au bout du chemin, la goutte d'eau salée crépita sur le vieux poelon incandescent...une épaisse tranche de charolais, grossièrement découpée, semblait attendre son heure pour se faire tatouer de stries. La cervelle de Maupassy fonctionnait à plein régime : du Charolais...quelle sauuce ? Pas de sauce, se répondit-il, les narines frémissantes. Pur !!! Avec une seule petite noix de beurre !!! Pas besoin de s'aiguiser les canines, cette lourde pièce semblait onctueuse comme...comme...Maupassy ne trouverait pas. Hypoglicémie, sans doute. gnnnn. Comme...Comme...

Comme Comme Comme Comme Comme INIAAAAAAAAAA, You come and go, You come and gooo- ooooooooooh. Maupassy reprenait (manifestement) du poil de la bête. Il frappa du plat de la main sur ses mamelons chétifs, chétifs, et dit, se relevant sur son séant, l'oeuil dur et décidé, le sourcil pointé sur l'horizon de son avenir, d'une voix de baryton furibond : "Tu n'es pas fini, mon bonhomme ! ". Sur quoi il se rendormit, satisfait, pour un micro sommeil, de dix secondes environ.

Quand il se réveilla, une délicieuse odeur de viande grillée de première qualité embaumait la pièce. "Mettez-vous à table!" cria la vieille, absorbée par les opérations de contrôle des fourneaux. "Vite!". Elle lança une à une les assiettes sur la table en bois rustique.

Il ne s'agissait pas à proprement manger d'"assiettes", mais bien de grossières planches en bois poli par les années et que la plus grasse mais à la fois la plus fine des bombances avait lustré patiemment. Un broc était posé entre les "assiettes". Le couteau était un véritable couteau de boucher, rappelant à Maupassy l'épée que portait son antique armure dans le hall de nuit de feu sa gentilhomière. Le rouge s'annonçait gros et qui tache, il autait probablement la consistance du sang d'Auroch bu à même l'aorte. Maupassy se demandait où il avait déjà vu cette salle à manger. Peut-être dans les Bronzés font du ski, la salle dans ce petit village de montagne dans lequel furent recueillis les protagonistes de ce film de l'Age d'or du cinéma comique, au 19° ou au 20° siècle.

Il leva les yeux au plafond et soupira longuement... "Ah!" fit-il. Il pensait à von Broum, son poing se serrait fébrilement. von Broum l'infâme! von Broum l'inique! von Broum le méchant! von Broum qui avait, après la vague d'obésité qui frappa le monde civilisé au siècle dernier, qui avait soudoyé le pouvoir avec sa clique, qui avait instauré le végétarianisme en secte religieuse et dont les milices bien entraînées pourchassaient les fous qui osaient encore penser à manger de la viande... Même Eva, la fille qui habitait au bout de la rue, et dont von Broum était depuis toujours amoureux, surtout quand papa l'avait puni et qu'il était privé de saucisses-purée-compote au repas le vendredi, et qu'il passait la soirée à regarder Eva par la fenêtre de sa chambre, assis sur un petit tabouret usé, pendant que son papa hurlait et hurlait "Ha! Ha! Ha! qu'elles sont bonnes ces saucisses! Miam! Miam!" Et Eva se promenait sur le trottoir en sautillant comme un petit pinson! von Broum s'essuya la larme qui lui coulait sur sa joue blême. Elle sautillait en mangeant une entrecôte cuite à point, qui dégoulinait de sauce au poivre, en faisant des tâches! Ooooooh les tâches! Les ignobles tâches de graisse poisseuse, gluantes et puantes sur la jolie robe de flanelle blanche, avec un petit liseré bleu au motif marin sur le col! Et le papa de Eva riait! il riait devant son barbecue, en faisant voler ses piques et ses fourches, faisant danser les boudins sur les flammes! Tous les voisins riaient! Ils faisaient des rondes, des cumulets dans l'herbe verte! Et toujours, le papa qui hurlait! hurlait! "Je vais tout manger! Ha! Ha! Ha! Toutes les saucisses!" Le petit von Broum se tenait les oreilles! "Aaarh! Satanés mangeurs de viande!" hurla-t'il les bras levés dans son laboratoire secret. "Damné Maupassy! Tu vas payer pour les autres!!" Dans l'auberge, Maupassy sentit un frisson lui parcourir l'échine dorsale... Il avait, par le truchement inexpliquable des astres et de la néométaphysique préquantique, eu une pensée pour l'infâme... Pour von Broum l'hideux! Il serra le poing en éructant pour lui même: "Damné fou furieux! Je boufferai de la viande si je veux! Chien d'infidèle! Bouffon! Foutbaleur!" La vieille chouette le regardait, assise sur son vieux tabouret usé devant l'âtre. Elle avait bien regardé Maupassy pendant sa légère crise de nerfs, et elle souriait.

"Et si vous me racontiez un peu ce qui vous arrive, mon garçon", lui lança-t-elle en même temps qu'elle remplit son écuelle d'une soupe où, tels des naufragés solitaires, flottaient quelques boulettes de haché. Maupassy observa uninstant la mixture, dont le fumet lui rappelait celui des chicons. Avec un coincement de coeur, il flaira un instant le piège. "Mangez sans crainte, ce n'est pas une de leurs fausses viandes faites de sojas", précisa-t-elle comme si elle avait deviné ses doutes. "Ce n'est pas de toute première qualité, mais vous n'aviez pas réservé..." Maupassy trempa sa cuiller dans la soupe, et gouta. C'était l'un des potages les plus fins qu'il avait pu manger. Une fois satisfait, il s'expliqua à son hôte. "Vous devez savoir qui je suis", commença-t-il fièrement. "Maupassy de Virlevent". "Jamais entendu parler", lui répondit la vieille. Maupassy se sentit passablement vexé, mais il décida de ne rien en montrer. La pauvre dame vivait sans doute recluse dans sa chaumière, sur le bas-côté d'une vieille route provinciale, depuis des années... "Bref", s'ébroua-t-il alors. "Eva et moi, nous fuyons Humboldt von Broum". Les yeux de la vieille chouette s'éclairèrent quand il prononca le nom du tyran. Elle les plissa ensuite de cette façon bien précise qui les fait subitement ressembler à deux citrons dont on a tiré le jus pour en asperger des croquettes aux crevettes. "Aaah, des croquettes aux crevettes", songea d'ailleurs le jeune homme devant une tele réaction. Brusquement, encore, la vieille se leva, et se retourna vers son âtre, dans laquelle elle cracha à trois reprises. Enfin, elle s'appuya du bras droit à la grosse poutre qui surplombait la bouche béante de Vulcain.

"Satané Humboldt!" murmura la vieille dans sa barbe.. "Tu seras donc toujours sur ma route??" La vieile serrait le poing, et Maupassy dont l'estomac commencait à se réveiller à l'odeur de la marmite qui se balancait dans l'âtre, là où la vieille avait craché, et qui bouillonnait, glougloutait des saveurs, et de bouillon, Maupassy ne pouvait s'empêcher de voir ce poing serré et d'imaginer que c'était une horrible vieille pomme fripée, impropre à la confection d'une compote, mais bien propice à une sauce au poivre, avec des morceaux de pommes dedans, comme celle qu'on utiliserait pour oindre un gigot provençais cuit à point, doré comme les blés, sur son lit d'airelles et de petits oignons frits! Maupassy ne se rendait pas compte qu'il bavait éperdûment sur la couverture...

"Héla!" héla la vieille femme. Maupassy ravala sa salive et entreprit tant bien que mal de disperser la bave qu'il avait répandue sur la couverture de brocart. "Mais quels griefs avez-vous donc contre Von Broum?" demanda-t-il pour changer de sujet. "Nous parlerons de tout cela quand votre amie sera réveillée. Il y a des choses importantes que vous devrez savoir" chuchota la vieille. "Pour plus tard...". A ces mots une poterne s'ouvrit dans le fond de la masure. Eva, revetue d'un habit en peaux de bison cousues entre elles, s'avança dans la pièce. "Asseyez-vous tout de suite, ma chère" s'exclama Maupassy, "Vous etes encore très faible!"

La vieille versa quelques louches de soupe fumante dans les assiettes de terre cuite rustiques. "Le vieux von Broum et moi sommes de vieilles connaissances et avons un vieux compte à régler... Je n'ai pas toujours été tenancière, je..." "Mais oui, je vous reconnais, maintenant!" s'écria Maupassy. "N'etes-vous pas Auvencelle Estrechelli, la fameuse actrice politique, plusieurs fois nominée au Congrès?" "C'était bien moi, en effet", sourit-elle d'une bouche édentée "Mais je ne suis plus qu'une pauvre vieille femme maintenant. Mangez." Maupassy et Eva exécutèrent immédiatement son ordre et avalèrent goulument quelques cuillerées de délicieuse soupe à la viande. "Tout cela remonte à bien longtemps maintenant" continua la vieille. "Ma carrière politique était en pleine ascencion grace à mes nombreux films. Von Broum était à l'époque mon conseiller politique, et était très actif dans le commerce de la saucisse". "Von Broum! Dans la saucisse! etes-vous sure de ce que vous dites?" s'exclama Maupassy.

"Bien sûr, s'exclama la vieille chouette, c'était avant le scandale des saucisses au vitriol..." Les trois compères se turent autour de leurs assiètes, ils repensaient aux millions de victimes qu'avait fait cet vague d'empoisonnement jusque maintenant inexpliqué...

Assiettes, corrigea Eva, mutine. "Ach, ein zauzise, kleine filou, arhhh", vitupérait encore Eva, décidément très en forme. Ce devait être son muscle stomacal privé de chair fraîche durant 24 heures, et si vous appréciez l'Histoire, vous vous ramentevrez de ce que le Grand Méchant Loup himself avait souffert d'effets analogues, allant jusqu'à se déguiser en vieille peau pour amuser Boucle d'Or. A quoi le Manque peut mener les êtres. Maupassy n'avait pas le coeur à morigéner Eva. La vieille comprendrait. Elle souriait d'ailleurs au son de l'artisanale imitation d'Eva, qui pensait probablement à Von Broum au moment où elle psalmodia en teuton, éparpillant de la soupe aux quatre coins du revers de smoking de Maupassy. Ce smoking lui ayant servi de pijama et de tenue de camouflage à travers vaux et monts, Maupassy réagit avec fair play. "C'est ca, l'Angleterre", se rengorgeait - il in petto.

Ce repas était à la fois gai, et délicieux. Dieu semblait renaître de ses cendres, sous les marmites. Comme disait ce crétin de Troyes, en des temps immémoriaux, "A tout repas, la faim est la meilleure et la plus piquante des sauces". Chrétien de Troyes, ajouta Maupassy à la fin de sa tirade, scandée à la perfection, et sûr de son effet. "Gna gna gna", rétorqua Eva, plus que manifestement jalouse (selon Maupassy, à tout le moins). Car or Maupassy, nombreux étaient ceux à avoir pensé "gna gna gna". Non ?

Ils mangèrent ensuite tous les trois leur soupe, en silence. On n'entendait dans la pièce que le crépitement du feu, le bouillonnement de la marmite de soupe brulante, le raclement des cuillères sur la terre cuite rustique des assiettes, et les inévitables bruits de bouche décorrents de l'avalement de soupe chaude. Chacun semblait perdu dans ses pensées, quand Eva lacha soudain un tonitruant "Teuffel! Ach, comme zette zoupe est ponne!". Maupassy leva les yeux au ciel. "Ma chère Eva, quand donc predrez-vous enfin cet agaçant accent teut..." "Votre accent!" l'interrompit la vieille. "Mais vous etes allemande, comme le vieux Von Broum! Se pourrait-il que... où etes-vous née au juste?"

J'ai reçu pour prénom Eva, et non Ojust, hilara Eva, et non Clinton. Maupassy jouait des sourcils, l'air "sévère mais juste", mais en vain. Il psalmodia, en dedans de lui-même : "Jai Guru d'Eva Oooooooooom" (Cette peste d'Eva, aaaaargh, en nain d'Hien. Bien Fû).

"Je parle de l'endroit ou vous êtes née, ma petite dame" répondit sèchement la vieille, entre deux crachats lancés dans les flammes. "n'état-ce point par hasard à Grossgrusenslachtenflugensaltz, dans le comté de Baden-Baden?" "C'est bien cela", rétorqua Eva, "c'est extraordinaire, comment le savez-vous?". "Hin hin, maintenant comme par hasard vous l'avez oublié, votre accent, hein?" ricana Maupassy. "Un peu de sérieux mon garçon, l'heure est grave." coupa sèchement l'Ancêtre. "Parlez-nous de votre enfance, jeune fille."

Eva : "J'étais un garçon très doux, très posé, je..." "Eva !!!" éructa Maupassy ! "Voulez-vous..." Eva : Très bien. Je....que dire ? Père était absent, Mère était très stricte, "Um pô de Kalm, Eva", combien de fois n'ai-je entendu cela, jusqu'à l'âge de 4 ans j'ai cru que je m'appelais "Silence". Nous n'étions pas bien riches, je...je me réfigiais dans la lecture, les grands classiques, les grands philosophes, heu...Spirou, Fantasio, Johan et le petit Pirlouit, Blutch et Chesterfield, le chanceux Luke, Monsieur Danny et Tumbler, son compagnon de veillée, Tucquesson...j'ai formé ma Pensée au fil de ses auteurs, mon horreur du communisme vient de là, je pense, je...Maupassy !!!". Maupassy, après s'être retenu plus de 85 secondes au prix d'un effort surhumain, riait comme à Venise, en se gondolant comme jamais, les larmes jaillissant de ses yeux tels des copeaux de bois de la gueule béante d'une scie terne, ou même d'une scie rose, non, d'une scie Tadell, ou d'une scie pour couper les troncs, là, une scie Tronnade. Maupassy, se massant la panse endolorie par les soubresauts, se disait "La Vie ne vaut rien, Non, mais rien ne vaut la Vie"...Quel pur bonheur que de rire comme jamais. Cette sacrée Eva ! Quel sens de l'humour ! A moins que...

"A moins qu'elle n'aie été entrainée à réciter sa leçon comme un bon petit chien-chien!!" pensa Maupassy pour lui-même! Faisant semblant de l'écouter avec attention, et en faisant de temps à l'autre "mouiiii" ou bien "hum hum", Maupassy se leva de son tabouret et, sous l'oeil attentif de la vieille chouette, se rapprocha d'Eva qui continuait à déblatérer ses inepties (car Maupassy savait bien lui que la petite Eva avait grandi à Grossgrusenslachtenflugensaltz, il y avait passé ses vacances étant enfant, avec les prés et les vaches qui faisaient gling-glong, et les culottes tyroliennes qui grattent). Il s'approcha donc, observa le cou de la jeune fille. Oui! il avait bien vu! un fin cable sortait du décolleté d'Eva et montait le long de sa nuque, se perdant ainsi dans ses cheveux blonds. Maupassy approcha sa tête pour mieux voir. "Un cable! ca alors!" se dit-il.. "voyons voir ce que ce petit manège cache!" Et il saisit le câble avec la main droite, et d'un geste violent, en tenant soudainement l'épaule d'Eva, il arracha sèchement le câble. Eva hurla de surprise, et la vielle lacha son brouet aux boulettes qu'elle avait tiré du feu. Maupassy se tenait là, la main levée, et de sa main, pendait un cable finement torsadé au bout duquel était attaché un petit haut-parleur, qui comme si de rien était, continuait à raconter cette jeunesse improbable d'Eva à la place de la jeune fille. Eva, elle regardait le haut-parleur, médusée... Elle n'avait rien remarqué.. Elle avait continué à mangé sa soupe, sans se douter un seul instant que quelqu'un ou quelque chose parlait pour elle... "Eva, avec les années qui avaient passé et a cause du manque de viande, avait vraiment les neurones rétrécis ces temps-ci.." se dit pour lui seul Maupassy. La vieille chouette grommelait quelque chose du genre :"von Broum, je te hais!"...

Comme disait si bien Truman Capote, Eva sentit un rire irrépressible monter en elle, une joyeuse agitation qui semblait envahir la blancheur du ciel d'été étendu devant elle comme une toile vierge sur laquelle elle pouvait dessiner les premiers élans imparables de la liberté. Tout en gardant un visage impassible, elle riait en constatant qu'ils en savaient si peu, les autres, qu'ils ne devinaient rien. La lumière qui étincelait sur "l'argenterie" semblait à la fois stimuler son excitation et lui adresser un avertissement : " Prudence, ma chère. " Mais ailleurs quelqu'un lui murmurait à l'oreille : " Eva, tu peux être fière. Tu es de taille à hisser ta bannière bien haut dans le vent. " Qui lui parlait ainsi, les roses ? Oui, elles parlent, les roses, elles sont la sagesse même, Eva l'avait lu quelque part. (Special Thanks to Truman. Truman, if you read us...).

Elle avait lu aussi cette phrase teintée d'optimisme, cette petite phrase qui aide à vivre, comme un bâton de vieillesse pour Von Broum : "Si tu veux savoir combien de gens te regretteront après ta mort, enfonce ton doigt dans la mer, puis enlève le et contemple le trou. Eva avait pioché ca dans l'Almanach des marins bretons, ou d'un autre Best Seller de ce genre.

Maupassy échangea un long regard avec Auvencelle. D'un commun lever de sourcils, ils s'entendèrent pour ne pas porter l'affaire aux assises. Discrètement, le jeune homme jeta le haut-parleur à ses pieds et l'écrasa vigoureusement.

Délivrée de son appareil auditif, Eva resta silencieuse, le nez plongé dans la soupe. Auvencelle reprit une nouvelle fois sa question : "Parlez-nous de votre jeunesse, ma fille" Et tandis qu'elle se mettait à parler, Maupassy se prit à penser à toutes les années qu'il avait passé en compagnie de la jeune fille. Jamais, au grand jamais, il ne s'était posé la question des relations qu'entretenaient Eva et Humboldt Von Broum. Malgré leur promiscuité, il s'était satisfait de ses plates explications : "Il me fait la cour depuis des mois", lui avait-elle un jour avoué. Et Maupassy, l'idiot de Maupassy, avait pris cela pour argent comptant. Il le découvrait cependant aujourd'hui, Von Broum ne faisait pas seulement la cour à Eva : il avait au contraire construit un gigantesque plan autour de la jeune fille. "Et c'est ce qui s'est passé", conclut celle-ci. "Rien de plus..." Auvencelle s'approcha du jeune couple. "Il est bien plus tard que je ne le pensais", soupira-t-elle. "J'imaginais que nous en aurions encore pour dès années avant que tout cela ne se mette au point." "Quoi donc ?" Demanda Eva. "Oui, quoi donc ?" Rencherit Maupassy.

La vieille peau les regarda avec un mélange de consternation et de pitié. "Il aurait mieux valu que vous ne sachiez rien de tout cela, mais hélas, vous êtes déja mouillés jusqu'au cou... Sachez simplement que cette affaire est bien plus grande, plus cruelle, plus horrible aussi, qu'une simple histoire de saucisses ou de viande... Le secret sur tout ceci a été jusqu'ici gardé dans le plus grand secret. De hauts personnages sont impliqués. Des autorités corrompues. Des sommes colossales débloquées. Et vous, vous qui êtes devenus les pions et la clé involontaire de tout ce jeu." Maupassy et Eva tremblaient de tout leur corps pendant que la vieille scandait son insupportable litanie. "Je ne comprends pas" murmura faiblement Maupassy. "Quel pion? quel jeu?" "Oui, quel jeu?" appuya Eva

Les dieux jettent les dés et ne demandent pas si nous avons envie de jouer, répondit simplement la vieille.

Puis, elle s'assit sur son petit tabouret de bois. Dans cette position, elle ressemblait à une grenouille, voire un petit lapin, avec ses genoux plus hauts que le bassin. Elle soupira, et leva les yeux au plafond : "Ils ne comprennent pas, tu t'en doutes bien..." Maupassy attrapa cette remarque du coin de l'oeil. "Elle parle toute seule", garda-t-il pour lui-même. D'un coup de coude sur le flanc d'Eva, il roula largement des yeux. "La vieille débloque", voulait-il dire, mais la jeune fille n'y prêta pas attention. Car Eva, pour sa part, terminait son bol en raclant, l'air pensif. Soudain, elle demanda : "Maintenant que vous le dites, c'est vrai qu'il avait une étrange façon de me draguer." La vieille dame rabaissa son regard sur la jeune fille. Celle-ci s'expliqua. "Lorsque nous étions plus jeunes, mon père était à la tête de l'un des fleurons de notre fière industrie. Les fameuses raffineries de protéines animales de Grossgrusenslachtenflugensaltz. Le gouvernement les a fait fermer depuis..." Maupassy pouffa. "Et c'est ça qui est drôle ?" Demanda-t-il. "Non", lui lança Eva avec un regard mauvais. "Mais chaque fois que je l'invitais, Humboldt venait avec un appareil de photo. Et il passait plus de temps au-dessus des cuves qu'au-dessus de moi, si vous me permettez..."

Boarf, répliqua Maupassy. Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'on croit, ajouta t'il. Dites, Maupassy, reprit immédiatement Eva, si vous pouviez cesser de nous emberluer avec vos petites citations apprises par coeur et qui vous tiennent lieu d'esprit, cela nous arrangerait singulièrement. En plus, ca n'a parfois absolument rien à voir avec le sujet de la conversation ! Vous avez eu une chance monstre avec la citation de Coelho, là (oui, je sais que c'est de Coelho, non, je n'ai pas lu que les aventures trépidantes du méchant Zorglub), sur les dieux et les dés, maintenant du Rochefoucault avec la sagesse et la folie, alors que même Nana Mouskouri chantait 'La folie serait de ne pas faire de folies", non mais qu'est-ce que vous allez nous sortir maintenant ? Du Saint Thomas d'Aquin ? Du Neruda ? Du Guitry ? Du Oscar Wilde ? Du Corentin CANDI, de Lillois ? Maupassy : Je...mais pas du tout. Je..."Il est des esprits jaloux comme des pies : ils...". Eva : Cessez, Maupassy. Ca pue le Paul Morand et le schnitzel à plein nez. Maupassy : Je...je...(il aspirait l'air comme un poisson tiré hors du lit (de la rivière). Hum...Poursuivez, je vous prie. Je ne vous interromprai plus...(Maupassy fixait le fond de son écuelle vide, comme si le Mystère de la Vie y était révélé). Eva : Bon. Enfin. Je vous remercie, mon ami.

Et si le gouvernement les a fait fermer, toutes ces fermes, toutes ces Majors de l'alimentation, jusqu'au dernier apiculteur amateur, c'est, vous le savez (en regardant la vieille, pas Maupassy, dont l'Etoile avait singulièrement pâli depuis ce dernier quart d'heure), suite au lobbying intense des Van Broum pères et fils et de leurs mornes affidés bouffeurs de pilules nutritives. Le battage médiatique, à base de reportages tronqués, d'études scientifiques dignes de la propagande nazie ou communiste, voire de la délicieuse théorie du Big Bang revue à leur sauce par les fondamentalistes américains tendance Ayatollah et de prévarications (oui, de prévarications), la multiplication des scandales de viandes contaminées (kangourou, poulet, veau, vache, cochon), de ces "maladies" artificiellement montées pour dégoûter les carnivores que nous étions tous alors (maladie de la langue bleue, poulet à la dioxine, vaches folles, tremblante du mouton, poiscaille au plomb et aux hydrocarbures....) tout était bon pour amener, à partir de rien, une toute nouvelle industrie de l'alimentation pour les masses, industrie qui en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, à base de scandales précités et de règlements mondiaux pris prétendument pour la santé des consommateurs, a "séduit" 8 milliards d'habitants, tout en produisant des centaines de nouveaux multimilliardaires devenus la nouvelle caste possédant 75 % des richesses de la terre, l'intégralité des journaux et télévisions, ayant racheté tous les établissements bancaires de renom, les uns après les autres, et ayant un de leurs hommes à la tête de tous les gouvernements qui comptent. Mais le plus grave, depuis l'obligation de ne se nourrir plus que de pilules, est la disparition des tavernes, brasseries, restaurants, même des fast foods, la disparition de l'institution plurimillénaire du repas, et de tout ce y était attaché. Ces saloperies de pilules, hoqueta Eva...Et que je te prennne une bleue (Oméga 3, Magnésium, Iode, Protosels minéraux, dérivés de chair de cabillaud Ogm, le seul poisson pouvant encore être consommé sur terre, la multi continentale de Von Broum disposant de la licence exclusive et du seul brevet au monde permettant de produire ce poisson d'opérette, et pour 500 ans), et que je te bouffe une pilule orange (pamplemousse, orange, citron, poivrons), une pilule brune (protéines génétiquement modifiées - sans cholestérol-)...une bécasse...un ortolan cuit dans son sang, une tranche de foie gras cuit à la confiture de figues....hhhhhh....Tout le monde regardait vers les fourneaux, l'échine encore froide à la pensée de ces satanées pilules, à la mort de la table et du repas...

"Tout cela est horrible, vraiment, horrible..." est tout ce que réussit à dire Maupassy. Eva, dont l'activité cérébrale augmentait à mesure que s'atrophiaient l'imagination et la superbe de son compère, ébauchait déja des raisonnements logiques. "Mais en quoi des gens comme Maupassy et moi représentons une menace pour un tel empire?" demanda-t-elle. "Comme vous y allez, Eva, nous ne sommes pas n'importe qui, tout de même" protesta Maupassy, que personne n'écouta. "Ça, ma petite, c'est ce que nous devrons découvrir" chuchota énigmatiquement la vieille. "Mais il se fait déja bien tard. Nous reparlerons de tout cela demain."

30 minutes plus tard, la maisonnette était silencieuse, les lampes à huile éteintes et seules les dernières braises jetaient encore une faible clarté orange.

Chapitre 4: L'assault

"...ici avec moi...pas prêts...absurde oui..." Eva se réveilla d'un trait. Par la fente de la porte entrouverte, elle percevait la lumière d'une bougie et un chuchotement. Dans la chaise longue à côté du lit, Maupassy ronflait paisiblement.

Eva se leva discrètement, s'emparant de sa couverture pour la jeter sur ses frêles épaules. Elle s'avança à pas feutrés vers la porte et s'appuya sur l'embrasure afin de coller son oreille au plus près. Elle entendait nettement un trifouillis électrique, qui lui rappela les films de guerre que son papy lui montrait, ces films où l'acteur-président mondialement connu, Schwarzenegger IIIème ourdissait des complots contre l'Empire Alquaédien grâce à de vieilles TSF crépitantes. Elle entendait également la vieille qui marmonnait des paroles obscures "Et maintenant, quelques messages personnels... L'herbe ne pousse jamais deux fois au même endroit, je répète, l'herbe ne pousse jamais deux fois au même endroit" Le sang se glaca dans les veines d'Eva. Il fallait agir. Tout de suite..

Primo (Levi) : réveiller ce bon à rien de Maupassy, qui, comme à son habitude, dort en maintenant ses deux poings fermés (quelle drôle d'idée !). Maupassy...Maupassy ! Maupassy : Quin ? Que ? Où...où suis-je...je..."L'on peut fabriquer le plus beau des châteaux avec les pierres qui entravent notre chemin" ? Une bonne pincette plus tard, Maupassy roulait des orbites tel Alcazar, les oreilles dressées, se demandant sur quel pied danser...le gauche ! Ce serait le gauche, trancha Maupassy.

Dans le silence, ils se mirent d'accord pour prendre la fuite. "Après tout", fit Eva avec de nombreux gestes des mains, "nous ne pouvons pas être certains que cette vieille sorcière ne soit pas de mèche avec Von Broum. Elle en sait tellement..." Maupassy approuva et se mit à la recherche de ses souliers qu'Auvencelle lui avait ôté à leur arrivée. Fouinant dans l'obscurité, il s'efforça de ne faire aucun bruit ; las, d'un geste trop peu judicieux du poignet, il heurta un bol de fine céramique qui traînait sous la comode proche de son lit de fortune. "Flûte de zuuute", souffla-t-il en portant la main à sa bouche pour en atténuer le son. Le bol tourna légèrement sur lui-même en émettant une série de courbes sonores qui enveloppèrent toute la pièce. Il apparut au jeune homme que cette fois-ci, c'était la fin. D'un regard subitement vitreux, il vit défiler pendant un bref instant s'ouvrir le cours de l'avenir. Il vit Auvencelle les débusquer, et les noyer dans son immense chaudron en rigolant grassement. Brusquement, Eva le ramena dans le présent grâce à un soufflet sur le sommet du crâne. "Fais un peu attention, nom d'un chien", semblait-t-elle vouloir dire. Et rapidement, Maupassy se mit tout seul d'accord pour conclure que tant pis, il fuierait sans ses souliers.

Lorsqu'ils poussèrent la porte, l'obscurité de la nuit se substitua à celle de la petite pièce, la chaleur du feu en moins. Se regardant l'un l'autre, ils furent pris par l'envie subite de faire demi-tour et d'aller se calefeutrer près de l'âtre crépitante de Mamy Estrechelli. Prenant leur courage à quatre mains, ils s'engagèrent sur le sentier que la lune éclairait faiblement. Tandis qu'ils marchaient prudemment, ils entendirent le sifflement de plusieurs véhicules, et leurs lumières qui s'éfritaient entre les branches des arbres. "Elle nous a donné !" Frappa du poing Maupassy. "Planquons-nous !" Jeta Eva en se vautrant dans le bas-côté. Le jeune homme resta un instant inerte, hésitant à mouiller son costume dans la rosée nocturne. Un instant qui suffit au spot du premier véhicule à le capturer dans son filet de lumière. Bientôt, ils étaient encerclés, maintenus en joue par unne série de jeunes gens sans uniforme.

"Ils viennent de chez Mère-Grand, Chef !" Entendirent-il chuchoter.

"De chez Mère-Grand?" "Absolument!" "En êtes-vous sûr?" "Ils en ont toute l'allure!" "Qu'est-ce qu'on en fait?" "Seul le chef le sait". Eva et Maupassy écoutaient ces chuchotement sans pouvoir distinguer au juste les traits de qui les prononçaient, à cause des projecteurs braqués sur eux. "Nous voilà tombés sur des dingues maintenant. Vite, souriez, Eva", chuchota a son tour Maupassy, montrant ses dents blanches étincelantes dans la lumière des projecteurs. "Continuez, on dirait que ça marche" grinça-t-il sans cesser de sourire. Ils commencèrent à se déplacer lentement vers la droite. Effectivement, les silouhettes armées restaient immobiles. "Qu'est ce qu'ils font?" "Ils ont pêté un boulon" "Pourquoi ils sourient comme ça ces connards?" "Il doit y avoir un lézard"

L'un deux ses saisit d'un porte-voix éléctro-diffuseur à multifréquences Bräun (tm) et lanca d'une voix forte en direction de Maupassy et d'Eva :"Bon les deux guignols! Vous allez cesser ces conneries et venir par ici! Maintenant! Sinon, nous tuons le petit frère!" Maupassy tomba à genoux sur le sol humide et implora en sanglotant :"nooooon! pas le petit frère! pas le petit frère !" Eva, quand à elle, soupira longuement de désespoir en voyant Maupassy se décomposer...

Et ce fut le moment qu'Auvencelle Estrechelli choisit pour ouvrir grand sa porte, comme un tonnerre claque dans une vallée lointaine. "Mais qu'est-ce que vous foutez, nom d'un chien !!!??" S'exclama-t-elle de la voix la plus forte dont elle disposait. Elle s'avança sur le sentier devant sa petite maison en remuant les mains dans tous les sens. "Qu'est-ce qui m'a foutu une équipe de branleurs dans votre genre ? Aah, foutue jeunesse au cerveau fondu..." Continuait-elle en s'approchant du groupe entier. Chacun des hommes armés regardait à présent ses pieds, certains cherchant à creuser un petit trou dans le gravier, du bout du soulier, pour y cacher sa faute. Maupassy se releva en s'époussetant le veston:

"Oui c'est vrai, quoi, quel petit frère ?" La vieille dame sermona un bref instant celui d'entre ses hommes qui était le chef d'équipe. Il s'appelait Jean-Charles Trézère, et sa voix était rocailleuse. Ensuite, elle en revint aux deux jeunes gens. "Heureusement que mes hommes vous ont retrouvé", leur dit-elle en plissant les yeux. "Vous n'auriez pas survécu cinq minutes, là dehors." "Vraiment ?" Fit Maupassy, en pensant à l'âtre béante qui chauffait la maison. "Oh quelle chance nous avons eu..." Et ils s'en retournèrent vers la bâtisse, suivis de près par l'escouade de la vieille dame qui s'en alla garer ses véhicules dans les étables. Sur le chemin, Eva tenta en vain d'attirer l'attention de Maupassy. Elle en avait la conviction, pourtant, qu'il y avait plus que ce qu'on voulait bien leur expliquer.

"Taisez-vous Eva, vous êtes ridicule avec vos soupçons" chuchota Maupassy. "Alors donc,cher Madame, il était moins une" ria-t-il ensuite. La vieille resta silencieuse. "Vous préparerez la sortie pour ce matin à l'aube. Pas d'erreur cette fois-ci, Trézère" ordonna-t-elle rapidement à son lieutenant. Ils entrèrent dans la masure et les hommes demain furent vaquer aux préparatifs. "Il n'est pas la peine d'aller vous recoucher, l'aube est proche." Eva était encore méfiante. "Où nous emmenez-vous?" "Vous le saurez en temps utile. Il est des choses qu'il n'est bon découvrir avant l'heure..." répondit énigmatiquement Auvencelle. "Pourrais-je vous demander, pour l'amour de Dieu, une tasse de thé avec un nuage de lait, chère Madame?" demanda Maupassy. "Ces émotions m'ont laissé assoiffé." La vieille hocha la tête en direction à l'un des hommes comme pour dire "Toi, occupe-toi de ça." "Apporte des vêtements propres,aussi" ajouta-t-elle, de vive voix cette fois.

Le silence se fit dans la petite maisonnée (Le silence, qui est, pour les oreilles, ce que la nuit est pour les yeux, songea Maupassy, avant de se pincer : il avait, tout seul rien que lui, inventé une citation !!! ö joie ! ô félicité ! Il se tourna vers Eva, extatique, pour lui faire partager sa petite trouvaille...Mais le regard d'Eva le retint, comme le regard du chasseur immobilise net le chien à l'affût. Sans oublier, songea encore Maupassy, l'enseignement du Conte du petit enfant qui criait au loup....on le taxerait encore une fois de pillage de la Pensée Universelle, pensant, bien à tort cette fois, qu'il perroquette...). Eva, pour sa part, se torturait les différents cervelas, emplis d'un peu de brume depuis cette expédition-fiasco. "Non, pas le petit frère". D'où cela venait-il, déjà ? Une Oeuvre littéraire, certainement. Mais laquelle. Elle se comprimait les occiputs, pour faire remonter l'étincelle. Cela commençait à prendre, à force de massages. Voilà...Ce n'était, en fait, pas un vrai petit frère. Pas un "vrai" petit frère ! Eva commençait à recomposer le puzzle, voyait maintenant, presque distinctement, le petit frère (un spécimen fort blond, vêtu d'une layette bleue du dernier commun),se faire lacérer, exploser, sous les cris de la titulaire dudit "petit frère". Mais d'où cela venait-il, sapristoche ? Tout d'un coup, Eva revit en songe un texan vêtu de blanc, solitaire, aux amitiés chevalines, puis une jeune femme, blonde comme l'enfant, mais, vêtue, elle, de rose (des haillons, également du dernier commun). Se pourrait - il que ? LL, JJ...ces initiales...Le...le cavalier blanc ? Maupassy était par trop fantasque. Comment faire confiance, en des circonstances si dramatiques, en un aristocrate de la vieille école (privée), n'ayant jamais touché une bûche de sa vie (sauf pour jouer) et qui, lorsqu'il prenait peur ou ressentait une émotion un tant soit peu vivipare, comme dans les sous-bois, là, tout de suite, se lamentait en fonction de ses lectures d'enfant choyé ? Eva comprit qu'elle ne pourrait compter que sur elle-même...à moins que...à moins qu'à l'instar de ses films américains, unanimement construits sur la cohabitation d'un super flic au passé héroique mais en fin de carrière (à une semaine de la pension, de la pêche à la ligne, du bowling) à qui l'on adjoint, pour cette dernière semaine, en remplacement du plus vieil ami du super flic, abattu traîtreusement, et alors que le Roi du Crime vient de s'évader, le pire des novices incompétents gaffeur, trouillard, pistonné et bègue, et qui durant 65 minutes fait tout de travers, pour finalement, au moment M, se révéler indispensable, miraculeux, par chance ou par hasard, novice bègue (souvent fortuné, fils à papa) et de surcroît totalement inconscient des risques encourus, verni comme pas deux, qui va sauver - tout juste- le supercop roué mais reconnaissant, avant de les voir partir pêcher, bras dessus et bras dessous, dans la lueur bleutée d'un petit matin dans le Vermont (ou le Connecticut, si les rivières y sont poissonneuses, et s'il y a des rivières dans le Connecticut. A vérifier).

Maupassy : Et si nous dormions du Sommeil du Juste, Eva ? Nous devons dormir pour donner assez de place au rêve, ajouta t'il, fort et souriant au dévut, un ton plus bas, en hésitant sur la fin, le bras replié devant le visage, prêt à parer à toute éventualité. Mais cette citation n'étant nullement connue, ni du moindre intérêt ou d'une clairvoyance particulière, Eva ne vit pas l'astuce et bougonna faiblement, l'esprit ailleurs. "Quelle mauvaise tête !", songea Maupassy. Elle bisque bisque rage encore d'avoir fort mal à propos jaugé la situation. Maupassy ne l'enfoncerait cependant pas. Cette enfant est épuisée.

Maupassy : "Vous avez heu...hum votre chandail est réellement ravissant, Eva. C'est du Mérinos, certainement ?" Eva : "..." Maupassy : Bien. Je...un petit peu de jus de raisin, peut-être ? Fermenté ? Bon. Je...

Et pendant ce temps là (précisément à ce moment là), mais dans une autre histoire, Schlesinger refermait la porte sur ses souvenirs, réalisant qu'il ne reverrait sans doute jamais Magritte, surnommé affectueusement "La durite"...

De retour dans notre histoire, bien plus intrigante reconnaissez-le, Maupassy souffrait de crampes aux zygomatiques. Il regardait Eva à la dérobée, et maintenait sur son visage hilare le plus beau, le plus grand des sourires forcés. Ces yeux commençaient à piquoter, ces dents prenaient froid, il souffrait. "Un sourire est une clef secrète qui ouvre bien des coeurs", se répétait-il, comme un mantra. Mais Eva l'ignorait superbebement, drapée dans sa mesquine dignité. Elle était bien rude, s'apitoyait Maupassy. C'était pour rire, s'il avait jappé "Non...pas le petit frère". L'humour est aux femmes ce qu'un rouleau à pâtisserie est aux femmes, non, aux hommes, non, aux femmes, non, je...arrrh, énonça t'il (fort silencieusement, la position de sa bouche ne se prêtant guère aux longs discours, ni, vous l'aurez compris, aux déclamations... Luthériennes. Un "mandaille" de la vieille, passant devant lui, le regardant une larme au coin de chaque oeuil, comme un chien sur les waters, un sourire Cpopyright Soeur Emanuelle, dit Soouer Sourire, accroché au faciès, vint lui demander s'il lui en restait un peu, si elle était coupée, si c'était de la blanche, si c'était de la colombienne, toutes questions auxquelles Maupassy ne comprenait goutte, répondant invariablement par "Pardon ? I beg you pardon ? Italiano ?". Le mandaille devait être un petit peu simplet. Maupassy lui proposa un CocoToff, avec moulte précaution et obséquiosité, singeant le cérémonial idoine de la dation d'une cacaouette à un Lémurien.

Maupassy s'affala sur le banc, il se prit la tête entre ses deux mains, et implora en silence une longue litanie... Comment en était-il arrivé là... Il croyait pourtant sincèrement qu'Eva était toujours la pauvre enfant trouvée, perdue dans sa douce folie! La douce Eva qui avalait des sandwiches aux Spare-ribs dans le jardin d'Oncle Paul! Pauvre petit oiseau! Et maintenant, il ne la reconnaissait plus, elle avait troqué son air minaud contre un regard sympathique comme une lame de tronçonneuse.. Que s'était-il passé? Qu'était-il arrivé au pauvre petit moineau pour se transformer en vautour? Et lui, Maupassy le vieux dindon de la farce! Il ne comprenait plus rien! Maupassy commenca à baver de désespoir. Sans s'en apercevoir, il poussait des grognements rauques qui le faisaient ressembler à un déversoir d'égout.. "Weuuuuhrgl weeeeurgl" soufflait-il en silence, tandis que sa bave se répandait sur sa cravatte de tweed écossais Baker & Baker's...

Un soufflet anonyme lui fit beaucoup de bien, même si la bave s'étalait à présent aux quatre coins de son cardigan. Il devait être 6 heures 45, l'heure à laquelle il se levait pour aller à l'école, après avoir gargantué un somptueux petit déjeuner, pas continental mais presque, avec force chocolat bouillant (chocolat de première qualité s'entend). D'ici 15 minutes, voire un petit quart d'heure tout au plusse, il ne serait pas étonné qu'il soit déjà 7 heures. Il pourrait consulter sa montre bracelet, mais ce serait trop simple. Celui qui n'ose pas regarder le soleil en face ne sera jamais une étoile, et c'est en jouant que l'on devient sérieux. Ordonc, il conclut qu'il devait être tôt. Les nuages ne s'étaient pas encore levés, se promenaient dans les bois, léchaient la campagne endormie. Ce ne serait que le premier soleil qui pourrait venir exterminer les plus faibles, convaincre les autres de s'échapper, mettre en déroute le calme olympien des verts bocages où le lièvre râblé régnait en maître.

Pendant ce temps, à Virton, en Belgique, où Von Broum avait élu son quartier-général, des cris retantissants fusaient de la casemate. "Des incapables! Je suis secondé par des incapables!" Von Broum, en tenue de laquais, faisait les cent pas dans la salle de bal, ses souliers vernis claquant sur le marbre. Ses généraux, au garde-à-vous, suaient toute leur eau. Ernesto, courbé dans l'ombre, assistait à la scène avec un ravissement sadique. Von Broum retira sa perruque poudrée et s'épongea le front. Les généraux se lançaient des regards affligés. "Il faut faire taire cette vieille perruche" dit-il à Ernesto. "Va, et occupe-t-en. Ne me déçois plus." Ce fut au tour des généraux d'afficher un sourire sadique. Ce nabot avait pris beaucoup d'ascencion sur eux dernièrement.

Ernesto grommelait : que ne suis-je commandé par un chef lettré, qui japperait des ordres retentissants, et non retantissants...Je mérite mieux, moi qui A lu toute la littérature étrusque de 1950 à nos jours. Il se munit d'un balai oblong (soit plus long que large, ce qui ne veut iren dire, car il suffit de le changer de sens ou de bouger un peu, pour qu'il devienne plus large que long, à moins que...) et entrepris de secouer quelque peu cette vieille bête à plumes avant de réfléchir trop et de se faire un abcès.

Von Broum, après cet intermède s'avérant peu du goût de notre ami lettré, Ernesto, s'en prenait à nouveau à ses généraux enturbannés, bariolés, aux dizaines de décorations criardes (on n'attrape pas les hommes avec du vin, il faut ces jouets de vanité pour les faire se mouvoir à volonté, pour qu'ils se meuvent, pour qu'ils aient mû, pour qu'ils mûassent, qu'ils eussent mû, meuh, qu'ils arrrh...se récitait Von Broum, fort marri de ses dernières approximations qui faisaient rire Soucape, son jeune valet de pied). Quelles nouvelles Murat me rapporte t'il de sa traque ? Lady Scarlett est - elle toujours insaississableuh (accent teuton) ? S'est-elle évaporée (sorte d'humour teuton) ? Est-elle évanescente (tentative de reprendre le dessus sur le valet par le truchement de mots savants) ? Est-elle transformée en fumée, peut-être (mélange de tentative d'ironie et d'iconographiloutie mortuaire indienne) ?

Ernesto relevait la tête, tentant péniblement de faire "bonne figure", pouvant à tout moment rencontrer quelqu'un (dans ce monde de brute, il ne faut jamais, jamais, paraître faible ne fût-ce qu'une seconde, sous peine de se faire piquer son lit, sa place au ciné club, son Honneur, voire pire encore). Il renifla méticuleusement, se torcha consciencieusement le nez avec le revers de sa gabardine, et se rappela ces mots de son Maître spirituel, celui qui lui a légué son prénom...mais pas que... (aussi un peu de sa faconde et de son élégance, se plaisait-il à croire) : "Il faut s'endurcir, sans jamais se départir de sa tendresse". Ernesto "Che" Guevara.... Sur ce, il envoya son pied frapper très vigoureusement un bidon d'huile en fer forgé aux couleurs écarlates d'une société brésilienne, reine incontestée du marché de l'huile de colza, puis se ravisa. Ernesto avait probablement joué au Polo, jeune étudian en médecine choyé par le sort, mais pas au futbol, à part peut-être avec ces lépreux de l'île maudite...Cette île, se souvenait Ernesto comme un petit perroquet (vert, que croyiez-vous ?) tenue par des soeurs catholiques aux méthodes si pas gestapistes, en tout cas fort peu chrétiennes. Non ? (Il aimait à soliloquer ainsi en marchant lentement, les sens aux aguets).

Ernsto emmenait le volatile (qui avait la chair de poule, tant le froid était vif) en le tenant par la crête, entre le pouce et l'index. Il se dirigeait vers l'hôpital pour gallinacés le plus proche, sur les hauteurs de la Corniche. Là, ils l'occiraient d'un bon coup de scie ou d'un jet de marteau après l'avoir frictionné et l'avoir anesthésié délicatement, en lui parlant tout bas. Ah, si seulement il avait pu écharper Eva, songeait - il en dirigeant ses pas vers le frontispice de l'hôpital. Tout (Ernesto et la perruche) se présentaient sous les meilleurs hospices. Ernesto rigolait doucement du Comique de la Situation. La perruche était moins guillerette, évoquant l'opération "Condor", cette raclure de Pinochet, l'Inquisition, Galilée, le Christ en Croix, jusqu'au Che, cerné dans son ultime cabane, pour amadouer Ernesto. Celui-ci le rassurait maladroitement, parlant de la simple extraction d'une dent, d'une formalité, qu'il pourrait à nouveau déchiqueter un steak, comme dans sa jeunesse, et ne plus voir de sa vie du Moupourlechat...Parler de ses dents à une perruche...Ernseto avaot quitté l'école très tôt, et ne pouvait deviner le "Comique de Situation" partout, non plus. Faut être juste.

La tête de la Bête venait de choir du billot (Coquin de Sort, Von Broum l'appelait Marie-Antoinette), qu'Ernesto étouffa un abominable juron (commençant par un F). Faperlipopette, éructa t'il, avant de se torturer les ongles, de jeter sa tête sur le billot miniature (mpf!), heureusement (pour lui, pas pour l'Elegance à la française) abandonnée par le Praticien, d'enlever sa tête (uche !), de se malaxer les doigts jusqu'à en faire une bouillie infâme, couleur de vieux jus d'épinards !!! "Il faut faire taire cette vieille perruche", avait ordonné Von Broum ! Il ne s'agissait pas de son perroquet, son fidéle compagnon d'infortune aux plumes blanchies par les âges, le stress et la farine cosmétique, mais bien la vieille chez qui Eva et Maupassy avaient trouvé refuge !!! Le coeur d'Ernesto palepitait comme Fol, devinant peut-être qu'il valait mieux en profiter tant qu'il était temps encore...Ernesto n'oserait jamais se représenter devant Von Broum, l'affereux Von Broum qui se rendrait compte de l'assassinat de son plus vieil (et seul) ami ! Ernesto replia ses jambes, les mit autour de son cou, tomba, réessaya, grâce à cette technique éprouvée, de galoper plus vite que le vent, retomba, puis décida d'y aller "mollo", ce qui serait toujours plus rapide. Saleté d'imagerie populaire! Von Broum n'aurait-il pas pu être moins ambigu ? Lui-même n'aurait-il pu faire preuve d'un soupçon de sagacité ? Voilà ce qui arrive à force d'exécuter sans réflexion, songeait Ernesto, tout en se remettant à courrir tel un poulet sans tête, NON, il n'en sortirait pas vivant...il devait être rapide comme la foudre, tuer Maupassy, ramener Eva, éborgner la vieille, ramener son palpitant sur un plateau d'argent, avant de jouer au plus fin (avec un allemand) concernant l'oiseau, le confident, qui pouvait avoir heu...fugué...

Ernesto, comme Maupassy à quelques lieues de là, éprouvait une féroce envie de changer de linge de corps. Ce linge de corps commençait à porter les stigmates de cet étrange oxydant qu'est la peur. Oh, pas la peur de rater son Tramway, pas la peur d'être grondé, non, la véritable "Peur Panique", qui est au linge de corps ce que le pire ouragan est pour une ville constituée de maisons en paille, voire même en bois (comme celle des deux premiers petis cochons). Ernesto se sentait faiblir. Il farfouilla dans ses poches visqueuses (la peur, vous dis-je) et retrouva son Body Sensor (le Body, comme disent les jeunes), immisca son index à l'endroit ad hoc, une goutte de sang perla sur le Sensor grâce à son mécanisme de succion inspiré d'un Comte roumain aux moeurs de chauve souris, puis Ernesto attendit les 2 secondes du protocole : il était dans le rouge en glucides, protéines, sels minéraux. Il n'irait pas loin à ce rythme là. En orange foncé pour les lipides, et avait un besoin maximal en hydroxyde de sodium, excellent pour la résistance au stress comme pour se tirer d'une mauvaise passe au scrabble. Tout en courant, Ernesto jouait avec les gélules, les pilules, les cachets. Le linge de corps attendrait. Il fouetterait encore, ce qui n'avait jamais tué Johan et Pirlouit, ou Obélix, ou Lucky Luke, ni même James Bond (sous ses grands airs, Sean Connery était senti de loin, ce qui le désavantageait fort en ses techniques d'approche discrète, mais l'avantageait prou en combat rapproché). Ernesto faisait partie de ceux-là, se disait - il juste avant de tomber, une s... de racine lui ayant administré un insidieux croche-pied. Son pantalon était tout déchiré. Tentant de reloqueter sa dignité, le menton tremblant doucement, Ernesto se demandait quand le Mauvais Oeuil s' offrirait des vacances.

Ernesto aurait tellement voulu naître beau, être beau. Il n'aurait jamais dû porter de lourds pasquets de course, n'aurait pas fait la file, aurait été un leader, aurait été aimé...Les mots de Jacques Brel lui revenaient, dans le désordre, "Si j'avais pu, rien qu'un jour, être beau, beau et con à la fois", ah, sentait Ernesto, s'il avait été beau, tout aurait été différent. Il aurait des cravates jaunes à larges bandes rouges, il aurait un caban, il porterait un chapeau mou, et tout le monde l'admirerait. La beauté n'est qu'un piège tendu par la nature à la raison, songeait-il, avant de s'arrêter net, frappé par la justesse subtile de ses observations. Tout cela lui ressemblait si peu, à lui, l'éternel Mandaille, le valet, le second, le manqué. Et ce Maupassy...s'il n'était pas SI beau, il avait de l'argent, lui. Et l'argent rend beau. Et il avait gardé ses mains blanches et douces, lui, puisqu'il avait hérité de tout, et n'avait jamais travaillé, sauf pour rire "Ce matin, Ernesto, je vais t'aider à couper du bois", annonçait t'il avec ravissement...et après 15 minutes, Maupassy s'en allait, heureux, satisfait, s'étant amusé comme un fou, parce qu'il commnençait à pleuvoir et qu'il avait envie d'un bon grog, et de croquer une truffe noire comme une pomme. Albao lui préparerait son grog. Et c'était Ernesto qui avait fait tout le sale boulot (débiter en 500 parts égqales l'arbre abattu par Maupassy, après qu'il aie préparé le terrain), et qui continuerait à le faire, seul, sous la pluie, pendant plusieurs heures encore. Et ne parlons ni de grog, ni de truffe. Une truffe...Ernesto n'en avait jamais goûtée. Il en avait senti, oh ca oui, en les apportant sur un plateau à Maupassy, qui s'amusait follement au billard à trois bandes, pendant qu'Eva exécutait un menuet (toujours le même). Eva...Maupassy...Sa haine avait un peu faibli depuis le jour fameux où il avait tenu Maupassy au bout de son égalisateur (tous les morts se valent). Les plaisanteries grotesques de Maupassy lui manquaient presque, comme ses citations (en réalité, c'était Ernesto qui se chargeait de les compiler, et de lui en souffler une à l'oreille chaque matin, en apportant son thé).

Maupassy pensait à la seconde même où Ernesto parvenait à la conclusion identiquement pareille, leurs deux cerveaux communiant en une sorte de grande fête de la gemellité, alors pourtant que leurs situations étaient loin de batifoler dans le même sens et sur le même pied pas tout à fait égales (n'oubliez pas qu'ils étaient opposés l'un à l'autre, par les circonstances en tout cas, que vous le veuillez ou pas). A la même seconde, donc, chacun pensa ceci : "Si le problème a une solution, il ne sert à rien de s'inquiéter. Mais s'il n'en a pas, alors s'inquiéter ne change rien".

Pour dénicher Maupassy dans l'épais fouillis de rizières, de montagnes, d'entrelacs et de buissons ardents où il était tapi, perçant l'obscurité de son regard de jais, Ernesto pouvait soit remonter le long de sentier noueux comme des cèpes (mais de vigne, alors), soit couper au plus court, par là où on l'attendrait le moins, en descendant le cours des cascades (il les remonterait plus tard). Un détail d'ordre pratique l'emberlinait : ces rapides étaient truffés de poissons vénéneux, aux dents acérées comme des couperets (acérés). Il échangea au noble représentant de la religion salafiste une mobylette flambant (et neuve) contre un rat d'eau et des rames à dents. Il était paré. Paré à virer (les gars, faut y aller, hein, se rassurait-il, tout seul qu'il était). Sacré Ernesto, penserait Maupassy si leur symbiose cérébrale avait pu se maintenir plus que le temps d'un soupir.

Des orchidées sauvages de grand prix fouettaient les...heu mollets (zheu mollets) d'Ernesto. Aucun chemin de fleurs ne conduit pourtant à la gloire. Ernesto décida donc de couper à travers les ronciers, étouffant des ouille et des aille peu conformes à la dignité de Héros à laquelle il aspirait. Un Super Héros qui aspire...On aura vraiment tout vu, ricanait Ernesto, de fort méchante humeur.

Ernesto se reprit (de justesse) juste avant d'arriver au promontoire, ou bien était-ce un embarcadère ? Il ne louerait pas de rat d'eau, pas de rames à dents. Qu'est-ce que ca voulait dire ? Se moquait-on ? For God'sake ! Des poissons vénéneux, des rames à dents ?!? Et pourquoi pas des petits nains jaunes aux doigts palmés, ou des cousins péteurs ? Voire même un syndicaliste souriant ? C'en était trop. Ce n'était pas SERIEUX, et Ernesto souhaitait par dessus tout, et de manière fort légitime, être pris au sérieux. Qu'on lui dise "Monsieur". Il était un Sinistre Exécutant, pas un amuseur public. Oublié, le rat d'eau. Il traverserait les buissons ardents, et assommerait quiconque lui sourirait. D'un air entendu, il allongea le pas.

Eva et Maupassy partageaient une gaufrette. Il était l'heure de lever le camp, venait d'édicter la vieille. Pour aller où ? Aucune réponse. Eva n'aimait pas cela. Maupassy, si. Moins il en saurait, moins il pourrait commettre d'impairs Emanques. Les mandailles fourbissaient leur attirail de mandailles. Les égalisateurs ne manquaient pas. Des chromés, des dorés, des 6 coups vintage, des arroseurs. Deux gros brouilleurs de satellites ronronnaient avec des bruits de disquettes. La vieille avait une oreillette. Eva faisait sa gymnastique. Maupassy se sentait vivre. Mais il n'aurait pas craché sur un bon roman, suivi d'une sieste. Plusieurs gros coussins, qu'Ernesto lui calerait dans le dos. Ernesto !!! Une larme jaillit, froide et amère.

Peu de temps après, Esnesto se trouvait tapi à la lisière de la forêt, devant la masure de la vieille folle. Par la fenêtre, il pouvait apperçevoir Maupassy, dans un fauteuil à bascule, sirotant une tasse de thé, conversant de tout et de rien, comme si il n'était jamais sorti de son manoir. Ernesto en eut des relents de dégoût. Ce sale... sale... rat! cabrón! maricón! hijo de tu madre! La langue maternelle d'Ernesto, qui était d'origine chilienne, revenait au galop quand la moutarde lui montait au nez. Son cerveau se bloqua complètement et il courut, aveuglé par la rage, en direction des camions parqués derrière la cabane. Il se saisit d'un jerrycan d'essence et entreprit d'arroser copieusement la façade. Il entreprit ensuite d'allumer son briquet, une opération difficile car il tremblait comme une feuille, de rage et de fièvre.

Enfin, une flamme jaillit. Et la lumière fut. Tout prit en un instant. Tout...Ernesto compris, qui s'en était mis "plein tout" au cours de sa danse de Saint Guy. Ses sourcils explosérent. Eva, Maupassy étaient déjà hors les murs, toussant à peine. Les mandailles arrosaient la masure au moyen du système d'irrigation du potager de la vieille. Mais de vieille, point de trace. Maupassy remarqua ce qu'il pensa d'abord être un vieux bonze s'immolant par le feu (par quoi d'autre ?). Il dirigea vers lui un bon jet d'eau froide, décoiffant complètement le bonze chevelu en diable. Ernesto. Maupassy en lâcha le tuyau d'arrosage. Ernesto se remit à danser. Ernesto. L'incendie. Un incapable. Un bon à rien ! Vous êtes renvoyé, Ernesto ! A la rue ! Quant à votre lettre de recommandation ! Maupassy crachait comme un chat. Ernesto ressemblait à l'image qu'il avait gardée de lui, lors de leur première rencontre. Il était trempé, n'avait plus de sourcils, était efflanqué, grelottait, un épi ridicule planté à même la tête comme un drapeau infantile. Ernesto savait que Maupassy lui avait sauvé la vie. Maupassy savait qu'Ernesto venait d'attenter à sa vie. Ernesto bouillonnait de honte et de rage contre lui-même, et contre Muapassy, qui avait trop de chance. Deux mandailles le flanquaient, menaçants. Ils allaient lui faire mal. Où restait la vieille ? Maupassy se mit à hurler. La vieille !!! Le toit menaçait de s'écraser. Les premières poutres s'abattaient, tels des baguettes de Mikado. Personne n'avait jamais battu Ernesto au Mikado, sauf Eva, en trichant (elle était la patronne, après tout). Ernesto aperçut un égalisateur (Browning) posé à même le sol. Maupassy tenait toujours le tuyau d'arrosage. Comme s'il le tenait en joue, le mançait de "bien le mouiller". Ernesto réfléchissait (il était tout trempé, et les flammes se réverbéraient sur lui comme s'il était l'ultime catadioptre). Il pesait le pour et le contre. S'il le voulait, tout ridicule qu'il était, il pourrait s'emparer du pétoir et envoyer sur Maupassy, d'un minuscule geste de l'index, un météorite brûlant de plomb en fusion. Il serait ensuite cisaillé par un mandaille adepte d'une Justice hâtive, mais quoi ? En tout cas, la vieille ne réapparaissait toujours pas. Devait-il se féliciter ? Il était venu pour ca, non ? Au trou, ses dossiers noirs sur Von Broum. Et alors ? Maupassy venait de le sauver. Mais une fois de plus, il avait l'air d'un âne, et Maupassy était élégant. Il était une fois de plus le Maître. Ernesto regardait encore l'égallisateur, tout en s'efforçant de n'en rien laisser voir. C'était épuisant. Un peu comme s'il trichait à un examen, enlevant un copion artisanal d'exception de ses chaussettes, le plaquant sous son pupitre, le ramenant sous sa feuille, le tout en transpirant comme un fol, en sursautant à tout éternuement émanant d'un de ses congénères examinés, progressant millimètre par millimètre, avec un air niais censé contrefaire admmirablement une sérénité à toute épreuve, une noble concentration, une recherche honnête et loyale aux questions posées par Monsieur le Professeur. Sa glotte montait et descendait comme le coucou d'une horloge, tentant de s'échapper, à l'étroit dans cette gorge hostile et sèche comme du buvard.

Eva s'approchait d'Ernesto, comme une anguille (au vert), l'air décidé de lui infliger une tape, pour le coup. Il avait ENCORE essayé de les tuer. Ce fut un coup dans un tibia, puis l'autre. Ernesto flageolait. Ne pas pleurer. Surtout, ne pas pleurer. Eva, calmée, réfléchit aussi sa part de flammes. "Et si on le retournait ?", demanda t'elle soudain à Maupassy, qui la regardait, incrédule. Le retourner ? Ernesto tomba sur ses genoux. "Nooon, n...non, pas me retourner, je...non...pitié...pas me retourner. Il s'imaginait déjà les mandailles le maintenir pendant qu'Eva et Maupassy l'éplucheraient, avant de retourner sa peau. Ces malades voulaient le...le bouffer ? Maupassy avait lu quelques livres sur le cannibalisme. Se pourrait-il que ce fin gourmet, toujours à la recherche de nouveautés...il serait poivré vivant, à même la chair à vif, il le pressentait, un oignon dans le nez, un mélange crème - estragon dans le fondement, une sauce brune à base de sang frais, cuit vivant, comme un homard. Il était parti, s'imaginait tout, et pire encore, sans entendre Eva, qui chuchotait à l'intention de Maupassy : "Mais oui ! On le laisse filer chez Von Broum, il lui annonce notre mort dans l'incendie, nous informe de ses plans, de l'endroit où il se trouve, nous donne accès aux documents secrets sur la prétendue dangerosité de la consommation d'aliments naturels...On le retourne, quoi !!!". Maupassy commençait à se frotter les mains, le sourcil conspirateur, sa langue claquant au vent comme dans les moments de grande tension. "Le retourner"..."Von Broum, tu es cuit..." ...Maupassy trouvait l'idée emballante. Comment ne l'avait-il pas eue plus tôt ? Retourner Ernesto...Maupassy était tout à ces idées de farandole. Mais comment s'assurer que ce fourbe d'Ernesto ne raconterait pas tout, sitôt sorti d'ici ? Non, non, quelle idée absurde, le relâcher ? Sans rien ? Après qu'il aie à nouveau essayé de nous tuer ? Aaaah, bien essayé, fourbe, scorpion, tarentule de merde, cochonaille, salpêtre, stron apeuré, charogne de belette, fouine communiste, coréen (heu...du nord !), pyromane maniaque, bouffeur de gélules, oiseau sans tête, hhhh, hhhh. Maupassy frappait très mollement le dessus de la tête d'Ernesto, à genoux, qui ne bronchait pas, ne revenant pas de n'être toujours pas épluché, mis en broche, assaisonné, débité menu. Il n'était pas mort. Quel bon maître ! Il...connaissait beau coup de choses sur Von broum. Il était fétichiste ! Il léchait ses chaussettes ! Si ! Il bouffait de l'ortolan ! De l'ortolan !!!

"Vous voyez, Eva, il nous est déjà tout acquis!" déclara joyeusement Maupassy. Eva était encore méfiante. "La Dame ne doit pas s'inquiéter, Ernesto rapportera des informations... beaucoup d'informations!" brossait Ernesto. "Ce que c'est que l'autorité naturelle, tout de même..." s'épatait Maupassy. "Taisez-vous, Maupassy, vous êtes trop naïf pour ces choses" le coupa Eva. "Qui nous dit qu'il ne va as nous trahir une fois de plus?"

"Je connais un moyen" déclara une voix chevrotante derrière eux. Une silouhette noire, couverte de suie, s'approcha. "Madame Auvencelle" s'écrièrent-ils. "Vous avez donc échappé à l'horrible incendie!" "Moi oui, mais malheureusement mon précieux matériel n'a pas eu cette chance... des années de travail détruites en une seconde par ce fantoche!". Elle décocha un coup de pied dans les mollets d'Ernesto qui le fit choir sur le sol. Il ne pleura toujours pas. "La solution est simple... Si Ernesto ne nous rapporte pas d'informations satisfaisantes, Von Broum sera mis au courant de son petit secret, c'est bien compris, Ernesto?". Ce dernier prit immédiatement une teinte blanche. Eva et Maupassy se regardèrent interrogativement. "Quel secret?" La vielle, toussant quelques nuages noirs, répliqua: "Ernest puise régulièrement dans la collection de saucisses de Von Broum. C'est un vice qu'il a développé au cours des années, Von Broum possède tant de saucisses qu'il ne s'en est jamais rendu compte". "Des saucisses!" rit Maupassy. "Quel minable vous êtes, Ernesto! Vous auriez pu puiser dans sa collection de foie gras, au moins, hu, hu, hu"

"Sale coccinelle asiatique", ajouta alors Maupassy à sa bordée d'injures déjà des plus salées. Mais avec un ton plus doux. Ernesto perçut d'ailleurs la nuance (il était fine mouche) et s'en trouva encouragé. Il bégayait, tant il voulait donner d'informations en même temps. "Et il pisse dans son bain, et, et, et il a pas d'amis, et, et, j'ai réussi à tuer sa perruche, et, et, après deux bières-curaçao il sait plus où il est, et, et", le tout pendant 20 bonnes minutes, mais je ne vais pas m'amuser à tout recopier, ni vous à tout lire, c'est trop moche, deux anciens amis qui s'échangent des noms d'oiseaux. "Je n'étais pas son ami", intervient Ernesto, penché au - dessus de mon épaule. J'en prends acte, et l'écrit noir sur blanc, pour qu'Ernesto soit content. C'est aussi un peu son livre, après tout. "Ernesto est bien bâti, possède d'onctueux cheveux noir corbeau, des yeux verts se mêlant de jaune lorsqu'il pleut (ce qui donne des yeux bleus), est doté d'une dentition propre à faire pâlir n'importe quel marchand d'esclaves peu scrupuleux, est musculeux, mais pas trop, porte le Marcel comme un Dieu (ou comme Marlo Brandon, mais pas dans le Parrain, avant), est intelllinget, vif, a de l'esprit pour dix, et est très très gentil"...voilà ce que me dicte Ernesto, à présent. Je le savais. On lui donne "ça", et il en profite. Non, Ernesto. On t'a déjà écrit. Tu as les cheveux noirs, mais ils commencent à se clairsemer. Tu as le teint olivâtre, parfaitement, olivâtre, ca veut dire vert, et tu es musclé comme un ouistiti.. Tu es un peu retors, et pas toujours très poli. Mais sors de ce bureau enfumé, je te préviendrai quand ton livre sera prêt. "Sale coccinelle asiatique", venait donc d'asséner Maupassy. Où est Von Broum ?

Von Broum ? Il arpentait les couloirs, harponnant lle petit personnel, à la recherche de la perruche, à qui il brûlait de raconter sa dernière, puis de déverser son fiel sur la lâcheté, la traîtrise, l'incompétence crasse d'hommes qui lui devaient tout, qu'il avait amené aux plus hautes fonctions, qui les avait couverts d'or, et de lumière, alors que ce n'étaient que de sales petits vers dont les mères auraient mieux fait d'avorter, la veille de l'accouchement s'il échet, des vers dont aucun poisson affamé ne voudrait, même pour jouer. Mais aucune trace de Miranda. Bouderait-elle ? Mais pourquoi ? Pourquoi ? Qu'avait il encore fait ? Il étouffa un juron. Ca lui coûterait une rivière de diamants, il le pressentait. Et Ernesto ? Où -Charles- traînait il encore ? Il se sentait seul. Et il avait horreur de se sentir seul, même 5 minutes. On l'avait mis à l'internat. Lui. Si sensible. Et il ne s'y était fait aucun ami, même pas un laid, dont personne ne voulait. Non. Personne. Ernestoooo ? Mirandaaaaaaaa ? Youhouuuuuu...Vous vous cachez, c'est cela ? Ce n'est plus drôle, maintenant, Papa est fatigué. Si vous vous montrez, je vous donnerai un beau cadeau...Ouhou..........MAINTENANT SORTEZ TOUT DE SUITE OU....ou...JE VOUS PREVIENS...si à trois, vous n'êtes pas sortis de votre chachette, bande de arrrh, de votre ca-chette, je vous...Ouhou ??? Alleeez, quoi.

Maupassy ne savait plus très bien sur quel pied danser. Alors, pour la première fois de sa vie, il se renifla les aisselles. Ostensiblement. Il commençait à devenir un dur. Ou alors, toute cette pression lui jouait des tours, à lui et à son ciboulot. Quel parti prendre ? Il prit les parties d'Ernesto, et les agita frénétiquement, comme on sonne les cloches d'un Rom. "Alors, mon gaillard, on rit un petit moins" ? Ernesto ne pleurait pas, mais c'était tout juste, et il trichait en plus : il pensait à sa fête d'anniversaire, quand il avait reçu un beau gâteau de la part de Maupassy. C'était il y a si longtemps. Maupassy l'avait confectionné tout seul, cela avait pris toute une journée, il était épuisé, et cela s'était révélé infect. En plus il s'en vantait à mort, tout le monde devait l'écouter, comment il avait finement manigancé sa surprise, comment ce pauvre Ernesto ne s'était douté de rien, comment il avait choisi la recette, comme c'avait été épuisant, comme c'était réussi, etc...Ernesto s'était fait voler la vedette, et se retrouvait isolé avec sa part de gâteau, tous faisant cercle autour de l'admirable Maupassy, qui avait passé une pleine journée à se distraire de ses hautes occupations pour préparer un gâteau pour qui ? Pour son valet. Mais Eva lui avait confectionné un joli travail au point de croix, et lui avait donné, presqu'en cachette, sans s'en vanter à personne, et avec un mot très gentil. " A mon fidèle et affectionné Ernesto, un très joyeux anniversaire, Eva ". Ernesto avait appris par coeur le texte. Ou plutôt, à force de l'avoir lu, lu et relu, il s'en était imprégné. La vieille se direigeait vers lui, avec un grog. Ou un Irish. "J'espère que ce sera un Irish", se disait-il, heureux comme un soleil. Maupassy l'huma, puis souffla un peu dessus, pour ne pas que ce soit trop chaud, disait-il. "Cette saleté, il va foutre en l'air toute ma mousse" ! Ernesto remercia chaleureusement, les oreilles baissées au maximum (c'en était douloureux).

Ernesto buvait maintenant son grog à petites gorgées, comme une vieille dame. Il observait le trio formé par Maupassy, la vieille et Eva. Son cerveau tentait désesperément trouver une solution... Qui trahir? Le fiel lui montait à l'oesophage, à l'idée que le Maître découvre son secret... D'un autre côté, Maupassy, se pavanant comme si tout cela était arrivé grâce à lui, réussissant comme toujours à regagner l'admiration d'Eva, faisait ses entrailles déverser des flots de bile... Le mélange des humeurs ne put rester confiné très longtemps dans l'estomac pourtant spacieux d'Ernesto, et il régurgita des litres de matière malhodorante. "Étrange" regarda la vieille... "c'était pourtant de la meilleure liqueur de crapaud..." Elle se retourna vers le petit groupe. "Bon. Dans ce cas tout est prêt. L'opération va pouvoir commencer."

Quoi ? Ouak ? Glapit Maupassy on ne pourrait pas se reposer un peu ? Taper la cloche ? Je connais une petite auberge ! Parbleu, on vient tout juste de réchapper à une mort atrocignominieuse (le tout dit en dardant son regard sur Ernesto, qui se troussait les lèvres souillées de sa manche de pardessus), on n'a rien bouffé, j'ai super mal dormi (pour ce que j'ai dormi, sans vouloir critiquer personne)!

Non, non et non, je ne ferai pas un pas de plus avant d'avoir boulotté une écrevisse, non, du homard, non, je sais, je sais, des langoustines, des langoustines à l'oeuf (et au vin blanc), écoutez, voilà ce qu'on va faire (et il récita, comme s'il s'agissait d'une élocution -sur le tigre-) :

Langoustines à l'œuf :

Déshabillez à cru quatre langoustines royales par personne. Pochez les œufs, un par personne, et réservez-les. Faites suer des échalotes dans du beurre et ajoutez un verre de vin blanc et un trait de vinaigre. Réduisez de moitié et incorporez au fouet le beurre et l'estragon haché. Faites revenir le beurre et le vin blanc, à feu vif, pendant 4 secondes. Une croûte s'est formée ? Mmh, c'est le meilleur. Poêlez les langoustines rapidement et dressez-les sauvagement autour de l'œuf. Nappez avec le beurre d'estragon.

Et après, et après, continuait Maupassy, élevant la voix, les yeux se couvrant de larmes transparentes (heureusement) : après : feuilleté d'escargots, terrine de foie d'oie, langoustines royales, poularde aux morilles et gâteau à l'orange de grand-mère Blanc.

Allez, quoi, ce sera une chique soirée !

Eva ? T'aime bien les langoustines, oui ou non ? Ernesto ? Oui ou non ? Allez, quoi ? Et vous, Madame, t'aimes bien les langoustines, ah oui ?

Les trois : « heu oui...mais...Maupassy... »

Maupassy : "Mais oui mais quoi (à la fin)"?

(Un temps. Maupassy passe de la vieille à Eva, d'Eva à Ernesto).

Toujours Maupassy :

"Aaaah okay, je vois. Ca va, pas de problème. J'ai compris, j'ai très très bien compris même, vous en faites pas pour moi, va, je me débrouillerai, ca oui, merci, c'est très clair, en tout cas, j'ai pigé.

Il devenait fluorescent.

La vieille regarda Eva en soupirant, l'air de dire "ma pauvre petite".

"Ne vous en faites pas" dite-elle à Maupassy. "Nous nous arrêterons dans un Restoroute(tm)"

"Moi, dans un restoroute!!!" chuchota Maupassy aux oreilles d'Eva. "Elle débloque, ha, ha, ha"

La vieille était allé rejoindre ses lieutenants, qui étaient groupés autour des vieux camions de l'armée française. Elle était vêtue d'un habit de camouflage gris foncé. "Alors, chef?" demandèrent-ils. "Il va falloir s'arrêter dans un restoroute(tm). Le numéro un veut manger."

"Qui ça ?" demanda Tumbler (qui était lieutenant).

"Maupassy", répliqua la vieille avec une mimique.

"Vraiment ? Le numéro un ?" s'interloqua Tumbler. "C'est interloquant", insista t'il.

"Louis XVI était aussi le numéro un", expliqua, sans appel possible, l'ancêtre.

Tumbler n'était pas assez solide que pour se fendre d'une brillante contrepartie historique. Il avait vaguement la remembrance d'un Richelieu, mais était-ce une sorte de chat botté rencontré dans les contes lus à Tucson, son fils, ou quelque preu chevalier ?

"Un restoroute", se répétait Maupassy, les yeux exhorbités, incrédule. "Un restoroute...". Il était "out of question", oui, "out of question", que Maupassy se gave de gélules, comme une oie de foie gras.

Même quand l'oiseau marche on sent qu'il a des ailes.

Maupassy ne boufferait pas la moindre gélule. A ce moment là, le monstertruck passait devant un de ces panneaux analogiques, au bord des ferroroutes : "Grâce aux gélules, plus de carences, en forme toute l'année, adieu aux caries, à poil le dentiste". "Quelle vulgarité", retint Maupassy. Et pourquoi ce stupide lieutenant le fixait-il de la sorte ? Il s'appelait Tuler, ou Tuter, à lire l'insigne sur sa gabardine béton-camouflage. "Quel nom ridicule", prononça Maupassy dans sa tête avec un lourd accent québécquois, pour se divertir un peu. (Ré-dé-queull !).

"Chewing-gum?" offrit Tumbler. Maupassy tourna la tête et fit celui qui n'avait rien entendu. "Vô lé frwançais, ha, ha, ha" dit Tumbler, rempochant son paquet de gomme en hochant la tête. Maupassy soupira de consternation. Jamais, non, jamais on ne l'avait fait ainsi monter à l'arrière d'un camion, avec la troupe, comme un simple porc. Un bon rôti de porc à la moutarde à l'ancienne, accompagné d'ail, lui aussi rôti, au gros sel...Quel délice, saliva-t-il. Eva avait eu la chance injuste de pouvoir monter à l'avant, à côté de la vieille, qui conduisait. À son style brutal, on pouvait voir que la vieille avait déja baroudé sur de nombreuses pistes, ou au contraire que c'était la première fois qu'elle tenait un volant. Eva penchait plus pour la seconde option, spécialement après que la vieille aie fait remarquer que finalement un 50 tonnes c'était comme une grosse tondeuse à gazon..."non que j'y connaisse quelque chose au gazon, hu, hu, hu" ajouta-t-elle.

Maupassy releva les flûtes de son pardessus, entreprit de se rencogner (dans un coin), loin des odeurs corporelles de "ces gens-là". Tuter, ou Tuler, ou quel que soit son nom, le suivit, un grand sourire accroché à la gueule. Il lui décocha un petit coup de coude, oh, trois fois rien, c'était pire, réalisa Maupassy : un coup de coude complice.

Et en vint au fait : "Dites voir, elle est pas trop dégoûtante, cette Eva, là, des fois. Hein ?" ("clic", émit son oeuil, pardessus).

Maupassy avait envie de vomir. Il n'avait plus du tout fin.

Il aurait dû le pousser, le frapper, faire ou dire quelque chose de grand, mais ne trouva que ceci : se tourner, en haussant les épaules.

Moins d'une minute plus tard, Maupassy savait exactement ce qu'il aurait pu dire de définitif, de cinglant, s'était imaginé toutes les prises, tous les coups qu'il aurait pu exécuter, sans lâcher sa clope (s'il avait jamais fumé).

Il ferma les yeux, revisualisant une nouvelle fois cet enchaînement de paroles et d'actes, les supplications de ce Tuler, les murmures approbatifs des autres mandailles, qui n'avaient jamais osé élever la voix contre lui, et qui le regardaient avec émerveillement, et une lueur de crainte également.

Maupassy, tout à ses actes imaginaires, avait l'excuse de ne pas entendre Tuler évoquer avec d'autres malappris les rondeurs (suaves, à les entendre) d'Eva.

N'y tenant plus, Maupassy s'approcha, mimant le fait qu'il jouerait nonchalamment avec une canne de bois blond : "Elle me mange dans la main", lança til à l'adresse du cercle, qui ne releva pas. Et il s'éloigna, satisfait, tout son faciès caché sous le masque d'un d'immense détachement. Ces rustres sauraient ils au moins apprécier les marques d'une exquise modestie ?

Peu lui en châlait.

Il leur avait clouté le bec.

Non ?

Chapitre 5: Les choses tournent mal

Le camion déboucha sur une route principale, avançant cahin-caha entre les trous du sentier de terre. Ils birfurquèrent à gauche, en direction de la ville. Une trentaine de kilomètres les séparaient encore de l'agglomération urbaine, mais la plus grande partie de toute cette distance serait faite au milieu des banlieues industrielles. C'est que, puisque la nourriture était désormais faite par des machines, il fallait bien les placer quelque part. Toutes les villes y avaient gagné de grandes parcs bétonnés, à la gloire de monsieur Hausmann, tous de ferroneries et de ciment. Y étaient aiguillés tant les hommes que les molécules, dans un rythme digne des plus grands moments de Metropolis ou de Paris Qui Dort.

Lorsque Tumbler referma la bâche qui montrait une route défilant à sens inverse, Maupassy perdit quant à lui toute notion d'espace et de temps, et maugréa encore de terribles insultes envers le Canadien. Depuis qu'il avait survécu miraclement ("parfaitement, c'était moins une") à l'incendie qui avait ravagé la masure d'Auvencelle Estrechelli, il se sentait bien plus fort. Presque gaillard. En tout cas, plus osé. Il ne s'en fut que de peu pour qu'il ne dise ses quatre vérités au Nord-Américain.

Dehors, avenues et boulevards se croisaient avec la fonction d'un circuit imprimé. A va vers B et se sépare vers C ou D, selon la marchandise. Et ainsi de suite. Au centre, là-bas au loin, le Palais du Gouverneur agissait comme un aimant sur les fils de métal. Haute tour noire et perlée de baies vitrées teintées pour éviter la pénétration des rayons du soleil. Impassible. Imprenable.

Au bout d'une heure de trajet, ils entrèrent dans les quartiers chics, ceux qui formaient la Haute société de Virton. Sa bourgeoisie, son âme féodale. Son habit d'apparat chic. Maupassy jeta un oeil vers Ernesto, qui dormait paisiblement, comme un petit bébé rempli de bon lait. Au moment où ils passèrent la porte de la vieille Ville, Ernesto s'éveilla brusquement. Il regarda autour de lui et, lorsqu'il croisa les yeux de Maupassy, il s'exclama dans sa langue natale.

"Pués! ¿Donde estoy?"

De l'avant du camion, on put entendre Auvencelle, rugir à son attention d'un rire de sorcellerie.

"Je savais bien que ça finirait par marcher", fit-elle pour Eva, en lui lançant un petit coup de coude dans le bassin, le clein d'oeil en pardessus.

Mais personne, à l'arrière du camion, ne put entendre son commentaire. Ernesto s'était levé et s'en prenait à toutes les recrues qui étaient tranquillement assises sur le banc fait de lattes de bois.

"¿ Quien es tu ? ¿ Y tu ?" Il passant de l'un à l'autre, secouant les épaules, interrogeant du menton.

" ¿ Que estoy haciendo aca ?"

Finalement, dans un grand bruit, le camion freina - pchi pchi - et s'arrêta sur le bas-côté. Ernesto resta paralysé en entendant les deux portières avant claquer. Puis, la bâche qui fermait l'arrière du camion s'ouvrit sur la figure d'Auvencelle.

"Tu vas devoir parler français maintenant, comme tout le monde !"

"Que...", commença le Chilien. "Qui été vu ?" Il balbutiait un accent hispanique fort prononcé.

"Je suis Auvencelle", lui répondit-elle. Et en un instant, tout lui revint.

"Donde... Où est le garçon ?" Demanda-t-il alors. "Y la chica ?"

Auvencelle misa tout sur la discrétion de Maupassy, et lui lança fermement.

"Ils sont morts, tous les deux" Allait-il marcher ? "Tu les as tués !"

"toués?" répondit-il incrédule. Maupassy se leva d'un bond, prêt à protester furieusement, quand Tumbler l'attrappa par la queue-de-pie et le rassit brutalement. "Sale... schnoque! yanque! je...je..." "Pas bouwger" répondit le lieutenant. À l'avant se poursuivait l'opération d'intoxication. "Retourne chez le maître, à présent, et annonce-lui la bonne nouvelle." "Caramba! Yé souis plous dour qué yé croyais" répondit Ernesto, heureux. "Écoute bien, à présent: Quelqu'un viendra et dira devant toi: "Afghanistan, Bananistan". Tu fera ce qu'ordonnera cette personne." "Yé... yé...yé ferai cé qué ela ordonera" répondit-il, l'air hypnotisé. "Bien. va, maintenant, et ne te retournes pas."

"Qu'avez-vous fait???" demanda Eva lorsqu'il fut parti, d'un pas raide, dans le dédale de rues typiquement ardennaises de Virton. "Oh, un peu de suc, un peu de bave, un peu de brouet, et le tour est joué. Rien de bien sorcier, ho, ho, ho" répondit la vieille.

Maupassy ne comprenait plus rien, même s'il prenait un air entendu, jouant des sourcils, les taillant en pointe, idoines pour appuyer un demi sourire sardonique. Il regardait Tuler d'un air nettement moins convivial, tâchant au mieux de faire craquer ses jointures (une écorce de noix roulée sous son pied facilitait l'opération). Il réajustait ses petites mitaines (des gants sans doigts, très pratiques pour faire de la byciclette à Halifax ou au Kock).

"Et, Tuler, t'as vu mon curvimètre ?" demande Maupassy à Tumbler, histoire de passer le temps (et puis il est costaud, mieux vaut peut-être s'en faire un Allié, en cas de coude dur).

"Tuler" regarde le curvimètre de Maupassy comme tous regardèrent le vélo de fille de Y.v.H, le cycliste de Dammes, Paradis de la Crèpe, du genièvre et du cidre brut. A la décharge de Y.v.H, il ne s'en laissa pas compter, que non, et pédala à bon train, monture de gonzesse ou pas. Alors avoir un curvimètre ou non, avoir un mbx fleurant bon l'huile de frein et les caoutchoucs neufs ou non, quelle imprtance dans le fond ?

Le curvimètre ne fait pas l'homme (c'est l'homme qui prend la mer), le vélo ne fait pas le mollet. Maupassy rangeait son attirail, tout en chuchotant, imperceptiblemment : "Moi, j'ai un curvimètreuh".

Aucencelle s'affairait, compulsant ses écrans. Tout à coup, elle annonça : "Mes camarades, vous êtes venus de par le monde pour rallier notre cause. Je vous remercie. Vous avez répondu à la pelle du 18 juin, lancé d'un infâme boui-boui à Londres. Nous ne lâcherons pas notre proie pour Londres. L'opération "Corned Beef "a commencé !"

Maupassy était perdu, complètement perdu. Faire semblant de tout comprendre commençait àà s'avérer fatiguant (et puis ses talents de Comédien avaient leurs limites, merdre). Il avoua tout : "Hein ? Quoi ? "L'opération Cornet de Biffe" ? Qu'est-ce à dire ? Madame ? Monsieur Tuler ? Eva ? Hein ? Je me mets où ? Ici ? Madame ?

Personne ne lui jetait l'aumône d'un regard. Les visages étaient fermés, déterminés. Des professionnels. Maupassy le dandy faisait tache. Il gesticulait. Tumbler ne le lâchait pas d'une semelle. Eva remontait le bas de son pantalon, enfilait un truc en polyuréthane.

Les plans s'enchevêtraient sur le pupitre de commandement d'Auvencelle. Un curseur oblong représentait Scarlett. D'après le curseur, elle se trouvait très proche de l'intérieur de la place. "Quelle Place?", se demandait Maupassy, la main droite sous le menton.

"Scarlett est vachement fortiche, hein, Madame" ?

Un mur de silence avait chû sur Maupassy.

"Auvencelle a des yeux comme des huîtres", se répétait-il, pour évacurer la frustration.

"Des huîtres vivantes ou mortes, je ne sais encore", continuait Maupassy.

"Je pleure d'envie de lui poivrer les orbites des oeuilletons", se disait Maupassy, de plus en plus cruel.

Auvencelle se retourna d'un bond, le souffletant du regard.

Les huîtres étaient sanguinolentes.

Aurait-elle des pouvoirs de médium ?

"Cette vieille chouette, je"...Maupassy s'interrompit. Une idée brillante lui perfora l'occiput : il se mit à penser, en se forçant : "Auvencelle heu est très très gentille, je l'apprécie énormément, heu...je...Auvencelle a beacoup de mérite, heu...elle sait ce qu'elle fait, heu...je lui accorde toute confiance volontiers, je...".

Auvencelle ne bougeait pas.

Peut-être avait il rêvé, qu'il ne s'agissait juste que d'une coincidence.

"Vieille bique", ajouta t il.

Auvencelle se détendit d'un bond, et vint lui ficher un index pointu dans la panse "Toi, tu vas me dire tout ce que tu sais des parents d'Ernesto. Et puis, tu vas appeler ton banquier. Ensuite, tu me conduiras aux caves de ton domaine. Enfin, tu vas arrêter de faire l'imbécile.

Une coulée de sueur dégoulina dans le dos de Maupassy.

Et Ernesto n'était plus là pour l'esponger. Avec une éponge encore vivante. Une bien chère. De chez Harrod's. Couleur peau de chamois.

Les parents de la cave...le banquier de cet imbécile d'Ernesto...Maupassy sentit son cervelat partir en vrille. Pourquoi ne le laissait-on pas un petit peu tranquille ? Il avait envie de mordre dans une papaye. Une papaye osseuse, mais juteuse malgré tout.

Avec un soupir moqueur - du genre de ceux que l'on envoie à celui qui vient de renverser sa cuiller de soupe sur son veston en tweed - Auvencelle fit un clin d'oeil à Tumbler, qui s'empara de Maupassy par les dessous de bras. Comme s'il était une plume, le militaire le descendit du camion. Et ils se mirent à traverser la Grand-Place, océan de béton aux statues de Titans.

Ils étaient tous là, les trois Grands Maréchaux, dans leurs uniformes d'airain, resplendissants malgré la fine pluie qui pénétrait partout. Glotzmann le Fier, héros de la Campagne de l'Est, et Chaumont le Hardi, héros des Iles. Enfin, là, de l'autre côté - près de la vieille pizzeria, Mauflayer, le héraut des deux précédents. Au sol, les dalles étaient gravées à l'éfigie de Von Broum, et on pouvait y lire son cri : "Amyné, n'est point miné".

Ils descendirent quelques marches qui menaient à un parking en sous-sol, et se réunirent autour de la faible lumière d'un néon blaffard.

"Nous allons donner une petite heure au bouffon pour retrouver son maître", reprit Auvencelle, et elle fit signe à Tumbler qu'il pouvait lâcher Maupassy, qui chuuta lourdement sur le sol.

"Ecoutez", fit-il en se relevant. "Cette comédie a assez duré, pour quoi me prenez vous ? Je ne suis pas une mule, mille quenouilles !"

Les soldats eurent un rire gras, et l'air moqueur. Maupassy fronça ses deux sourcils, et prit l'air de celui qui a renversé sa cuiller de soupe sur son veston en tweed et qui tente de passer inaperçu. Eva s'avança vers lui, et lui posa délicatement la main sur le bras, ce qui eu pour effet de faire taire tous les commentaires des militaires.

"Allez, expliques..." L'encouragea-t-elle. "Parles-nous d'Ernesto..."

Devant ses yeux de biche, Maupassy n'avait jamais su rester impassible. Il sentit qu'il allait tout avouer, déballer tout ce qu'il avait sur le coeur et qu'il n'avait jamais osé dire à personne. Elle, oui elle, allait être celle qui réveillerait le petit Maupassy qui dormait à poings fermés, et le mènerait sur le chemin de l'âge adulte.

"Je..." Essaya-t-il, avant de changer brusquement d'avis. "Von Broum. C'est l'un des fils batards de Von Broum, venu là-bas des Tropiques."

Maupassy récitait son histoire, les yeux embués de larmes, tant l'émotion était intense. Auvencelle et Eva avaient les yeux rivés sur lui.

"Le vieux papa von Broum vint s'installer en face de notre manoir. Mon papa n'était pas bien à cette époque, il avait perdu beaucoup d'argent aux courses de chevaux. Le manoir tombait en ruine, les laquais nous abandonnaient par grappes. Le vieux von Broum se prit d'affection pour lui et lui proposa de régler toutes ses dettes. Mais... jamais je ne pourrai vous rembourser!, s'exclama mon papa. Allons ce n'est pas la peine, voyons, entre gentillhommes. Tout ce que je vous demanderai en échange, ce ne sera qu'un service. Un petit service de rien du tout. Un tout petit service? demanda mon papa, intrigué. Exactement, rien de grave je vous assure. Allons, n'en parlons plus, tout est arrangé. Je vais appeler mon banquier. Allons plutôt goûter un bon cru de votre cave"

"Mais quel service votre père a-t-il du faire?" demanda la vieille.

"Mais je ne sais pas, moi!" répondit Maupassy. Tout ce que je sais est que Ernesto est à notre service depuis ce moment.

"Mais qu'est-ce que cela peut-il bien vouloir dire à la fin", se questionnait Eva, à l'air libre. Ernesto serait le fils caché du père Von Broum ? Mais le sait-il lui-même ? Et si c'est le cas, qu'avons-nous fait en le relâchant alors qu'il connaissait notre lieu de repli, notre nombre, les identités de ceuux qui nous aident ?

"Tout doux, Tout doux, répliqua posément Maupassy, qui mesurait un mètre 78 et chaussait du 38.

Ernesto ne sait rien. Et je ne suis même pas certain que Von Broum fils est au courant du fin mot de cette histoire, où le mot fin n'est pas prêt de s'étaler en lettres d'airain (ancien nom d'un alliage à base de cuivre, proche du bronze. Coeur d'airain, dur et impitoyable).

"Mais Ernesto avait été recueilli au Brésil, dans sa famille" ! suffoquait Eva, qui n'aimait pas les imprévus.

"Une famille d'accueil", les Massa, qui n'étaient au courant de rien, ce qui était d'ailleurs fort profitable pour leur santé, chuinta Maupassy, comme une abeille pourvue d'un cordon ombilical doré.

"Et vous, Auvencelle, que saviez-vous ? Pourquoi avoir libéré Ernesto" ? hoquetait Eva, beacoup moins souveraine depuis quelques minutes, notait avec déléctation Maupassy.

Auvencelle ne répondait rien, semblant perdue dans ses songes.

Tout à coup, une illumination vint frapper Maupassy. Et si...et si...non !!! Cela ne pouvait être ! MMais Ernesto devait bien avoir une mère, et...il n'avait pas été confectionné dans les vitraux...Auvencelle était tellement au courant de tout ce qui se trame chez les Von Broum père et fils...Maupassy se cognait la tête en cadence, afin de s'aider à trouver une bribe de solution. Il se rapprochait... redoubla ses efforts.

Auvencelle...

Le tour que prenait toute cette affaire commençait à déplaire souverainement à la bonne vieille logique d'Eva, qui ne semblait guère aimer ce qu'elle entendait touchant à l'identité d'Ernesto. Eva ne croyait plus en Dieu depuis longtemps. Elle aimait les raviolles de homard, ce qui peut paraître plus profane, effectivement. Etait-elle une "'amie" d'Ernesto ? Ils s'étaient connus à l'âge où on se fait facilement un Ami. Ils avaient visité la Catalogne, ensemble, Eva ayant besoin d'un chaperon, d'un porteur, d'un grand organisateur. Un nestor, quoi. Ils avaient longuement discuté, ils avaient ri, dans ces lents tortillards gravissant les dunes de la Catalogne. Mais après, à leur retour au domaine, Ernesto était redevenu Ernesto...celui à qui on dit ce qu'on aimerait qu'il fasse...sans toujours terminer sa phrase par un merci...Alors, un Ami, Ernesto ? Qui était - il vraiment ? Nestor, ou le fils du milliardaire Von Broum, dont le fils, l'autre fils, veut avoir sa peau ?

Toutes les têtes se tournèrent en un tournemain : Jacques Berl, un des hommes de la troupe s'exprimant en français, hurlait :

"Inoculez moi encore une seule fois un transport du cerveau, et je vous donne le Nom de la Rose" !!!

Les équipes étaient épuisées, à bout de force. Jacques Berl tentait de s'étrangler à l'aide du fil de son Gsm.

Personne ne bougeait. A ce train-là, il en avait encore pour des heures. Il appellerait le sang, ce cul de singe à vendre, s'il était vraiment en danger (telle était la commune impression laser).

Ce petit "entracte" fit du bien à tout le monde. L'on rit beaucoup, la tension baissa d'un cran. Chacun se sentait recherché, traqué. Depuis l'irruption des sbires de Von Broum Eirschkalkenffhol au Manoir, plus personne n'avait mis un genou à l'Eglise. Plus personne n'avait glissé sa carte à puce à l'arbre d'Offrandes, ni au Confessionnal. La Police des Cultes devait être à leurs fesses, en plus des hommes de Von Broum et de la Police Sanitaire. Et Von Broum jouait sur du velours, lui qui était encore tout auréloé du titre de "Grand Bienfaiteur de l'Humanité" pour avoir éradiqué la faim dans le Monde Libre, avec ses stupides gélules inodores et in... heu in...heu sans goût.

Lorsque Von Broum eut vent du retour de son fils, de son assassin, il ne sût pas directement sur quel pied danser. Car danser, c'est bien ce dont il s'agissait. D'un pas alègre, il choisit le droit et se dirigea sur les pattes d'un gai pinson vers la salle du conseil. Etre le commandeur des Nouveaux Royaumes Unifiés n'empêchait pas d'apprécier la bonne mesure (le tout, se répétait-il, était de garder la contenance). Au fond de lui-même, et malgré tout ce dont pouvait parler le petit peuple, il se savait un chaleureux compagnon - rigolard à la taverne, confident dans les couloirs.

Il entra dans la salle sur le pied gauche, ce qui lui fit penser que la nouvelle serait mauvaise. Mais lorsqu'il reconnût le visage de son sang, il comprit qu'il n'en était rien. Il avait devant lui un visage impassible, les yeux de celui dont le crime n'a pas entaché la noirceur de l'âme pour un sou (ou était-ce "éblouir la noirceur de l'ãme ?" Se demanda-t-il alors qu'il n'avait encore mot-dit).

Von Broum, réjoui, donna l'accolade à son fils.

"Alors, Ernest, quelles bonnes nouvelles m'apportes-tu ?"

"Ils sont morts, Père" Répondit celui-ci. On reconnaissait les traits d'Ernesto, mais la voix, le ton, la manière et l'attitude étaient différents. Le frêle Ernesto avait disparu - à sa place, on pouvait deviner un homme fort, robuste et puissant. "Je les ai tués de mes propres mains."

"En es-tu bien certain ?" S'enquit le paternel, tout d'un coup inquiet. Il n'était pas rare qu'Ernest ne fasse son apparition dans des circonstances difficiles. "As-tu vu les corps ?"

Ernest, puisqu'il s'agissait de lui, tourna lentement la tête tout en continuant à fixer son père. Il huma l'air autour de lui. "Je connais l'odeur de la Mort" fit-il, macabre.

"Ah... Bien..." Fit Von Broum, décontenancé par l'attitude de son fidèle assassin. "Dans ce cas, tu souhaiteras sans doute te reposer un peu." Il s'assit à son bureau de travail, et fit signe à un valet de lui apporter à boire.

"Que dirais-tu d'un petit voyage ?" Lança-t-il, un fois rassasié. Il n'aimait pas garder trop de mauvaises preuves autour de lui, et aurait préféré qu'Ernest disparaisse un bout de temps.

"J'aime Virton, Père", lui répondit-il, impatient. "J'apprend tellement à vos côtés."

Von Broum fronça les sourcils et plissa les yeux. Il aurait besoin de trouver le moyen de détourner son attention sur un autre coin des Royaumes s'il voulait avoir la paix - maintenant que la route était libre.

Von Broum se pencha sur son bureau et remua quelques liasses de papier.

"Maintenant, laisse-moi, veux-tu, j'ai de nombreux dossiers à étudier."

"Je comprends, père", répondit Ernest.

Mais il ne quittait pas le bureau, il restait debout, raide, devant la table. Von Broum tenta de dissimuler son trouble en fronçant les sourcils, l'air très absorbé par les dossiers. Ernest était indubitablement différent. Avoir vu mourrir ses ennemis ancestraux de si près suffisait-il à provoquer un tel changement d'attitude? Von Broum ne savait que penser. "Et la vieille?" demanda-t-il.

"Elle ne m'a pas empêché de mener à bien mon oeuvre" répondit laconiquement Ernest. Von Broum était de plus en plus inquiet et agaçé. Pour qui Ernest se prenait-il? Il n'était que normal d'avoir accompli la tâche qui lui avait été attribuée. Il déserra sa cravate de brocart, la chaleur lui semblait subitement intolérable. Il essaya quelques minutes encore, de s'abstraire dans l'étude de quelques beaux dossiers, mais la présence hiératique d'Ernest empêchait toute concentration. "Assez!" frappa-t-il du poing sur la table. "Tu oublies qui commande, dans cette maison!"

Devant le peu de réaction, Von Broum ne toléra pas une minute de plus l'outrecuidance de son propre fils qui le toisait du regard, comme s'il voulait provoquer un conflit. Von Broum savait que, comme tous les vieux mâles du monde, il devenait inévitablement la proie de jeunes requins aux dents longues qui pensaient à faire main basse sur le troupeau des femelles.

"Heu non", se rectifia-t-il pour lui-même. "Pas sur le troupeau des femelles."

Ernest restait de marbre dans la grande salle, comme s'il n'entendait pas les reproches de son père. Il avait le regard fixé sur un vitrail installé en surplomb du bureau de Von Broum. La scène représentée par les éclats du verre teinté ressemblait à une allégorie de la Gloire, qui offrait sa couronne de lauriers aux jeunes vainqueurs. Derrière l'écran de son iris, on pouvait voir le jeune homme s'incarner dans la scène, recevant altièrement le divin présent.

D'un geste frénétique, Von Broum appuya sur le petit bouton qui se situait près de sa main gauche, sous la table de son bureau. Et dans un grand bruit de pistons et de liquides gras (vuiii... schmoup!), le vitrail prit une autre forme. Gloire se muta en un visage, laissant aux lauriers le soins d'esquisser une bouche. Peu à peu, se dessinèrent les traits d'une personne, au teint hâlé et au sourire plein de dents.

Les yeux d'Ernest s'aggrandir, et Von Broum sut qu'il avait pris la bonne décision. Dans ses yeux ébahis, son jeune fils sentit les larmes poindre, comme l'aube s'empare du matin. Imperceptiblement, il se mit à trembler tandis que la forme sur le vitrail faisait écho à ses souvenirs les plus profonds. Enfin, il tomba à genoux.

"Ay", fit-il avec un accent hispanique. "Mi pobre madre..."

Von Broum se leva et marcha lentement jusqu'à son fils. Il posa une tendre main sur son épaule et murmura, rien que pour lui :

"Là, c'est fini..." Dans le fond de son coeur, le vieux dictateur avait peur de son propre fils. "Tu peux pleurer, Ernesto. Je suis là."

Ernesto se faufilet sous le bureau, et appuya sur la sornette : une image beaucoup plus amusante venait d'apparaître sur les vitraux : Von Broum se colora nettement, dans une palette allant du rouge cramoisi au mauve foncé...

"Heu...oui...je travaille tellement, je...mais heu...Diable, qui a bien pu programmer une image à ce point...à ce point...leste...hein ? Ces domestiques, je...(Von Broum, tout en parlant, venait de programmer une image pieuse, sa préférée d'entre toutes : Judas empilant des ducats, une grosse larme coulant de son oeuil gauche (symbolisme!) jusqu'à sa bouche légèrement entrouverte, d'où sa langue surgirait bientôt pour gober ce concentré de sels minéraux).

Le rapport de forces venait insensiblement de se modifier, une fois de plus, à la manière d'un bras de fer fort disputé, à l'issue incertaine.

Ernesto toisait Von Broum, puis revenait aux vitraux, à la limite de siffloter.

A quelques lieues de là, Jacques Berl allait mieux, ayant pris (ou était-ce henri ?) Conscience du fait que le fil de son gsm était extrêmement facile à écarter de sa glotte, pour peu qu'il s'adjuve d'une pince à épeler : F I L E N L E V E T O I.

Devant un coup aussi bas, le fil, de type Spector, se défila en grognant, complètement bourré, chargé de ions et de violence rentrée.

Maupassy en tête, tout le monde frappa l'une de ses mains contre l'autre de ses mains, afin de produire un son agréable (peut-être était-ce là le son le plus agréable au Monde ? Ou était-ce celui d'un ruisseau, d'une source qui court, pour le voyageur égaré dans un Bled, la langue cartonnée ?)

Le campement prenait déjà un air de fête. L'on sortait les violons, la vodka pour qui était d'origine slave, le gin pour qui était américain, le péquet pour qui venait de Liège. Maupassy faisait succès avec son numéro de claquettes. Son père avait beaucoup insisté, quand il était jeune, pour que Maupassy prenne des cours de claquettes, car il était un grand américaniste. Les feux de camps s'allumaient, les saucisses de soja reconstitué étaient placées sur les piques. Chacun se détendait, après le long voyage. Non loin, en son manoir, Von Broum apercevait, à travers le vitrail qu exhibait maintenant une scène particulièrement peu recommandable, les lueurs des feux de camp de l'équipe d'Auvencelle. "Des Romanichels!"songea-t-il. "Ces gens amènent la peste et le mauvais oeil, il faudra aller les chasser". Il profita de l'occasion pour rompre la tension lourde qui régnait dans la pièce. "Demain, tu t'en chargeras, Ernest".

A quelques lieues de là et quelques heures plus tard, Maupassy avait copieusement arrosé sa saucisse d'un savant mélange de gin, vodka et péquet. "Gardezmoi la zzzchateau,LA" indiquait-il vaguement à Tumbler, montrant le manoir de Von Broum, au loin. "Moi auzzi, j'avais un Jateau... un JJJATEAU mais bien blus GRAND... maizzest tout pfrrt... gazzé, pfrrrllll" et il s'écroula pour illustrer ce qu'il balbutiait. Tumbler, écroulé lui aussi, lui tendit le gin.

Le lendemain, cheveux qui poussaient à l'envers ou non, tout le monde était debout tôt, comme il sied (voir Napoléon, Eisenhower le jour du Didé, etc...). Maupassy nourissait les bêtes de Som, le palefrenier, qui avait abusé au-delà du Bon Goût.

Maupassy, tout en chuchotant des "Mais oui c'est un bon âne ca, hein que c'est un bon âne ca, c'est le bon âne à Maupassy ca hein oui hein oui" en grattant vigoureusement le dos de la Bête (qu'il désirait, en même temps, ardemment dévorer, sitôt que le 2° amendement aurait été scrappé. Du saucisson d'âne bâté. Mmmh).

Passant du Coca à l'âne, Maupassy lui flattait désormais l'encolure, comme il avait vu faire, dans un documentaire expliquant la vie des animaux de la Ferme. Maupassy adorait ce documentaire.

Mais tout le monde se rassemblait autour d'Auvencelle, semblait-il. Il n'avait pourtant pas entendu qu'on l'avait appelé. C'était étrange, il était pourtant tout près. Sans doute devait - il être trop absorbé par sa tâche. Il abandonna l'âne à sa paille et à son fortifiant et rejoignit, gni, le Cercle qui s'était formé (il lui fallut pour ce faire jouer des épaules. L'éducation de ces gens, si elle égalait leur détermination, leur courage, serait rien moins qu'anglaise, songeait Maupassy avec compassion).

"Mademoiselle Braun", épela Auvencelle, vous sentez vous le courage d'éclairer le Monde sur vos pratiques alimentaires d' "un autre âge", et sur vos découvertes et connaissances particulières des moeurs de nos oiseaux de potence ?

Eva répondit que oui, qu'elle croyait bien que oui, que oui, bien sûr, oui, elle dirait tout, au point où on en était.

Auvencelle exposait le contenu des 15 minutes de commando télévisuel à venir : si les mots avaient un pouvoir, il leur appartenait de le prouver. Avec des mots, quelques mots, elle devrait mettre à bas la tyrannie de l'Empire de la Gélule.

Maupassy tremblait de peur et d'envie, s'avançait, reculait, cherchait les yeux d'Auvecelle, les évitait, scrutait le bout rond de ses chaussures d'alligator, triturait un rince-doigt retrouvé dans la poche de sa Battle Jacquet, goba un lézard lubrique qui l'avait pris pour un tronc d'eucalyptus, puis cracha le chat qu'il avait dans la gorge et demanda à Auvencelle, l'air inspiré, les yeux mi-clos: "Oui...oui..bien sûr...mais de quels arguments massues allez vous exciper ? Il y a, d'une part, bien sûr, c'est entendu, des malversations, de la corruption à grande échelle, nous savons tous cela...oui...oui, bien sûr, d'autre part, la fin des repas familiaux, ce lubrifiant mondain, le tralala, d'accord, mais enfin, quel coup d'estoc porterez-vous à l'Empereur de la Bouillie Transgénique, nous avons besoins de microfilms, n'est-ce pas, d'un tableau Powerpoint, vous voyez, quellque chose de..."

Maupassy rouvrit complètement les yeux, surpris, il faut bien le dire, par le manque de "hin hin" d'approbation, usuels en telle occurence : le Cercle avait bougé, s'était reformé quelques mètrees plus loin, Auvencelle continuant à pérorer, tirant la couverture à elle, s'adressant à "Mademoiselle Braun" en colloque singulier...

Maupassy se para de...de ce qu'il put, et s'éloigna ostensiblement, marchant tout droit, manquanty de tomber, les yeux aveuglés par un film salé. Ils n'auraient qu'à venir le chercher en rampant, peu lui en châlait, à la fin. C'était dégueulbif !

Auvencelle partait à présent dans une furieuse diatribe dont elle avait le secret : "Il fallait ne faire qu'un, se retrousser les coudes et se serrer les miches, où l'on se ferait à chier menu, oublions les querelles de gaucher, tous unis derrière la même barrière (comme en 68), on allait voir si on était des hommes", criait-elle, et tout le monde d'opiner du chef.

A 14 heures exactement, elle aurait accès aux canaux de diffusion de toutes les télévisions, et ce durant 15 pleines minutes, d'après les calculs de Romney, l'ingénieur informaticien surdoué capable de pirater, par exemple, le site central des gares et de faire démarrer tous les aérotreins à l'heure pile, comme du temps béni de la sauce tomate au goût si doux, la Mussolini.

Maupassy ne tenait plus en place, se recoiffant dans un grand spasme, seulement entrecoupé de fréquentes vérifications dans le miroir de sa montre à quartz. Il allait connaître, enfin, son quart d'heure de gloire, on, ce "on" regroupant le Monde Entier, le voir et l'entendre, c'était magique. Il s'était déjà fait la ligne au milieu, l'avait trouvée "cucu", s'était fait pousser les cheveux, qu'il portait mi-long, recouvrant son oreille droite, très légèrement plus décollée que son homologue, s'était relevé le tout en un chignon de bûcheron néozélandais, tellement sophistiqué, puis avait plaqué ses cheveux en arrière, comme un chef d'orchestre, ou un maffioso, avant de revenir à quelque chose de plus sage, une coiffure de collègien de la Côte Est, puis se rasa le tout, se frictionna avec du gunao, retrouva une chevelure digne de Sanson, et hurla à la cantonade qu'il fallait qu'on lui apporte une machine à frisotis.

Personne ne lui prêtait quoi que ce soit, et certainemment pas de l'attention. "Ces gens-là" préféraient suivre Auvencelle, à qui l'on fixait une oreillette à la boutonnière, où la course des récepteurs modems, que s'ingéniait à triturer Romney, ainsi que Titi, son assistant japonais à la voix éraillée.

Eva chuchotait, pour Auvencelle : "Je ferai tout ce que vous voudrez, du moins tout ce qui sera favorable à notre cause, à moins que vous ne deviez considérer que se casser un ongle nous aiderait, mais je vous en prie, cessez de prononcer mon nom comme s'il s'écrivait "Braun", Madame Auvencelle. Je me nomme Brown, vous savez. Eva Brown. J'y tiens, sincèrement. Ca peut vous paraître idiot, un caprice, mais je ne sais pas pourquoi, ca me tient à coeur. Je vous remercie, Adolphine.

"Bien , Mademoiselle Br...Br...Mademoiselle Br..."

"Bien, Eva. Comme il vous plaira".

Ernesto dodelinait de la tête. Il était malheureux que son père, disposant librement de satellites et d'hardis généraux, confonde Auvencelle, Eva, Maupassy, avec des Gens du Voyage. La vieillesse est un naufrage, songeait-il.

Il informa son père du fait qu'il allait se coucher, devant se lever tôt, pour leur plus grande Gloire à tous les deux.

Von Broum pensait encore un peu travailler, il avait quelques rapports à éplucher, ainsi qu'une carotte à lire.

Ernesto n'avait rien compris à cette dernière phrase. Il avait faim, il avait envie de justifier les moyens.

Il prit congé (il lui en restait donc 18 jusqu'à la fin de l'année civile, sauf s'il pouvait exciper d'un Certificat Médical. Il connaissait un rebouteux conciliant, le Docteur Idnac, défroqué par son Ordre pour avoir conseillé à une mère de nourrir son nourrisson - c'est une jeune enfant, pas un animal piquant qui aime le Miel - avec du lait de femme. Une sombre histoire).

Maupassy continuait à marcher, il avait pris la direction de son Manoir. Il était déjà à plusieurs minutes de marche (rapide, comme il sied lorque l'on est courroucé) de l'Atrium et du Cercle des poètes disparus, comme Maupassy les appellerait dorénavant.

"A gentleman is a man who can play the bag pipe and who does not", songeait-il.

Un gentleman, c'est quelqu'un qui sait jouer de la cornemuse, mais qui n'en joue pas".

Une longue silhouette noir le suivait, l'imitant en tout. Il s'arrêtait quand il s'arrêtait (et repartait quand il redémarrait !).

C'était son ombre, qui le suivait comme...comme...

Ah, Maupassy pestait : sans viande rouge, son cerveau patinait, et patinerait encore longtemps, si ses réserves avaient été saisies.

Il accéléra la cadence, s'imaginant simple chiourme, au sein d'une galère ibérique, en partance pour le siège de Tunis (par exemple).

Sa tête cognait dur, en plusse.

Maudit Tuler.

Du whisky ! Un chouette nom, mais rien de plus ! Rien n'est plus rude à avaler, à part les trucs où un crapaud dort dedans...

Dans les pays civilisés, on boit du vin !

En bifurquant à gauche, il rejoindrait bientôt Martha's Vineyard, à moins que tout n'aie bougé durant la nuit. Mais l'on était une année paire, les quartiers n'avaient donc pas été à nouveau dispatchés selon ce système de plaques tectoniques mobiles, interchangeables, propres aux nouveaux impératifs de mixité sociale. Son Manoir était donc toujours en pleine banlieue. Avec sa longue enceinte d'ondes bordant toute sa propriété, il ne risquait rien, de toutes façons. Et il aimait cette ammbiance "artiste", ces quartiers qui vivent la nuit.

Dans les beaux quartiers, Romney dansait une gigue : il venait de craquer le dernier cryptage de la Toile.

A 14 h 00, le Monde saurait.

Jean Bond enfilait un smoking cintré, Auvencelle était dans le car de diffusion, Eva mordillait sa lèvre inférieure. Tout était prêt.

Maupassy entra dans un Bistro, commanda un Café - Crème, et s'installa devant le mur écran.

Une compétition de Croquet indécise en diable menaçait de happer un peu de son temps de cerveau disponible. Le grand champion Indien, Par Krischnan, déroulait. Maupassy raffolait du Croquet.

"Allons les rouges et blanc", psalmodiait-il discrètement (il n'était pas seul).

Jacques Berl le prenait mal : on était un Team, d'accodac, mais il s'estimait bien meilleur que Romney, un trifouilleur d'arrière-garage, comme Bill Portes. Lui, Jacques Berl, avait été à l'Ecole des Ingénieurs. Il s'y était intégré.

Il pouffa, bien malgré lui : comment reconnaît-on une dérivée à un bal de cosinus ? C'est la seule qui s'intègre (ou en tout cas, ca y ressemblait fort). Jacques Berl avait toujours adoré l'Humour, qui est le sucre sur la couque qu'est la Vie.

Ce moment de franche rigolade passé, il se dirigea vers Auvencelle, à nouveau furibond :

C'est pour faire revenir Thomass que tu as introduit Romney, ou bien c'est juste pour te moquer ? Hein ? Hein ? Réponds, ordure.

Auvencelle, légitimement piquée par ce ton un rien cavalier, répliqua fort posément (voyez plutôt) :

Mais ? Jacques ? Je n'ai jamais introduit Romney, je le connaissais à peine, voyons !

Quant à Thomass, pour le faire revenir, j'utiliserai une poele portée à vif, et de l'huile de colza. Il se mêlera lui-même de ses oignons.

"Je...oui", bredouilla Berl. Vivement 14h00, Madame.

"Caffè...Caffè...Caffè con lecce Caffè, chantait doucement Maupassy, en son estaminet. Il avait totalement oublié l'Emission de 14h00, le Piratage, tout ce qui avait chamboulé sa vie ces dernières 168 heures. Il était libre, comme il l'avait toujours été. Il profitait, vivait comme un Poisson-Chat, les moustaches mises à part (alors que normalement, c'est le Mou, qui est mis à part. Pour le Poisson-Chat. C'est ce que disait Poisson-Ma-Dalton, en tout cas. Maupassy l'avait Poisson-lu).

Il était bien.

Pour pleinement profiter de ce match de Croquet, seule, peut-être, lui manquait la compagnie d'un Ami, à qui hurler "T'as vu ca ? Mais dis-moi pas que c'est pas vrai ! Un péno gros comme ca ! (en mimant la taille d'un brochet, pêché la semaine précédente, avec des dents... comme ça).

Maupassy balaya du regard le troquet, à la recherche de quelqu'un avec qui partager l'émotion intense qu'il ressentait. Le croquet, ce sport magnifique qui exigeait une précision chirurgicale, une concentration infinie et un esprit d'équipe sans défaut, l'avait toujours passionné. La boule passant entre les arceaux lui évoquait un électron dans un cyclotron: la puissance à l'état pur. Le bruit du marteau, le regard concentré des athlètes, Maupassy vibrait à l'unisson. "Allez!" criait-il, le bras levé avec deux doigts en l'air, afin de se faire apporter entretemps un autre café-crème, un double.

Le patron de l'établissement, en ce même moment, comparait une photo de Maupassy, gardée derrière son bar, avec l'original gesticulant fiévreusement en face de l'écran.

Le tenancier était, comme souvent, un factotum des services de prévention-répression. Un indic, quoi. Une balance. Par rapport à son relevé anthropomorphique, sous le "Wanted" s'étallant en lettres grasses (et puantes), le gaillard avait le cheveu un peu terne (Maupassy n'avait trouvé de laque "reflet auburn" chez la Vieille).

Il allait appeler la cavalerie. Le brigadier Starck serait content, et lui passerait ses parties de poker et ses paris dans l'Arrière-salle. Une récompense était prévue. Elle était coquette. Plus que coquette, même. Le tenancier repassait des yeux sur les zéros. Une faute de frappe ? Un poisson d'avril ?

Il était 13h 58.

Le tenancier décrochait son Communiqueur.

Starck était sur la route, du côté de Fairbanks.

Il pouvait laisser un message.

Il préférait rappeler dans 5 minutes, mais que la liaison soit établlie avec Starck, coûte que coûte, ou il lui en cuirait.

Votre nom ? deanda t'il au plancton.

Heu....heu...Dupont, répondit l'autre. Avec un D, ajouta t il (pour faire crédible).

Pas convaincu pour un sou, le tenancier (appelons-le Marcel, ou Joe) raccrocha après avoir bien mis en mémoire la tête de vainqueur du répondeur vivant.

Vers 13 h59, la réception du match de Croquet se brouilla, en même temps que les oeufs dur dans la poele en fonte.

Maupassy hurlait. "Mais qu'est-ce que...mais qui m'a foutu...mais faites QUELQUE CHOSE, mais...Monsieur...s'il vous plaît...le Croquet...a pu...".

A 14h00, après quelques nouveaux grésillements, puis l'apparition succincte d'une mire, puis le défilé désordonné d'une succession de chiffres, de formules, un visage apparut à travers la grisaiile, un visage qui devenait de plus en plus net au fil des secondes.

Comme cette Jeune Dame ressemble à Eva, songeait Maupssy, troublé.

Eva !!! Glapit Maupassy !

"Plus fort, aubergiste, plus fort" !

...."Et nous allons donc démontrer, disait le sosie d'Eva, disait Eva, que la société Schimmelpfennig, aux mains d'un consortium censé celer la présence du sieur Von Broum, alias le "Bienfaiteur de l'Humanité, Gélule Man, le Tueur de la Faim", a délibérément inoculé non les mouches, mais les vaches (vache folle), les poulets (grippe aviaire), les moutons (langue bleue), les pesquidés (dyoxine), jusqu'à interdire, par mesure "prophylactique" (d'ou l'intérêt du correcteur d'orthographe).

Voyez plutôt ce petit film montrant Von Broum père, assisté du Professeur Gerbé Mengele, dans un laboratoire de la Firme Schimmelpfennig...

Des images montrant Von Broum Père, entouré d'animaux de toutes espèces, étaient à présent diffusées.

Tout l'estaminet n'était pluus qu'un seul homme, les yeux rivés sur l'écran, les bières, les Suze Cassis, les Wiskhies abandonnés par leurs légitimes propriétaires.

Les bouches s'entrouvraient, sous le poids des révélations.

Maupassy était tétanisé.

"La vieille ne débloquait pas " ? "La Vieille...mais...et moi ? Je sais des choses !" Je...Me carapater...Trop tard....je....".

Des dizaines de voitures d'intervention filaient, toutes sirènes chantantes, dans la direction d'où Maupassy était arrivé, moins d'une heure plus tôt. Certains marins se jetaient à l'eau, subjugués.

"Faire quelque chose", "Eva", eut encore le temps de songer Maupassy, avant de pivoter sur lui-même, et de s'abattre comme une maquette de F 16 lancée par un enfant présomptueux.

Le choc le réveilla à moitié, mais seulement à moitié. La retransmission se poursuivait. "Les sirènes, attention", zézaya encore Maupassy pour lui-même.

Quelques minutes plus tard, ou était-ce des heures ? il vit l'aubergiste s'approcher de lui, le soulever, appeler un petit commis, lui chuchoter des choses, se vit voler jsque l'épaule de l'Honnête travailleur, qui l'emmenait vers l'Arrière Salle, en lui disant tout bas "Tout ira bien, maintenant". "Et dire qu'à deux minutes près"...

Un client sortit de l'établissement, les pans de sa longue veste relevés.

Maupassy finit par ouvrir les yeux. L'arrière salle ne disposait d'aucune fenêtre, mais il snetait qu'il devait déjà faire sombre, peut-être même faisait-il déjà nuit.

Tout lui revenait, petit à petit.

L'émission, les révélations monstrueuses, Eva, Eva surtout...

Maupassy se rendait compte qu'en fond sonore, le tenancier lui parlait, Dieu sait depuis combien de temps (combien de temps, Dieu ?) :

" Vous me remettez ? J'avais voulu engager votre Majordome, il y a quatre ans. Je lui avais demandé de t... de supprimer ma femme. Ne vous inquiétez pas. Je ne veux pas lui causer de soucis, il a fait son boulot. Et moi j'ai épousé cette autre femme que je voyais. Nous sommes très heureux. Enfin, nous étions heureux... Aujourd'hui, c'est plutôt... on se lève, on prend notre petit déjeuner et... quand je croise son regard, je sais ce qu'il veut dire, je l'ai déjà vu. Désolé. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ma vie. Vous vouliez juste prendre une bière, excusez-moi.

De toute façon, vous feriez mieux de rester ici : le couvre - feu a été décrété, les centrales ont été mises à l'arrêt, personne ne sait ce qui se passe.

Vous avez vu cette émission ?

C'est invraisemblable. Vous y croyez, vous ? Ca n'a pas le sens commun. Vous imaginez ca ?

On tiendrait nos cerveaux par notre bouffe ? Des euphorisants, en plus des vitamines, pour empêcher toute contestation de la politique sociétale, pour empêcher tout mécontentement ?

Et qu'est-ce qu'on ferait, quand bien même ce serait vrai ? On boufferait des racines ? Et si on arrêterait les gélules, on choperait une dépression, recta, ca vous intéresse, vous ?

Moi, je suis content comme je suis, je suis beau, je suis intelligent, j'ai un boulot formidable, une femme formidable, des enfants formidables, je vis dans un quartier formidable, j'adore mon pays, on est gouverné par des gens très instruits, très compétents, qui se plient en quatre pour nous, et on voudrait que ca change ? Non mais ca va pas, non mais ils vont arrêter de nous faire lamper, ces terroristes, non mais vous avez vu ces renégats, ces Gevara de gouttières qui veulent nous faire revenir aux Temps Anciens, aux guerres, aux famines d'un côté, à l'obésité de l'autre, aux dépressions, aux cancers ?

Qu'on me les pende, oui, non mais quoi ? Encore un petit fils de magnat de l'agro alimentaire qui veut revenir à ces petits privilèges de richard, pas vrai ?

Vous en pensez quoi, vous ?

Hein ?

Monsieur ?

Maupassy tremblait.

Il fallait qu'il se reprenne, qu'il se reprenne maintenant.

il allait...il allait...AGIR.

Qu'est-il arrivéà ces...heu...terroristes ? demanda t'il à l'Honnête Homme.

"Pouic", fit l'autre avec sa bouche.

"Volatilisés".

"A part une vieille femme, que les Unités Pastorales de Von Broum ont cueilli comme un fruit mûr".

Maupassy verdit. Capturés? Cela voulait-il dire que la responsabilité de sauver tout le monde, régler toute l'affaire, vaincre tous les ennemis et affronter tous les dangers reposait maintenant sur ses seules épaules? Il en eut des suées froides. Et ce crétin ne se rendait compte de rien et continuait à déblatérer devant lui... Ceci dit le crétin lui avait sauvé la mise etl'avait tiré d'un chausse-trappe... Les émotions contraires s'empilaient dans son cerveau, obstruant le raisonnement. Il aurait voulu être à la maison, à l'heure du dîner. Un voile de désespoir s'abattait devant ses yeux.

"Monsieur?" L'aubergiste lui pinça le bras. "Il ne faut pas rester là. Les troupes administratives peuvent faire irruption à tout moment. Irma va vous préparer une couverture, les nuits sont fraîches."

Maupassy se sentait dans la peau d'un Scout, au moment de partir en hike sous une averse torrentielle. "Mais... ne pourrait-on pas me servir un autre café-crème, il doit y avoir un match-retour, je..."

"Allons..." l'incita le tavernier. Il n'y avait pas d'autre issue, il fallait se lever. Il était le plus malheureux du monde, jamais on ne l'avait habitué à tout cela.

Pourtant, Maupassy n'imaginait pas à quel point la situation allait bientôt empirer.

En effet, la boule de cristal de la sémillante Irma l'avait induite en erreur : non, Maupassy n'avait pas faim, ou plutôt si, il avait très faim, mais non, il ne souhaitait pas une gélule verte au titre de repas du soir.

Et non, une bleue non plus.

Pas plus qu'une jaune, non, persifla Maupassy.

La pauvre servante ne savait plus quoi proposer : une orange, à cette heure-ci ???

Maupassy claquait des dents de chagrin, de colère, de désepoir mêlés.

Il aspirait à quelque chose de fort en sauce.

Ou quelques pâtés en croûte, un camembert coulant, ...

Mais il ne pouvait rien demander de tel, sous peine de se retrouver, dans le meilleur des cas, confonté à un refus glacial, horrifié, à une incompréhension totale.

Dans le pire des cas...ne pas penser à cela. Eva. L'atroce sort que leur réservait le Minotaure, cette petite fiotte de Von Broum.

Von Broum... à qui il mettait des coups de pied dans le fondement en rigolant bien fort, l'écrasait au ping pong, malgré la différence d'âge importante, et qui est devenu un des 'hommes' les plus puissants de l'hémisphère gauche.

Il était seul (contre une Armada).

Et désespéré (comme de juste).

Il demanda une gélule de fête, une rouge et blanche.

La dopamine et les endomorphines feraient rapidement leur petit effet.

Il goba l'immonde carapace gélatineuse avant de se laisser tomber dans un mauvais fauteuil de Poker.

Que ferait un super héros, à sa place ?

Il avait envie d'un Martini.

Deux gélules et quelques Martinis plus tard (cul sec!), Maupassy se sentait déjà nettement mieux.

Et pourquoi pas un long voyage...dans une contrée sauvage, heu...très lointaine, songeait-il.

Le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page, après tout.

Même Saint Augustin l'invitait à partir, à visiter le Grand Monde, à eter ses pas dans ceux de Stanley et ceux de ...hum...un autre explorateur de sa Grâcieuse Majesté. Pierre vivante !

Maupassy commençait à s'échauffer les sangs : il voyait le Tibet, il voyait le Continent Noir, il voyait la Cordillère des Andes. Il voyait la route des vins, au Chili, il voyait un refuge de montagnes, en Suisse. Il voyait Madère, et ses jardins suspendus. Il voyait une petite île, dans le Golfe de Madagascar. Il voyait...Shangai. Il voyait l'Australie.

Et puis il vit Eva.

Satané Martini.

Il rangea, mentalement, sa Mappemonde aux accents de sirène.

Les sirènes...

Fare quelque chose (ce n'est point une faute de frappe, mais de l'italien)...mais quoi ?

La nuit porterait conseil.

Irma dormait déjà, comme un renard pelucheux.

Cette taverne était vraiment bien tenue.

Ces quelques mots d'italien, ajoutés au martini, avaient rempli Maupassy de force, d'intelligence mais aussi de lassitude. Il fallait faire travailler son cerveau, plutôt que ses muscles. En grandissant, il avait bien vu que ni Rocky ni Rambo, ses héros secrets d'enfance, n'arrivaient à formuler de profonds raisonnements philosophiques et/ou mathématiques. Si ils étaient secrets, c'était bien entendu parce que son papa lui interdisait de tels divertissements, ses heures libres étant consacrées aux leçons de flûte à bec, tant importantes pour le développement de l'enfant.

Il repensa à Pirlouit, un autre de ses héros. Pirlouit, grâce à ses talents de chanteur, était parvenu à gagner la confiance d'un seigneur, ensuite, il lui fit manger une nourriture extrêmement piquante, suite à quoi le seigneur n'eût d'autre solution que de vider plusieurs cruches de vin que Pirlouit avait judicieusement préparées. En conséquence, il tomba dans un profond sommeil et Pirlouit pût s'emparer de la clé. Maupassy ne se rappelait plus très bien des détails, mais l'intelligence et l'audace de Pirlouit avaient payé une fois encore. Il devait en prendre exemple. Il inspira profondément.

Von Broum, sur le coup de 14h00, dirigeait l'importante réunion annuelle des Bienfaiteurs-actionnaires.

Y figuraient le Comte Mordock, la billiardaire Poutina, l'infect Berlute, ainsi que quelques autres charognes, toutes actionnaires de la boîte à malices de Von Broum (surnommé "Le Petit" derrière son dos sinueux).

Von Broum s'était levé dans un grand déploiement de taffetas de soie et avait directement pris la parole par le cou : écoutez plutôt :

"Pour notre entreprise, la question du secret des ingrédients de nos gélules soulève à la fois un grave problème éthique et un petit problème économique. Si personne n'y voit d'objection, passons directement au problème économique").

A ce moment, alors qu'aucune main ne s'était levée (sauf celle de Mordock, qui souffrait de squames et venait de s'en arracher une, l'agitant à la ronde), une secrétaire bardée de diplômes inutiles vint llui chuchoter à l'oreille (chuchotte chuchotte).

Von Broum blêmit de stupeur, ses jointures se blanchirent sous la pression, les premiers bruits de craquements de ses doigts apparaissant comme un orage qui commence, par les premières gouttes annonciatrices du déluge).

Le grand plafond s'alluma avec les images de la petite causerie d'Eva.

Tout le monde fit pivoter son rocking chair en position couchée, afin d'assister à la diffusion.

Le portait d'Eva (très en forme, remarqua Von Broum avec dépit, avec regret, mais également avec une envie teintée de jalousie envers le preneur de son, qui respirait le même air qu'elle) s'affichait en grand, en très grand, et sa voix faisait frissonner les gros bonnets présents, en dépit de la chaleur constante des bureaux moquetés).

Von Boum lançait des ordres, en chuintant.

Sa garde rapprochée ratissait déjà le périmètre de diffusion, obtenu par trigonométrie.

La trigonométrie.

Von Broum essuya une larme.

Les brouilleurs entraient en action...le portait d'Eva se faisait plus trouble, comme s'il se reflétait dans l'eau d'un lac à moitié gelé.

Une larme tomba dans l'eau endormie de ce lac baignant auprtès de la Moskova, théâtre du début de la chute de l'Aigle, en 1812.

Ernesto arrivait, soufflant beaucoup.

Il marchait comme s'il avait fait sous lui.

Maupassy ne savait plus sur quel pied danser. S'il était vrai que le monde est un livre et ceux qui ne voyagent pas n'en lisent qu'une page...et bien...comment dire...Dans un voyage, le plus long est d'arriver à la porte.

Et puis Maupassy connaissait la Nature humaine.

On jaserait.

On dirait que ce n'était pas du tout pour voyager, qu'il avait horreur de cela, qu'il ne pouvait pas s'éloigner du lit où il avait vu le jour, que s'il partait, c'était uniquement pour...pour fuir...

Alors que les charmes de l'Orient...

Maupassy serait bien parti, mais il ne savait pas comment réserver un voyage.

Fallait-il des cartes, des devises, dans quel hôtel descendrait-il ?

Un petit couteau, de la ficelle, une pharmacie, avec des garrots, et puis la fièvre jaune...que fallait-il faire, déjà, pour s'en prémunir ?

Des moustiques gros comme le poing.

Ok. On allait voir ce qu'on allait voir.

Maupassy va RESTER, Maupassy va sauver le monde, en commençant par EVA (ce Tuler attendra), éradiquer la chienlit.

Maupassy n'est pas une lavette, et ceux qui pourraient en avoir douté l'espace d'une seule seconde n'auront plus assez de doigts pour se les bouffer.

Maupassy regarda à droite, espincha à gauche.

Personne.

"Ca va .hier", hurla t'il tout doucement.

Ibidem, mais plus fort, staccato.

Maupassy le savait (oui, il le savait), il allait lui falloir respecter comme sa Propre Mère la règle numéro 2.

Et la règle numéro 2, c'était de toujours se plier corps et âme à la règle numéro 1 :

"Agir prudemment, puis s'élancer comme un Tigre".

Il tenait cette règle de Thomas, son Maître d'armes.

Maupassy maîtrisait à la perfection le premier volet de la règle.

Pour la seconde, il serait toujours bien temps d'agir prudemment.

Maupassy se jaugeait dans le miroir, plissant les yeux, le regard bien droit, fiché dans ses yeux.

Il ne détourna pas lle regard.

Et prononça, à mi-voix : "Garde toujours ta belle lucidité, Momo".

Maupassy ouvrit prudemment la poterne qui donnait sur la rue. Il s'était recouvert de la couverture qu'on lui avait donnée. Il fit quelques pas. Partout, placardés sur les murs, jonchant le sol, des tracts sur lesquels figurait une grossière caricature d'Eva, dans une tenue de soldat, avec une ceinture de balles de fusil à l'épaule et une mitraillette dans les mains. Maupassy n'arrivait pas à distinguer ce qui était écrit en dessous, et il s'approcha d'une des affiches collées au mur. Il lisait encore consciencieusement lorsqu'il se rendit compte qu'il était entouré de soldats dont la tenue relativement indisciplinée indiquait l'armée en manque de fonds.

"Il s'intéresse beaucoup à la petite, celui-là."

"On dirait même qu'il la connaît bien"

"Non, je..."

"Peut-être qu'un petit tour avec nous lui rafraichirait les idées"

"Non! Non! Je ne la connais pas!"

Un grand gringalet s'approcha, lui souffla la fumée de cigarette dans la figure et lui arracha la couverture avec laquelle il se dissimulait. Il le scruta dan les yeux. Maupassy se sentit tétanisé par la peur.

"Tu en es sûr?"

"Jamais, non, jamais je n'ai vu cette personne de ma vie!"

Le coq chanta trois fois...

Le voyage est court. Essayons de le faire en première classe, songea Maupassy.

Maupassy : "Les amis, vous devez être fourbus, hein, pas vrai ?"

Qu'est-ce que vous diriez d'un bon petit gueuleton, dans l'auberge ci-devant, je connais le patron, c'est comme ca (il embrassait trois de ses doigts rassemblés).

La Lange Tûût souffait maintenant son tabac bon marché de côté, épargnant le mueseau de Maupassy.

Un petit noireau se rapprochait : "Elle est chouette, ta montre, on peut l'essayer ?"

"Elle est à vous, oui, elle est jolie, n'est-ce pas, je l'aime beaucoup, elle est à vous, aha".

Se disant, il entreprit de défaire son bracelet-montre.

Le cercle se faisait plus serré, à mesure que tout le monde se rapprochait pour voir la beauté du cuir (du croco), l'étincellance nacrée (si, si) du boîtier, la perfection du mécanisme haute complication...

Soudainement, Maupassy cria "Surprise, qui c'est qui l'attrappe qui c'est qui l'aura", et lança la petite merveille une dizaine de mètres derrière la troupe, vers un petit coin peuplé de hautes herbes et de détritus.

Commes des piranhas affamés se jetant sur un foie de génisse, la soldatesque farfouillait dans les sous-bois à grands coups de poussées, d'invectives, on aurait dit des bêtes.

Maupassy, écrasant une larme au souvenir de cette montre achetée à Quartz, près de Vienne, se faux-filet dans l'obscurité ténébreuse des nuits d'exception (le couvre-feu avait été décrété...heu....par décret).

Maupassy courait sous les taillis et sans s'en rendre compte, s'éloignait de Virton. Quelques minutes plus tard, il avait perdu tout sens de l'orientation. Le désespoir s'empara immédiatement de lui. Cela, ajouté à la récente perte de sa montre, lui rappela cruellement comme il avait chu, il avait perdu son château, son personnel, son orgueuil, son élégance, et même son beau costume de brocart n'était plus qu'une loque couverte de taches de boue. Il s'assit sur le sol et passa de longues heures à se lamenter avant de sombrer, épuisé, dans un profond sommeil.

Au même moment, Von Broum descendait les escaliers en colimaçon qui menaient aux catacombes de son manoir-casemate, où étaient installées ses prisons, salles de torture, cuisines et piscine couverte de luxe. Il pénétra dans le hall principal,au plafond duquel étaient pendues par de grosses chaînes de nombreuses cages d'acier, certaines occupées par un prisonnier. Il s'approcha de l'une d'elles, immédiatement suivi par un médecin muni d'un porte-documents.

"Vous voila finalement en mon pouvoir, ma chère Auvencelle", scanda-t-il.

"Tu ne boufferais pas un bonbon à la menthe, vieille fiente ?" s'enquit Auvencelle, l'index et le pouce obturant ses orifices nasaux blessés.

Von Broum blêmit.

Au même moment (décidément ?), Maupassy émergeait de son micro sommeil de dix secondes environ, scandant, virevoltant : "Celui qui refuse d'engager le combat n'y est pas vaincu. Mais il est vaincu parce qu'il ne s'est pas battu, n'a même pas osé se battre. Je veux me bâtir, je me battrai", psalmodia Maupassy, les dents serrées, les yeux plissés, à la limite de "faire grr".

Auvencelle poursuivait : "J'avoue tout, si la torture consiste à devoir supporter ta vue, crapaud débilitant, si je dois supporter de sentir ton fumet d'employé, j'avouerai tout, libérez-moi, où dois-je signer".

Von Broum était défait.

Merde, quoi, il la tenait enfin, il était le Maître, et voyez comment il était traité.

Ce n'était pas Fair, il avait gagné, et bien voilà, il méritait soumission, respect, crainte, pas une bordée d'injures et de bois vert.

"Tu sens la tripe froide et le chicot d'édenté, Von Broum".

C'en était trop.

Von Broum cherchait des yeux la cage où devait reposer Eva.

Avant cela, il distribua un grand coup de pied à la cage d'Auvencelle, et se fit très mal.

Une idée lumineuse le prity, et le ragaillardit quelque peu.

Il ferait servir un repas conveable à Auvencelle, elle le mangerait, et après, il lui dirait qu'il avait craché dedans, et fait un peu pipi.

Ses épaules étaient secouées par le rire.

Il était heureux.

Ah, voici la cage d'Eva.

Oho.

Elle semblait en colère, le regardant avec l'air mauvais, les mains accrochées aux barreaux de sa cage sphérique.

Heu.

Von Broum fit demi tour.

Il ne voulait pas voir gâché son tout récent plaisir.

Dans sa fuite (non, pas sa fuite - plutôt sa recherche de solution alternative), Maupassy avait traversé les limites communales de Virton. Il avait couru au moins des heures, et s'il avait encore sa montre, il aurait même pû se le confirmer. En son absence, il ne pouvait se baser que sur sa propre expérience. De toute façon, il n'avait jamais aimé la course à pied. Non, ça, on pouvait le dire. En revanche, au côté des boitiers de rocky et Rambo qu'il avait caché durant toute sa prime adolescence, comme symbole d'une virilité encore incertaine, il avait soigneusement rangé un manuel de scoutisme. Maupassy aurait aimé faire du scoutisme. Oui, ça par contre, on pouvait bien le dire! Courrir dans les bois, faire des azimuts, chercher de l'eau dans le puit, ou la mousse sur les arbres. Perdu qu'il était dans la campagne ardennaise, Maupassy se mit à chercher la mousse sur les arbres, histoire de savoir où se trouvait le nord. "Ne perd pas le nord, Momo", se souffla-t-il pour se donner du courage. Enfin, il découvrit un chêne. Du moins cela y ressemblait. Le vieux fourbu était couvert de mousse. De tous les côtés. A y regarder de plus près, il semblait presque avoir explosé de mousse. Et d'ailleurs, ce n'était pas un chêne, c'était un marronnier. Et nous n'étions pas à l'époque des marrons. "Dommage", pensa-t-il, car un bon cornet de marrons chauds serait tombé à point pour le faire. Le point. Et puis, en faisant le tour de l'arbre, il s'aperçut que l'ombre menaçante du palais de Von Broum scintillait de mille lumières. Lá-bas, dans le lointain. Pas si loin que ça finalement. Maupassy conclut que dans sa course, il avait du faire de nombreux détours pour semer les militaires. Car il n'était pas si loin de Virton que ça, finalement. Tout au plus quelques centaines de mètres. Allez, cinquante. Sentant un arc électrique glacé lui parcourir l'échine, il fit un pas en avant, dans la direction du palais. Puis se rétracta. "Tout de même", cogita-t-il. "Je n'ai même pas d'arme..." Et dans sa tête, apparut l'image mémorielle d'Eva. Eva, en larmes. Qui l'appelait. Elle l'appelait. Lui. Maupassy. Eva savait bien comment obtenir des choses de Maupassy. La dernière fois, elle l'avait même forcé à jouer devant l'Orgue.

Eva et Auvencelle communiquaient en langage Morse, avec les pinces (ou barettes) de leurs cheveux.

Auvencelle montrait une longue barette, puis une courte, et Eva lui répondait par le même stratagème.

Depuis ce matin, Auvencelle avait déjà noté 68 longues, et 84 courtes.

Qu'est-ce que cela pouvait-il bien vouloir dire ?

Ces morses n'auraient ils pas pu mettre au point un langage fait de borborygmes, nettement plus commode ?

Cela donna une idée de génie à Eva, dont la cage ne se trouvait qu'à quelques 5 mètres de celle d'Auvencelle.

"Auvencelle", chuinta Eva.

"Oui", répondit celle-ci, sur le même mode.

La communication était établie.

Elles parleraient en néerlandais, décidèrent elles, afin d'éviter qu'un Garde un peu trop curieux (il s'agit souvent de véritables pipelettes !) s'intéresse de trop près à leurs différents plans d'évasion.

Ce qui ne manquerait pas de compliquer celle-ci singulièrement, s'ils étaient sagaces.

Potferlop, zei Eva, wat was Maupassy aan het doen ? Woâr wos ie ?

"Mijn t elders is rijk", opinait Auvencelle Dubonnet. (Mon t ailleurs est riche, - intraduisible - Auvencelle Vandemuts)

"Ek nie wie nie!!!" ajouta Auvencelle. "Mo u spriek tog nie slechts vloems!" répondit Eva. "Maupassy es toch gien knuffelkop hoor, wie moe nu nie kwaadkip loepen!"

Auvencelle fit celle qui avait tout compris. "Vraiment!" pensa-t-elle, "Cette petite a de nombreuses facettes cachées...". "Certes!" chuchota-t-elle. "Pouvons-nous vraiment compter sur Maupassy? se demandait-elle. J'ai misé beaucoup trop sur ce garçon. Manifestement il n'était pas préparé à tout cela. J'ai commis une erreur. Une erreur qui pourrait nous coûter cher. Mais notre plan court toujours. Nous pouvons encore gagner la partie..."

Pendant ce temps, Von Broum, écumant de rage, remontait les escaliers vers son bureau. "Sale vieille peau!" ruminait-il. "Tu va voir quel bon plat tu va manger ah, ah, ah! Tu m'en diras des nouvelles". Lorsqu'il arriva sur le dernier palier il aperçut Ernest qui l'attendait davant la porte. "ERNEST!!!" hurla-t-il. "Tu m'avais pourtant affirmé les avoir tués!! Bon-à-rien!" il se saisit d'un parapluie pendu au porte-manteau et entreprit de le frapper. "Tu mérites une bonne correction!"

Ernest, au lieu de se rouler en boule comme c'était l'usage en ces scènes de cruelle violence domestique, fixa Von Broum dans les yeux et para le coup de l'avant-bras. Von Broum s'arrêta, décontenancé. "Je ne mens jamais, Père. J'ai bien ôté leurs vies comme je vous l'ai rapporté". Il attrapa ensuite le parapluie d'un geste sec et le brisa en deux. "Ne me menacez plus, père." dit-il encore avant de tourner les talons.

Von Broum suait abondamment. Il se précipita dans son bureau et se versa un copieux verre de Mandarine Napoléon, sa boisson favorite.

Pendant ce temps, Ernest errait dans les couloirs du manoir tel un zombie. Il croisa quelques gardes qui se mirent immédiatement au garde-à-vous, cachant le paquet de chips dans l'objet décoratif le plus proche. Il était en effet interdit de consommer des chips durant les heures de garde, la règle valait dans tout le pays. Il existait cependant, dans tout la milice, un vaste marché noir, dont les ressources venaient depuis le Bengladesh, le Malawi et le Kazakstan.

"Tu as vu le fils du patron?" demanda une recrue à son voisin quand le danger fut passé et qu'ils avaient repris leur dégustation, chacun d'eux puisant dans un sachet individuel, l'un parfumé au paprika, l'autre, plus traditionellement, au sel.

"Il en tient une belle!" répondit ce dernier. "Il te reste du paprika?"

"Achètes-en toi même, hé, ho, il n'y a pas écrit mère théresa." Il s'éloigna immédiatement car il est bien connu que la convoitise entraine, chez l'être humain, le recours à la force.

Le soldat avançait à pas pressés lorsqu'il passa devant le bureau du patron. Il fit encore quelques pas avant de se rendre compte qu'il venait d'apercevoir, par la porte entre-ouverte. Il revient en arrière silencieusement...

Le plancton n'en croyait pas ses orbites.

Il devait avoir la berlue.

"Je dois avoir la berlue", se disait le plancton.

Cet ongulé de Von Broum, en kimono pastel, gisait sur les ménisques, un coutelas en fer blanc dressé au-dessus de la fontanelle (pour ce qu'il en restait).

Il geignait, en plusse, le bâtard.

Le soldat, passablement obtus (c'était un soldat), balançait.

Une minute plus tard, les yeux secs (il n'avait pas osé ciller, de peur de précipiter la trépanation), il se décida, mâlement, prononçant, de manière feutrée, un "Nooooooooooon" des plus réussis. Il courait vers Von Broum, comme au ralenti, tout entouré de ce "Noooooooooon" ricochant encore sur les parois du bureau marbré de l'Hara Kiri de seconde main.

Il s'empara du bras vengeur, lui tourna le poignet, en extrayant le Laguiole.

Von Broum étouffait de stupeur, de honte et de rage mêlés.

Voilà maintenant qu'un trouffillon allait l'empêcher de se farcir une tranche de gras double, du pâté "frais du couteau", un petit miracle d'hémoglobine et de viscère reléguant lesmeilleurs foies gras au rang de viscères putréfiées.

Le soldat l'avait vu manger.

Le soldat l'avait vu violer la loi qu'il avait lui-même imposée à l'ensemble de l'humanité (ces moutons).

Le soldat devait trépasser, ou voir sa langue rôtie, s'il ne savait pas écrire, ni mimer astucieusement.

Sitôt qu'il eut repris ses esprits, Von Broum se dressa, l'index impérieux, et ordonna au plancton baignant dans sa pisse de mimer Franklin Delanoo Roosevelt.

Le soldat, qui s'appelait Jacquy, mima un garde-à-vous des plus gauches, puis mima une balle dans la tête tirée d'un entrepôt à Dallas touchant d'abord le gros Conally.

C'était bon. Il était complètement toqué, et n'arriverait même pas à faire deviner un canard au jeu des ombres chinoises.

Ernest lui grillerait la langue, et Auvencelle devrait la manger, elle qui aimait tant la viande.

Aahahahahahahahaha, dit encore Von Broum, qui se sentait à nouveau super top.

Et maintenant, tu vas boire du pipi, et lécher le tapis, parvint encore à ordonner Von Broum, avant de s'écrouler, vaincu par la plus grande crise d'hilarité qui le secoua ever (depuis cet épisode de Mickey, quand Donald avait sauté d'un plongeoir mais que son petit caleçon était resté bloqué sur la planche et qu'il avait oscillé pendant 30 secondes comme fol, Aahahahahahahahahaha).

Maupassy refusait de croire sa couenne. Il lui drachait dessus d'importance. Nom de nom, jurait-il entre ses dents, c'était trop fort. Que lui serait - il épargné ?

Il se rua dans un magasin de frusques, pour s'acheter une jolie canadienne.

Une jolie danoise s'enquérait de ses goûts.

Je voudrais une canadienne, répondit notre homme.

Avec une moumoute, s'il-vous-plaît, surenchira, surenchérira-t'il.

Bien, répondit la bacchanale (une bacchanale, ici ? Quoi ?).

D'une pierre deux coups, Maupassy mit sur le comptoir, en moins de temps qu'il ne me faut pour l'écrire, une épaisse chemise de bûcheron (à carreau), une casquette fourrée, un gilet avec des tas de poches, pour des hameçons et tout, et plusieurs T-shirts "fantaisies" (avec des slogans vraiment chouettes, plus un avec écrit "Touch Me, I'm Yours", qu'il mettrait pour délivrer Eva, par exemple).

C'était amusant.

A 20 ans, quand il faisait les soldes (un doublon est un doublon), il s'habillait systématiquement comme un "vieux" : petits souliers vernis, pantalons à pince, foulard dans le cou (non, ca quand même pas, se consola t'il), veston en tweed.

Aujourd'hui, à 40 ans bien sonnés (à près de 40 ans, rectifia t'il au cas où la vendeuse lisait en lui comme dans un livre ouvert écrit en outre en français), il s'habillait en jeune chébran, cool, avec des basquettes molles, des gros ceinturons, des bloudgines délavés et des caleçons "Guerre des Etoiles".

Il craignait d'atteindre 60 ans. Irait-il faire son marché en barboteuse ?

Combien vous dois-je, chère dame ? Vous ne me dois rien, Sir, à part un peu de respect, si ce n'est pas trop, car vous pouvez payer par échange de devises, m'a dit mon patron. Maupassy, très content, récita "Vieux motard que jamais". La plénipotentiaire du Grand Nord (c'est une bacchanale ?) répondit astucieusement par : "Tend va la ruche allô qu'Allah fin Els Sekass". Fort satisfait de ces soldes vraiment épanouissantes pour le consommateur averti, Maupassy rassembla ses paquets et enfila la canadienne. Il remercia onctueusement la nordique en son idiome natal, et dut se rendre à l'évidence : il était prêt.

Il n'avait plus aucun motif de dilater (dans le sens de dilatoire, comme dans un "appel dilatoire", bananes).

Eurêka.

Un début de commencement d'ébauche de plan naquit en sa cervelle en fête.

Retrouver Ernesto.

Après...on verrait.

Von Broum s'activait sur un moteur de recherche.

Il "feuilletait" des pages de recettes d'Antan, du Temps-Où-Il-Faisait-Bon-Vivre.

Il s'échinait.

"Langue + Rôti + Délicieux + Sauce", tapotait-il sur son clavier recouvert de soie et d'organza.

Il avait déjà dégoté une recette à base de langues de poulet fermier, l'une à base de langues de colibri, une autre à base de langue de raie, ainsi qu'un truc inommable avec une langue de chameau, un recette bédouine, à mourir.

"Langue + Mercenaire + Jacquy" ne donnait rien, à part des photos de dépravés. C'eût été trop simple.

Mais il fallait mâcher la besogne à ce Jean-foutre d'Ernesto, qui traiterait cette pièce de roi comme un vulgaire steak, si on le laissait faire.

Jacquy émit l'idée de la pointe d'estragon.

Il en salivait comme un phoque.

Il profitait des dernières heures de sa langue en se léchant les menottes, pleines de paprika (c'est hongrois, le saviez-vous, demandait-il à Von Broum, à qui il commençait tout doucement à plaire).

Auvencelle s'employait à ne pas mettre tous ses oeufs dans le panier percé que représentait Maupassy aux yeux de n'importe quel incurable optimiste (c'est un petit bateau).

Elle disposait, dans une poche à double fond, d'un petit citron anglais (a lime).

Rien de tel, depuis Ma Averell et ses quatre-quart, qu'une petite lime pour se tirer des situations les plus anxiogènes, traduisait-elle à Eva en un néerlandais d'opérette (Nieks beter, sinds Mijn Averell, en haar vier kwarten, dan een kleine citroen...).

Maupassy se gratta le nez, de manière particulièrement discrète croyait-il (il avait rabattu les larges pans de sa capuche).

Quelqu'un pense à moi, se justifia t'il in petto.

Eva.

"You put a lime in a coconut", fredonna t'il.

"J'aurais vouluuu être un artiste", poursuiva t'il.

Son plan était limpide.

Retrouver Ernesto.

Et puis...et puis tirer sur la bobine jusqu'à remonter toute la pelote.

Hin hin hin.

Pour retrouver Ernesto, qui, je vous le demande, pourrait être plus qualifié que Maupassy ?

Je vous le donne An Mille : Maupassy lui-même, son patron, son confident son frère, son double, son alter et go, il était parti, trottinant.

On était un vendredi.

C'est quoi, le vendredi, se questionna Maupassy en imitant la voix d'un animateur de jeux télévisé célèbre ?

C'est le poisson ?

Non, ce n'est pas le poisson !

C'est les frites ?

Non, ce ne SONT pas les frites !

C'est le Polo...Tous les vendredis, Ernesto joue au Polo, toutes ses économies y passaient, Maupassy l'avait suivi à distance, un jour où il ne trouvait pas d'autre occupation.

Durant les trois premières années, Ernesto avait dpû se contenter de faire le cheval, mais depuis quelques mois, et l'activation de quelques pistons en sous-main (Ernesto n'en avait jamais rien su), il avait le droit de monter ses anciens condisciples.

Arrivé à ce stade de ses réflexions, Maupassy franchissait la herse du club house.

Sa toute nouvelle mise soignée lui avait sauvé la.

Le son des entrechoquements des balles d'ivoire et des maillets-crosses se rapprochait.

Derière un eucalyptus nain, toute la scène s'ouvrait aux regards scrutatifs de Maupassy, notre agent très secret (sa propre mère est morte sans savoir s'il préférait les Beatles aux Rolling Stones. C'était le cas).

Se rapprochant à la fois à pas de loups et en marche arrière (super discret), Maupassy était à présent à moins de trois toises de l'envers d'Ernesto, qui regardait le premier match de la journée en s'échauffant les poignets, faisant craquer les jointures (pour montrer qui était le Maître).

Hu-hum, fit Maupassy après être resté deux longues minutes sur la pointe des pieds et à moins de trois centimètres de la nuque d'Ernesto, espérant que celui-ci se retourne en sursautant (mais non).

Au moment où celui-ci se retourna, le sourcil impérieux, Maupassy reçut l'hommage vibrant de la crosse de cet abruti (il l'avait passée sous son aisselle), qui aurait pu faire attention.

Se reprenant, Maupassy enserra l'avant-bras d'Ernesto (son mauvais bras, le gauche) avec son bon bras (le gauche, il était gaucher, contrairement à Ernesto, qui était droitier, quant à lui).

"Pop pop pop, mon bonhomme", fit-il quand Ernesto se libéra d'un mouvement sec.

Les deux hommes étaient saisis d'un tic nerveux à l'oeuil.

C'était du dernier ridicule.

C'était à celui qui ne craquerait point.

Maupassy sentit l'hilarité gonfler sa bouche, mais maintint celle-ci obtusément fermée.

Ernesto, ce voyant, finit par crquer le premier, éructant en montrant Maupassy du doigt et en criant, essoufflé en diable : "Ggagné ! Perdu ! C'est moi qui ai gagné, ta bouche était gonflée, j'ai gagné c'est moi".

En le congratulant, Maupassy fixa un émetteur-récepteur au revers du petit costume du vendredi d'Ernesto, du fidèle Ernesto, ce sale traître.

Pour se rendre compte de la noirceur de ce vendeur d'ami, il faudrait à Maupassy le pouvoir de regarder par le Judas.

Mais un ami qui ne vous a jamais déçu ne mérite pas le titre d'ami, songeait Maupassy.

Ils se dirigeaient vers la terrasse ombragée, redoublant de politesses.

A ce rythme là, les deux derniers mètres les séparant du canapé moelleux risquaient de n'être jamais franchis.

Maupassy se précipita in fine sur la place exposée au soleil (il était tonsuré, et ne pouvait se permettre de laisser le sommet de son crâne de savant ressembler à un cul de babouin).

Eva et Auvencelle se morfondaient, se perdant dans le dédale des conjonctures alarmistes concernant la brièveté de leur futur, leur avenir se réduisant à peau de chagrin.

Eva se demandait pourquoi diable elle avait dépensé des fortunes en crèmes anti-rides pour disparaître aussi jeune, sans l'ombre d'une marque du temps (sauf quand elle riait. Mais elle riait peu. CQFD).

Quand je pense qu'en ce moment même, murmurait Eva, Maupassy doit être traqué comme un chien, se nourissant de racines, se terrrant dans des sous-bois épineux, la tête reposant sur quelque amas de feuilles putrides pour tout oreiller.

Auvencelle ricana.

"Je miserais plutôt sur le fait qu'il se cache, effectivement, comme un pleutre, et qu'il se demande comment nous abandonner à une fin atroce sans pour autant perdre la jouissance de son passe-temps favori pour le reste de sa vie, à savoir se mirer dans une glace aux pistaches sans lire sur son visage d'ange l'infâmie je vous hais.

Maupassy n'est pas un couard, protestait très mollement Eva.

Il n'aime pas avoir mal, c'est tout.

Et il est suffisamment intelligent, instruit et éduqué pour ne pas être tenté de se battre avec plus fort que lui, mais...srnk. Vous avez raison.

"Bien sûr que j'ai raison, l'expérience. Toujours est-il que vous avez ruiné notre seul espoir de voir rappliquer le Maupassy avec un long couteau entre les dents, en ne lui laissant aucun espoir, je dis bien AUCUN, que vous vous offririez à lui".

S'il y avait eu une chose qui aurait pu faire bouger cette petite fiotte, c'était bien ça. Mais avec vos airs de Grace Kelly et d'Ointe du Seigneur, vous avez tout foutu par terre.

"Je...Mais pas du tout...c'est juste que...je...".

"Taisez-vous, à présent, c'est trop tard, et ca ne m'intéresse pas". Je préfèrerais passer mes derniers instants autrement qu'en entendant le récit de l'amour contrarié entre une fiotte pathétique et une apprentie princesse neurasthénique, en vous remerciant".

Epuisée, Eva tenta de fermer les yeux...pour les rouvrir aussitôt, tant ce qu'elle avait vu était peu réjouissant. "Le monde semble sombre, quand on a les yeux fermés".

Auvencelle répliqua, adoucie : "Tu auras bientôt l'Eternité pour te reposer, mon enfant". "Ce n'est pas le moment de perdre ton temps. Classe, inventorie ta vie, jette ce que tu dois jeter, et encadre ce qui doit l'être. Il est temps".

Si j'avais dormi, j'aurais pu rêver, j'aurais pu quitter cette cage, disputait Eva.

Elle se mit néanmoins à faire le tri.

Sa première (seule ?) victoire, à une course de natation. Alors même qu'elle était la seule à sauter, tous les autres osaient déjà plonger. Et pourtant, elle avait gagné. Tout au long de ces 25 mètres d'anthologie, elle n'avait entendu que son nom, chanté sur l'air des lampions, dans une histérie collective (en réalité, personne ne criait son nom, mais celui des autres concurrentes. Elle ne le comprit que dans cette cage. Et pourtant, elle avait gagné, d'une courte tête, le coeur battant la chamade depuis lle deuxième mètre de la course. En tout cas, on lui avait dit qu'elle avait gagné. Elle commençait à en douter. Elle avait deux mètres de retard dès le départ, avec son saut de grenouille. Se pourrait-il que ? Ses parents lui auraient dit qu'elle avait gagné, alors que ? Mais elle avait reçu un prix ! Alors ?! Un prix aurait été donné à tous les participants, ou aux 5 premiers, et non au vainqueur ? Et comment faire un tri, si une bête course de natation était déjà impossible à classer entre Hauts faits et supercherie de seconde zone ?

"Compter mes cheveux serait aussi utile". Surtout que si je classe, c'est dans ma tête, et que celle-ci tient à un fil. "C'est ridd-iceul", prononça t'elle tout haut, avec l'accent québéquois, pour le plaisir.

Pendant ce temps, au harras, Maupassy riait bien de la bonne blague qu'il venait de faire à Ernesto. Il avait tendu le bras, montrant quelque chose derrière Ernesto, et disant "Oh!". Quand ce dernier se retourna, Maupassy courut occuper la seule chaise longue disponible. Ernersto regarda, encore sans comprendre, Maupassy se tapant les cuisses de rire. Ernesto continuait à le regarder fixement, son regard ne laissant pas paraître la moindre émotion. "Pfuu, pfuu, suffoquait Maupassy, au bord de l'apoplexie, perdu, perdu! Tu dois faire tout ce que je veux, apporte-moi un jus de pamplemousse glacé avec des petits sablés, fais-moi du vent avec une feulle de palmier, esclave!"

Ernesto ne bronchait pas. Son regard demeurait étrangement lunatique.

"Eh, ho! j'ai gagné, t'as entendu ce que j'ai dit?" s'agaça Maupassy.

Il s'aperçut soudain que la scène avait tourné tous les regards vers lui. il s'aperçut aussi qu'il s'était dangereusement relâché et se rappela que sa vie ne tenait qu'à un fil. "C'était un jeu, braves gens, vaquez,vaquez" dit-il, se levant de la chaise longue et rasant les murs vers la sortie. Ernesto demeurait fixe.

Maupassy devait agir, maintenant.

Se reprendre en main.

Après tout, ce qui doit venir n'est pas tant à découvrir qu'à inventer, se persuada-t il.

Il fallait suivre Ernesto, dans un premier temps, à distance.

La rencontre des deux acolytes s'était plutôt bien passée, jugeait Maupassy.

Mais Ernesto avait encore ce regard.

Ce regard...

Il devait pouvoir le téléguider aisément, mais il n'avait pas bougé pour le jus de pamplemousse et les petits sablés. Fallait-il prononcer une quelconque formule ? Aba, Ara, aracadadra, tentait de se rappeler Maaupassy, "Miroir, ô mon miroir, dis moi qui est la plus jolie", répétait Maupassy à haute voix. Les passants, dans la rue, lui souriaient faiblement, ou s'écartaient (en se retournant quelques fois pour vérifier qu'il ne tentait pas de les suivre).

Il fallait que le charme agisse à nouveau, ou compter sur son autorité naturelle.

Ok. La formule. Le Charme. "César, ouvre-toi " ?

S'il avait eu du mal pour le pamplemousse, Maupassy craignait que persuader Ernesto de neutraliser le système de surveillance de la Tour Von Broum, ficeler son propre père, le faire pénétrer dans l'enceinte (je vous en prie), libérer Eva et la vieille chouette...il allait falloir jouer serré. Et, se peut, sans magie noire. "Hauts culs peaux culs" ?

Ernesto sortait du club-house. C'était trop tôt. Il n'avait pas pu jouer, boire du champagne avec la jeunesse dorée de Buenos Aires. Quelque chose ne tournait pas rond.

Ernesto sauta dans une décapotable rouge.

T...Tramway ! Tramway ! Suivez ce véhicule, ordonna Maupassy, glissant un billet au chauffeur. Cinq de plus pour vous si vous le suivez jusqu'à destination ! Mais...mais suivez-le, bougre d'abruti, il a tourné à droite, tournez, vous dis-je ! Ah, c'est malin, il a foutu le camp maintenant. Rendez-moi ce billet. Arrêtez-vous.

Je devrais m'éplucher vivant, pensait tristement Maupassy.

Voui. M'éplucher vivant.

Moi-même.

Tout seul.

A la main.

Sans Anne et Stacy.

Sans Perry Dural.

M'éplucher, et puis me plonger, tout épluché, dans une baignoire emplie au préalable de jus de citron dernier cri.

Ramper dans les graviers, épluché.

Prendre un bain de mer dans la mer morte.

Et puis prendre le soleil de midi à 16 h00, sans crème solaire, et sans me protéger au moyen des quelques épluchures qui tiendraient encore un peu (dans le dos, surtout).

Et puis me frotter avec un gand de crin.

Voilà ce que je mérite.

Maupassy marchait, sans but, dans la direction prise par le bolide rouge.

Un bolide rouge pareil à celui stationné devant ce terrain vague.

Même la plaque était la même.

Tiens. C'est dingue, ca. Même la plaque.

La plaque ! Le bolide rouge ! Epluché, moi ? Jamais !

Ahahahahahahahahahaha !

Le coffre était fermé. Nous n'étions donc pas dans un film. Cela tombait bien.

Maupassy pouvait soulager en toute quiétude une poche de son anatomie (pleine de pisse).

Il s'y employait, comme si sa vie en dépendait.

Mais sifflotant.

Plus léger de quelques 286 grammes, il suivait la palissade borgne menant dans un espèce de rien.

La température avait baissé d'une dizaine de degrés, d'un coup.

C'était paranormal.

Ou alors il tremblait pour une autre raison, mais ca l'étonnerait fort.

Eva chantait doucement, un air de sa composition, pas sur l'air des lampions, non, quelque chose de plus sobre. C'était acoustique.

Les -seules- paroles étaient "L'oiseau en cage rêve de nuages".

Il fallait donc retourner sur ses pas, jusqu'au second croisement, et ensuite prendre à droite, non à gauche, puisqu'il venait d'en face. Souriant de sa propre logique, Maupassy allongea la jambe pour prendre le pas.

Arrivé au premier carrefour, il s'arrêta, le regard vitreux comme on l'a lorsqu'on se plonge dans une profonde réflexion et que l'on perd toute relation avec les évènements de la réalité. Perdu dans l'immensité urbaine, Maupassy commença à computer une solution, un bout du tunnel, une troisième voie, une... un... un racourçi! Pariant sur sa vie comme d'autres parient sur des pigeons voyageurs (aucun lien), il s'élança sur sa gauche sans attendre le second croisement. Dans son fort intérieur, il savait. Oui, il savait qu'il rencontrerait Ernesto sur cette piste!

Au bout d'une demi-heure de marche exténuante sous un soleil de plomb, il lui fallût tout de même toutes ses forces pour se convaincre qu'il s'était fourvoyé. Lui, Maupassy, trompé par son esprit de logique. Lui qui était pourtant un excellent joueur de scrabble, il s'était vraisemblablement enturbané dans un embroglio rationnel qui lui avait finalement échappé. "Maudit cerveau!" S'exclama-t-il dans la rue déserte.

Il plongea sa main dans son blouson en tweed pour y pêcher son mouchoir et s'essuyer le front. Mais le mouchoir n'y était plus. A la place de celui-ci, il y avait une enveloppe en papier dur, couleur ivoire. Plissant les yeux, Maupassy la tourna, et la retourna sans y trouver de nom. Il se retourna pour voir si quelqu'un l'avait suivi, mais non: il n'y avait personne. "On a dû me la glisser dans la poche pendant la poursuite", soupçonna-t-il. "Ou bien à l'hippodrome".

Dans un geste acquis au fil des années passées dans la haute société, le jeune homme porta alors l'enveloppe à son nez et inspira délicatement. "Elle ne vient pas d'une admiratrice", déduit-il de son odeur. "On dirait plutôt..." L'arôme était particulier, il ne l'avait jamais rencontré. "Un pâté gaumais ?"

D'un autre geste sûr, il attrapa le coupe-papier qu'il gardait dans une autre poche de son blouson et ouvrit l'enveloppe. Elle ne contenait qu'un feuillet, imprimé de belles lettres gothiques. Maupassy aimait bien les lettres gothiques, surtout celles où les S ressemblaient à des F.

"MonFieur de Maupaffy, le Baron Von Broum, troifième defcendant du nom, et honorable refponfable de cef trèf hautef terref, a le plaifir de vouf inviter au repaf qu'il donnera pour fef amif intimef à l'occafion du cinquantième-et-unième anniverfaire de fon labrador." Il dût s'arrêter de lire pour rire aux larmes. Deux minutes au moins. Puis il reprit. "Ce foir, 19 heuref, au château de Virton. Tenue de ville exigée. Préfenter cette carte aux gardef."

Résolu à en finir, Maupassy plissa à nouveau les yeux. Là-bas, dans le bas-fond du paysage, on apercevait déjà la lointaine ombre menaçante du Palais du Gouverneur, le Château où il rencontrerait son Ennemi. Repensant à nouveau aux lettres gothiques, il perdit alors son regard plissé dans un rire incontrôlé.

L'entrelacs de questions se posant à Maupassy était des plus profonds. Quelques carpes appesanties sy' assoupissaient.

Vous savez ce que c'est, ces après-midi moites, après avoir bu un coup à la cantine avec Ghislaine, du service traitement des réclamations. M'une de ces carpes ne parvenait pas à se faire à l'idée qu'on était déjà jeudi. Que le temps passe vite...nos vies s'éteignent en un souffle, songeait-elle. Perdue dans ses réflexions (c'était une carpe miroir), elle faillit se noyer.

Hu-hum, fit Maupassy, gêné par les soliloquis de l'auguste invertébré.

Maupassy, donc, se demandait s'il porterait un smoking croisé black de chez black, ou la variante autrichienne de ce pijama du soir : pantalon black, petite veste cintrée blanche.

Ou alors, le total look Al Capone : smoking noir, plus petit gilet noir avec montre à gousset.

James Bond portait le smoking mêmme en pleine journée...James Bond, s'il eût été francophone...Jean Bond...Jean Bond...il devait certainement y avoir moyen de tirer une morale de tout cela...mais ce n'était pas le moment.

Salut Von Broum, ta femme a une trompe de falope.

Non.

Il fallait trouver mieux.

Maupassy était bien décidé à ranger les rieurs de son côté : il attaquerait le nouveau riche bille en tête sur la question des "s" mués en "f".

On verrait ce qu'on verrait.

"Qu'est-ce que ta femme fouhaite, Von Broum " ?

Non. Décidément trop trivial.

Cela devait être de bon goût, tout en pouvant certainement être un peu relevé.

"Tu fufes", Von Broum ?" fut immédiatement resusé.

Maupassy était d'humeur badine.

Il avait toujours été drôle.

Aussi loin qu'il se souvenait, les gens avaient toujours pleuré de rire à la moindre de ses saillies.

Lors de dîners, c'était chaque fois un jeu de chaise musicale pour savoir qui aurait la chance d'être assis au plus près de lui, l'Amuseur.

Maupassy se rappelait.

"Les gens me demandent toujours..." commença t'il.

"Enfin, quelqu'un, je crois, m'a demandé l'autre jour où j'allais chercher tout cela".

Et bien je n'ai pas su lui répondre.

Le pauvre hère croyait que je le daubais, que je gardais ma petite recette.

Mais non. C'est pure vérité. Je me demande parfois moi-même d'où tout cela me vient.

J'ai bien entendu un esprit alerte, toujours en mouvement, une imagination fertile, mais cela n'explique tout de même pas tout ?

D'où vient-il que je sois à ce point plus amusant, plus intéressant, même lorsqu'un importun, un pédant (un jaloux, très certainement) tente de faire dévier la discussion vers des chemins plus sérieux ?

Je ne le sais, c'est ainsi, et puis pourquoi les fleurs existent-elles, pourquoi les zèbres sont-ils tigrés, d'où vient que les grenouilles coassent-elles ? C'est ainsi, voilà tout.

Ernesto, mais moins encore Von Broum, n'avaient jamais brillés en société.

Leurs propos sont le plus souvent d'une telle balourdise...

L'argent, notez-le bien, n'est aucunement un terreau plus fertile qu'un autre pour l'élevation de la conversation hors des contingences pratiques du petit quotidien.

Non, il s'agit d'une tournure d'esprit, et cela, c'est prouvé de manière scientifique, n'a rien à voir, ou de moins ne dépend pas exclusivement, de la condition, du milieu ou de l'entregent de tel ou tel.

Voltaire...Molière...avant de choisir ces noms, n'étaient après tout que des bourgeois, fils de teinturiers, de vendeurs d'horloges, que sais-je...

Et pourtant, entre la conversation d'un Voltaire et celle d'un Prince de Condé, avouez que...non ?

Si.

Et, ce soir encore, il aurait la préséance.

Un dîner entre "amis choisis" ?

C'est une guerre, une guerre sans merci.

Qui serait le plus drôle, le plus intéressant, le plus profond ?

Lui, Maupassy.

Sinon, à quoi bon vivre ?

Et puis, au beau milieu des agapes, en fin de repas, il demanderait la main d'Eva, que ses économies dépassent 75 dollars américains ou non.

Quelle chance elle avait.

Sa vie ne serait désormais plus qu'une succession de petites, et puis de grandes joies.

Le matin, il se lèverait à pas d'heure pour dire qu'on lui fasse presser un jus de citron.

Ou alors, encore plus fort, il le dirait la veille à qui de droit.

Rien ne pourra plus l'atteindre, lui ôter son sourire : elle sait avec quel Homme elle vit.

Cela doit être terriblement rassurant, pensait Maupassy, de vivre avec une personnalité forte, mais également enjouée, telle que la mienne.

C'est vrai, je suis à la fois protecteur, cabotin, mais je peux également me montrer très tendre, si l'on est le 31 février ou le 1° avril.

Et ca, c'est important.

Je suis un Homme qui ose pleurer.

Je n'ai pas honte de mes larmes, les amis (il n'y avait personne, mais Maupassy aimait à s'entraîner à la conversation, même étant seul. On ne naît pas éloquent, on le devient. Le talent n'est rien, sans le travail, alors que le contraire n'est pas vrai. Voyez les classes laborieuses).

Mes erreurs, mes échecs parfois (et oui) m'ont rendu plus fort, ont de fait de moi un naître meilleur.

Mais je suis aussi quelq'un qui s'ouvre aux autres.

C'est ce que j'appellerais mon sens de l'haltérité.

"Halter aux poings, je suis un vaincu", disait, les yeux vers le lointain, Sir Rocco Balboa, alors qu'il roulait sur le Ring.

Maupassy avait une pêche d'enfer.

Il écraserait tout le monde, ce soir.

Il eut soudain l'idée, avec un grand L.

Il passerait l'après-midi à apprendre par coeur plein de questions d'un jeu de société portant sur la culture générale, puis demanderait, d'un air détaché, après repas, de faire une ou deux parties.

Ce sera grandiose.

Il mettrait tout sur le compte de la chance.

Tout le monde le regardera.

Von Broum, Eva, ne bougez pas.

Maupassy est en marche...

Et Eva ne bougea pas.

Auvencelle non plus, d'ailleurs, mais c'est parce qu'elle s'était assoupie. Elles avaient discuté toute la nuit en patois limbourgeois, peu sûres l'une comme l'autre d'avoir compris le message qu'elles tentaient de faire passer. Puis, au fil des heures, le discours d'Auvencelle s'était doucement éteint - réveillé de temps en temps par un soubresaut linguistique: "Nee, ik heb nieks gedaan, mijnhiir".

Toute la nuit durant, Eva avait veillé. Elle était restée sur ses gardes. Et des gardes, il y en avait deux à présent, qui s'inspectaient mutuellement l'uniforme. Finalement, le moins gradé des deux rajusta le col de son supérieur et, captant le regard de la jeune femme, celui-ci ordonna au sous-fifre de se mettre promptement au garde-à-vous, nom d'unn chien.

Il se passait quelque chose, Eva le sentait bien. Quelque chose d'anormal. Une cérémonie, peut-être ? Soudain, elle entendit les pas résonner dans l'escalier. Les pas. Ses pas! Il était là, à nouveau - il revenait. Tout allait finir.

Von Broum entra brusquement dans la salle, encadré de deux autres gardes à l'air sombre.

"Ma jeune Eva", fit-il d'une voix candide. "Ma très chère Eva". "Que mijote-t-il encore?" Se demanda-t-elle, suspicieuse. Et elle répondit à voix haute: "Qu'as-tu décidé, finalement, gros porc?" "Oh", fit-il encore, comme s'il était choqué. "Vous savez bien que nous avons renvoyé tous ces animaux aux pâturages, voyons!" Et c'est bien ce que les publicités contaient: d'immenses réserves avaient été créées dans les steppes russes où l'on avait rassemblé tous les animaux sauvages pour qu'ils puissent y vivre en paix. "Je viens vous annoncer une bonne nouvelle!"

Auvencelle s'éveilla à ce moment. Elle papillota un moment des yeux avant de se rendre compte de la présence de Von Broum. Alors, elle feinta qu'elle dormait toujours, pour voir plus calmement ce qui allait se passer.

"J'ai décidé de ne pas vous tuer tout de suite!" Annonça le dictateur ardennais. "Au contraire, je suis venu vous inviter à une petite soirée que je donnerai ce soir dans mes appartements." Il laissa la place aux deux gardes qui le suivaient. Ceux-ci portaient deux valises qui, une fois ouvertes, se montrèrent remplies de vêtements chics et de tailleurs fins. "Choisissez ce qu'il vous plaira. Vous êtes attendues à 19 heures précises, Mesdames."

Et sur ces mots, sans une explication de plus, il leur tourna le dos et remonta l'escalier en riant bruyamment. "Que mijote-t-il exactement?" Se demandait toujours Eva.

Un pot-au-feu ? Hasarda Auvencelle.

Chapitre 6: La fête

Mais n'est point comique qui veut, ne se prénomme point Maupassy-The-Entertainer qui l'entend.

Pendant qu'Eva se coiffait, que Maupassy piochait les questions "Sport" et y répondait telle une machine, peaufinant sa condition et préparant un succès éclatant, Ernesto bichonnait le charolais maltais élevé à la roquette et aux noisettes écossées mains.

Ce charolais avait de longs cils de velours.

Ces longs cils cachaient deux yeux (oui) noisette (quoi ?) dans lesquels pouvaient se lire, pour qui savait observer, une sensibilité à fleur de peau.

Mais voilà, Von Broum raffolait de la fleur de sel (comme la plupart de nos lecteurs, au demeurant, même si ceux-ci n'en sont plus très sûrs, depuis une poignée de...de secondes).

Ernesto lui flattait le râble, l'air con centré sur les vertèbres, tandis que la bête, prénommée Charo par Ernesto, l'assurait silencieusement de son dévouement, comme le font aussi quelque fois les chiens, qui peuvent avoir l'air hulmain l'espace d'un instant, si l'on ne regarde que leurs yeux.

Ernesto pleurait doucement, et de rares mélopées lui gonflaient les joues.

Von Broum, de son côté, réglait maintenant tous les préparatifs de la fête. Les laquais couraient par les couloirs du manoir, portant ici des piles de nappes blanches fraîchement sorties de la lavanderie, là les verres en cristal et l'argenterie familiale. On respirait des effluves de lavande, de naphtaline, de cuivres, d'étains, de propec tous sols au citron. Il passa rapidement par la salle de banquet, dans laquelle on préparait déjà l'âtre dans lequel cuirait bientôt un charolais entier, Von Broum s'en pourlécha les babines rien que d'y penser.

Il passa ensuite aux cuisines, repoussant quelques marmitons, s'approcha de Facciatinelli, son cuisinier. "Alors?" demanda-t-il. "LES PRÉPARATIFS S'ANNONCENT BIEN, DON BROUME" cria Facciatinelli, agitant sa cuiller de bois et projetant par ce fait des gouttes de crème sur ses congénères. Les tables étaient couvertes de victuailles, de chapons, de navets, d'hydromel, de graisses, et on respirait des effluves de thym, de laurier, de bouillon de poule et de propec vaisselle (Von Boum avait obtenu un contrat particulièrement avantageux d'un représentant: à l'achat de trois bouteilles de propec, gagnez un magnifique porte-clés à l'affigie de propec, la mascotte qui apparaissait sur les mêmes bouteilles).

Il huma un poisson, goûta une sauce, rejeta une tomate avariée. Les festivités allaient être somptueuses. On l'appela. Son tailleur venait d'arriver.

Au fil d'heures s'égrainant si peu rapidement qu'on aurait dit qu'elles ne passaient pas, Von Broum sentit la pression monter dans chacune de ses veines. Oh oui, il la sentait cette pression - car il la connaissait bien. Depuis des années, il n'avait plus donné de réception au château... Depuis... Oh ça remontait bien à l'époque où il courtisait la jeune Duchesse de Baden-Baden. Elle l'avait éconduit, et il avait dû se débarrasser d'elle pour éviter le scandale. Mutée sur le front de l'est, hop!

"Ahahahaha", riait-il de bon coeur en repensant à l'épisode. "Quelle bonne plaisanterie". Sentant le rose lui monter aux joues comme lorsqu'il était adolescent et qu'il tombait sur une revue féminine, il renvoya son coiffeur. "Ça ira comme ça, Henri!" Expliqua-t-il. "Mais Monsieur le Baron, je n'ai pas terminé votre nuque..." Essaya le domestique. "Que ne te dis-je point de t'en aller, veux-tu ?" Lui répondit son chef, qui parlait avec un sourire large et les yeux pétillants de joie. "Allez, allez". Et il l'emmena jusqu'à la porte.

Enfin seul, il se servit un brandy, laissant libre court au rose pour lui monter aux joues. La soirée s'annonçait bonne, et il espéra que les invités sauraient eux-aussi se montrer à la hauteur de sa bonne humeur. "Sinon, je les enverrai à l'est", songea-t-il. Et, son verre de brandy à la main, il se remit à rire à gorge déployée.

C'est alors qu'Ernesto, rouge de colère, entra dans la pièce. Il interrompit brusquement le rire de son paternel. "Mais qu'est-ce que cette histoire, Père?" Interrogea-t-il d'une voix crispée. "Personne ne m'a prévenu!" "Allons", l'invita l'autre, paresseusement installé dans un divan bas tel un Empereur romain. "Viens donc te prélasser près de moi, t'ai-je déjà raconté le succès que j'avais auprès des femmes, dans mon jeune temps?" Mais Ernesto n'était pas, lui, d'humeur à débattre. "Il est près de 18h30! Jamais je n'aurai le temps de me préparer!" "Ne fais pas l'enfant et viens donc te servir un verre; je vais te raconter l'histoire de Madame de Bovary" "C'est ça, je le vois bien, Père, vous voulez que je sois la risée de tous nos invités". Ernesto serrait les poings au point d'en avoir les phalanges blanchies par l'effort. Il plissait également les lèvres pour s'empêcher de jurer.

Tout cela lui arrivait si fréquemment, pensa alors Von Broum. Souvent, lorsqu'Ernesto était un peu trop nerveux. Il n'y avait rien à faire. "Très bien", fit le Baron, d'un geste long avec son verre, pour s'avouer vaincu. "Reste dans ta chambre, nous t'appelerons pour le dessert. Je dirai que tu as un mal de tête qui te cloue au lit..."

Von Broum se promenait dans le Château, extatique, s'arrêtait tous les dix pas pour se mirer entre les croisillons des battants.

Il s'agissait de vérifier qu'une grosse ride hideuse n'était pas venue se planter là (ou là) juste LE jour de la Fête, alors même qu'il était parvenu à les maîtriser depuis 30 ans grâce à l'application horaire de guano de corneille.

Les dignitaires du régime, les commensaux regardaient passer Von Broum, puis se mettaient à trembler d'effroi.

Stupeur et tremblements.

Le chef arborait une épaisse queue de rat dans la nuque (qu'il avait rouge vif).

Il leur restait 6 heures, 360 minutes, pour se laisser pousser une aussi abondante coiffure d'anderlechtois flamingant.

Ce serait juste. Très juste. Et la peur de déplaire au Chef risquait de retarder la pousse (prononcez : poûûsse, car il s'agit de queue de rat, de coiffure populaire), car la peur étrangle les vasocommunicateurs de la racine, c'est bien connu (phénomène de "la boule dans la gorge" au niveau de la racine folliculaire, fort bien décrite par les Professeurs Blanc et Jugnot).

Peut-être que des extensions, un toupet de nuque ?

Les différentes sous-pentes étaient farcies jusqu'à la gueule d'airs de Vivaldi, renommés pour leurs propriétés ébouriffantes.

Les jeunes écoutaient beaucoup "Les quatre saisons" en 1968, alors que les mineurs se frottaient les tempes avec du pétrole d'âne.

Ptilouseb déjà, qui marchait comme un égyptien, l'avait bien compris. Mais ils préféraient Mozart et Elvis, dans la Vallée des Kings.

Quelques bandes des WAM! (Quintette Floche constitué par Wolfgang Amadeus Mozart et deux trois potes, plus une viennoiserie pour les back vocals) nous sont parvenues quasi intactes, retrouvées parmi les babioles remplissant les pyramides de Lage, cité cosmopolite s'il en fût.

Il s'agit d'ailleurs le plus souvent de bandelettes (bandes pirates, démos, ...) destinées à être distribuées à des routiers (elles sont estampillées "tout en camion", ou, comme disait Grominet, "Never Titi").

Ok.

Von Broum devait se calmer, s'offrir le luxe d'une sieste, ou il grillerait avant même l'apéritif et en foutrait partout.

Mais comment dormir, quand l'on sait que la Mort nous attend, postée au détour d'un bosquet ?

Von Broum se releva, vaincu par l'impatience.

Sans même prendre le temps de se recoiffer, son agitation le propulsa dans le premier tobogan rencontré.

Il lui fallait vérifier que les "Gumbas", ces petits canaris semi-palmés de couleur bleutée, redevenant jaunes avec l'augmentation de leur température corporelle, étaient bien arrivés.

Avec les élèves de la plus prestigieuse école de samba du Brazil, ce serait le clou du spectacle.

Von Broum en profiterait pour tancer ces jeunes péronelles.

S'il appréciait la danse, il n'avait jamais compris, avec sa cervelle d'occidental élevé à la bière de table, la pertinence du Carnaval de Rio.

Que l'on rie, très bien.

Que l'on boive, très bien.

Que l'on danse, très bien.

Que l'on se déguise en animal ridicule, très bien.

Que l'on fasse des farces, très bien.

Que l'on fasse des attrappes, très bien.

Mais Rio, Rio !!!

A quoi bon ?

Trop de carnaval TUE le carnaval, pensait Von Broum très sérieusement.

Un cortège de plusieurs kilomètres. Des moyens pyrrotechniques en veux-tu ? En voilà.

Des centaines de filles nues montées sur des éléphants.

De faux éléphants, peut-être.

Mais quand bien même.

Des éléphants, au Brésil ?

Non.

Cela, Von Broum ne pouvait l'accepter.

Ernesto s'était relevé, aavait ramené ses mèches vers l'arrière, calées derrière ses oreilles.

Mal à la tête, lui ? C'était trop fort !

Il allait revenir plus fort.

Il commença à se muscler.

C'est important, les muscles, dans la société d'aujourd'hui, bien moins "chouette" que celle d'avant.

Aujourd'hui, les muscles tiennent lieu de vague à l'âme.

Un sbire, glandant tel un piu sur le crâne de Krischna, s'approcha de lui.

Ernesto était occupé à se muscler les pectos.

"Que faites-vous, Maître ?", tenta le larbin, la moitié d'homme, tout en reculant de quelques pas, au cas où ledit Maître eût été contrarié.

"Ca se voit pas, crevette ?" fut la réplique, toute de bonne humeur et de joie de vivre. "Je deviens balèze", ajouta le Maître, au cas où la crevette était spécialement tarte (en fait, le fils du Maître, mais par rapport au larbin, il était le Maître. On est toujours le Maître de quelqu'un).

"Comment êtes-vous devenu aussi riche, et aussi beau, Maître ?" tenta le supplicié (quoi ?), tenta le zélateur zélé (ah, ok).

Il fallait profiter de cette belle humeur, avant qu'elle ne se gâte.

"Et que pensez-vous que je devrais faire pour améliorer ma situation, être aimé,avoir du suucès avec les filles, passer à la télévision, je sais pas, moi " ?

Tout en continuant à soulever de la fonte, Ernesto, grimaçant, répondit:

"Mais vous savez moi je ne crois pas qu'il y ait de bonne ou de mauvaise situation... Moi si je devais résumer ma vie aujourd'hui, avec vous, je dirai que c'est d'abord des rencontres, des gens qui m'ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j'étais seul chez moi.

Et c'est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l'interlocuteur en face, je dirais, le miroir qui vous aide à avancer.

Alors ça n'est pas mon cas comme je le disais là puisque moi au contraire j'ai pu et je dis merci à la vie, je lui dis merci et je chante la vie, je danse la vie, je ne suis qu'Amour !

Et finalement quand beaucoup de gens aujourd'hui me disent : "Mais comment fais tu pour avoir cette humanité?" et bien je leur répond très simplement, je leur dis que c'est ce goût de l'Amour, ce goût donc qui m'a poussé aujourd'hui à entreprendre les activités que vous savez, mais demain qui sait, peut-être simplement à me mettre au service de la communauté, à faire le don, le don de soi. "

Le sbire était soufflé.

Passé les 10 secondes réglementaires d'enthousiasme et d'admiration sincère, il comprit toute la fausseté de ce petit être fluet s'échinant à des exercices ridicules dans le seul but de gagner des petits biceps de poulet.

Alors que lui, le sbire, pourrait lui applatir le nez moyennant deux moulinets, s'il lui était permis.

De ce jour, naquit l'éveil politique du sbire.

Il s'inscrirait à une organisation secrète.

Il porterait la capuche.

Il inscrirait ces enfants dans un Collège.

Ou alors, ils feraient en sorte que les meilleures écoles aient le niveau des plus mauvaises.

Hin hin hin...ça, ce serait le Grand Soir.

Toutes ces réflexions, découses je l'admets, prirent à notre Homme moins de 18 secondes.

Comme quoi.

Il était temps de répondre quelque chose de choisi, de délicat.

Heu...merci Maître, bredouilla t'il.

J'y vois plus clair, à présent.

Je ne manquerai pas d'appliquer à la lettre vos précieuses recommandations.

Il était temps d'arrêter, avant que l'Ernesto, tout sot fût-il, commence à flairer la basse flagornerie.

Je...je repars à mon poste d'observation, Maître. Merci, Maître.

"Vaque, Vaque, Mon Bon", lui jeta l'altérophile racé, commençant une série de sauts à la corde. "U...un, D...deux, Tr...trois.........Qu......Six.......................fffpffffpfffffffpfffffffffff".

Maupassy n'était pas né, que non, de la dernière pluie.

Il avait eu le poil blanchi sous le harnais, ou quelque chose dans ce goût là.

Il avait lu "Pif et la Menace Fantôme de la Mort du Destin", et autres opuscules écrits par d'ex-agents du FBI en goguette.

Il savait que l'invitation sur papier-carbone pouvait être un piège sans nom.

Il ne se jetterait pas dans la gueule du loup à poil, ni même en caleçon.

Un : à tout moment, 7 pistolets de précision mortelle le suivraient à chacun de ses pas, et mettraient en joue qui, qui, qui, qui, qui ou qui.

Deux : il aurait en la manche de son pourpoint, une petite bombe portative, qu'il menacerait de lâcher à tout vent si on l'embêtait.

Trois : il se munirait d'un petit serpent à sornette endormi qu'il pourrait, la nuit venue, une fois réveillé par l'une ou l'autre gifle, ou un mot de passe, ou un fluide, rouler en boule et lancer en dessous de la porte de la chambre d'un ennemi endormi, et lui il se fera piquer par le serpent.

Ces quelques mesures arrêtées, Maupassy se sentait mieux.

Eva ne pourrait lui refuser sa main, à tout le moins.

Il avait imaginé la scène un bon million de fois, la parfaisant à chaque fois, ou presque, jusqu'au clap 200.

Depuis ce moment, c'était plus du revisionnage que de la création, mais ca continuait à l'ensorceler.

Se jetant à l'eau telle une grenouille frénétique, Maupassy mettait un gnou en terre et disait "Heu...bin vous savez bien, quoi, que...? Hein ? Ce serait bien ? Non ? Je...vous voulez bien ? Alors, c'est oui ?"

"Restons amis", répondait Eva.

"Certainement, mais marions nous d'abord", fustigeait Maupassy.

Eva se pâmait.

"Vous êtes si sûrs de vous, Maupassy".

"Ce n'est pas la cadette de mes qualités, chère amie".

Une vraie partie de ping pong.

La vie, comme l'a un jour fait remarquer un très très grand écrivain, est parfois pleine d'ironie.

Il allait se marier, lui !

Et avant cela, il allait détricoter un complot très ingénieux d'une société quasi secrète visant à l'éliminer, lui et sa future épouse, et puis, il retournerait en son Manoir, et là, il pourrait faire tout ce qu'il voulait, c'est à dire rien.

Il lirait peut-être, parfois, des bandes dessinées où un mec serait attiré dans une maison déserte par un vieil ami en détresse, de nuit, et serait en réalité accueilli par une bande de malfrats qui le menaceraient de trucs hybrides pour le faire parler.

Le gars, il s'en sortirait d'une entourloupe, en disant "Retournez-vous et baissez vos armes", ils le feraient, et il les assommerait tous avec les seuls moulinets de ses poings, en disant : "Mais...vous êtes juif, Salomon ?".

"Schbink !"

Ce sera le paradis, une nouvelle Arcadie.

Mais d'abord, chercher un serpent à sornette. Affamé. D'une précision mortelle.

Maupassy fourageait dans les fougères.

Tssss...tssssss...tssss

Il gobait force amandes, ce faisant :

Prttttttsss...frttsssss....

Les amandes sont excellentes pour le teint.

Saviez-vous qu'en mangeant 7 amandes de belles proportions, vous avez bu l'équivalent d'un litre de lait ? Et justement, Maupassy crevait de soif.

Il devait encore boire son jus de citron, qui équilibre le Ph de la peau, au réveil.

Très important.

Et puis des brocolis.

Beurk.

Mais plein de bonnes choses, le brocolis.

Nous cherchons plus à durer que nous n'essayons de vivre, songeait Maupassy.

Et puis "crotte".

Il se ferait un bon hamburger qui sent loin l'hamburger.

Ich bin ein Hamburger, se disait Maupassy, à la suite de "tête en l'air".

18 heures sonna à la pendule. Une belle pendule en bois sombre, comme on le faisait en Angleterre, et qui faisait clock-clock, comme en Angleterre. Puis à 18 heures et demie, il retentit un nouveau clock pour indiquer qu'il était, fort adroitement (et surtout, bien au moment propice), 18 heures et demie. Les évènements allaient brutalement se précipiter d'ici peu. Von Broum trépignait. "Et s'ils ne venaient pas?" Il retournait la question dans sa tête de mille façons, oubliant qu'il maintenait la plupart des invités sous son contròle direct, dans ses propres geôles. A 19 heures pêtantes, ses gardes amèneraient les premiers invités ou sinon des têtes allaient sauter. Mais là il était déjà 18 heures 45 et ils n'avaient pas encore montré le moindre petit bout de leur nez. "Mais qu'est-ce qu'ils foutent, nom de Dieu?" Il regardait sa montre inlassablement, pour observer combien les secondes passaient à une vitesse d'escargot. Assis dans son fauteuil en velours vert, il tapottait de ses doigts de la main gauche la petite table sur laquelle il avait négligement posé son verre de cognac. Ensuite, pour faire passer le temps, il se mit à faire un dessin dansle velours, en passant son index comme un pinceau, à rebrousse-poil. C'était très amusant (et il ricanait dans son château intérieur, qui était très fort: "hohoho!"). Puis, à 18 heures 55, il en eut assez, et se remit à tapotter des doigts de la main gauche la tablette sur laquelle il avait également posé un pot d'amandes grillées. Il se demanda de quoi les invités allaient parler au cours de la soirée. Peut-être allaient-ils s'ennuyer? "Ah non, ça, ils ne vont pas s'ennuyer une seconde." Et il se remit à rire, plus fort cette fois, de sorte que le rire sortit de son chateau intérieur et parcourut la pièce sous le regard étonné du valet qui se tenait à ses ordres, là-bas près de la grande porte. Soudain, il fut 19 heures. C'est la pendule qui le lui dit. 19 heures. Et ils n'étaient pas là. Rapidement, il fut même 19h01. Puis 02. Et toujours rien. Ils se moquaient de lui. Quelque chose ne tournait pas rond, c'était sûr. Il avait de se passer quelque chose. Un pneu crevé, de l'huile qui fuit, une opération de police, une guerre thermo-nucléaire... Quelque chose de très grave qui empêchait ses amis de venir le voir lui. On complotait contre lui. Lui, Von Broum. Le Baron Von Broum. On le huait. Il entendait leurs voix, là-bas dehors, qui se moquaient de lui autour d'une bonne bière bien fraîche dans un bouge infâme. "Ahahaha, et Von Broum qui doit nous attendre comme un imbécile, assis dans son petit fauteuil de velours vert" Ils riaient, tous, et surtout Auvencelle. L'infâme sorcière. Il la détestait. Il lui dirait sa façon de penser. Et pas par quatre chemins détournés, Madame! Il sentit les premières sueurs naître entre ses rides du front. Et puis, sans prévenir, on toqua à la porte. On toqua fort, comme si on était chez soi. Un toquement sourd, mais insistant, qui voulait dire: "Allô, êtes-vous là, Baron?" Von Boum sursauta.

Et le valet, d'un pas incertain, se dirigea vers la clinche en bronze lustré.

"Et bien quoi, enfin, tout le monde vous attend, c'est agaçant à la fin, vous et les horaires".

C'était Auvencelle, déguisée en Dame, avec du rouge sur les joues, et une paire de stiletttos à se faire pâmer n'importe quel mannequin de la Côte Est.

"Les bras m'en tombent", répondit Von Broum, tout vert.

"Tout...tout le monde m'attend".

"Ch..Champagne".

"Votre braillette", soupira Auvencelle.

"Ma...ma braillette...oui", contra Von Broum.

Vite. Un sujet. Trouver un sujet.

"Je...vous préférez les suédoises, ou les danoises, vous" ?

Auvencelle pressa le pas.

"Moi...moi non plus", dit Von Broum.

Tudieu !

Il avait déjà été plus brillant, lui semblait-il.

Cette histoire de braillette (ou braguette), aussi.

Oscar Wilde, Talleyrand et Churchill eux-mêmes étaient moins vifs après une remarque encaissée sous le menton concernant leur braillette.

Von Broum avait tendu un piège excellentissime, afin de paraître plus brillant que Maupassy et ses citations à la noix.

Auvencelle avait un léger strabisme, oh, peu de chose, mais tout de même.

Tout à l'heure, devant tout le monde, il se tordrait la cheville de rire. Il boîterait bas.

On se moquerait peut-être de lui.

Auvencelle devrait lui demander "Comment allez-vous", en le voyant aller clopin clopant.

Et là, bien fort et tout, il lui répondrait, plein d'une nonchalance parfaitement peinte : "Comme vous voyez, Madame"...

"Comme vous voyez" !!!

Ce serait imparable.

Ils arrivaient dans la salle voûtée.

Eva était là.

Il tira vers elle.

"Que boirez-vous, chère amie ?"

"Je n'ai pas soif".

"Mais si, trinquons, vous êtes sublime, mais si".

Champagne ! Ola ! Clap Clap ! Champagne, ahaha.

"Je vous dis que..."

"Mais si".

"Du thé, peut-être ?"

Eva : "Si vous étiez mon mari, sombre butor, c'est du POISON, que je verserais, dans votre thé, en fait de sucre".

Von Broum flageollait.

Ce n'était pas encore gagné, avec cette petite...mmmhhhrrrr...chipie.

"Si vous étiez mon épouse, Madame, je le boirais".

Et il tourna les talons, heureux comme jamais.

Il l'avait proprement mouchée !

A peine sorti de chez lui en son beau smoking bleu nuit, chaussé de baskets pour le trajet devant le mener dans l'antre de l'Ablette, un pick up 4 x 4 drivé par des zoulous blancs manifestement sous l'emprise de substances nocives, lui projeta aux mollets quelques grammes de terres grandement humectées.

De la saloperie de boue.

Maupassy devint tout rouge.

Et mmmflûte, arh, pouire, c'est contrariant, comme c'est contrariant.

Que faire ?

Se présenter tel quel, et rire de l'incident, ou...

Passer ce smoking crème, comble du chic pour qui en est, mais tellement décrié par quelques Zostrogoths comparant, je l'ai entendu de mes yeux vus, le smoking crème à l'uniforme d'infâmie "porté" par quelques rares serveurs endimanchés sévissant sur la digue de la station la plus huppée de la côte belge.

Mais le pick up pouvait très bien profiter de ce qu'il eût passé le smoking crème (une seconde peau, il lui fallait littéralement un chausse-pied pour s'y glisser, à force de contorsions de danceur de "House Music") pouur lui en remettre une plâtrée.

Maupassy passait d'un pied à l'autre, l'un en direction de Von Broum et Co, l'autre en direction de son camp de base, il ne pouvait pas choisir, il n'avait jamais su choisir.

En un éclair, il vit la Mort venir le prendre, 20 ou 30 ans plus tard, dans cette position tragique, ses deux pieds luttant contre l'indécision la plus complète (et tentant d'éviter de marcher sur sa barbe).

Il décida de jouer le tout pour le tout: Il changea de smoking et revêtit celui de couleur crème. Il serait resplendissant, le clou de la fête. Quand il entrerait dans le grand salon, toutes les têtes se tourneraient vers lui et l'intensité des voix diminuerait pour ne devenir plus qu'un murmure, chacun demandant à son voisin: mais qui est ce gentleman? Il lirait l'admiration dans les yeux d'Eva.

Il se dirigea d'un pied sûr vers le porche du manoir, croisant les valets de pied, assemblés en petits groupes autour des voitures pour partager une cigarette ou les derniers ragots. "Le manège est prêt, les chevaux peuvent avancer. Rock 'n Roll !!!" songea Maupassy en gravissant les marches.

À l'intérieur, Von Broum pensait encore à la facon dont il allait s'y prendre. Il allait faire monter le niveau du chauffage. C'était cela. Eva suffoquerait bientôt de chaleur, elle aurait besoin de prendre l'air, sur la terrasse. Elle s'appuierait sur le balcon, admirant le jardin, lorsqu'il dirait, derrière elle: "Le spectacle est encore meilleur accompagné d'un cognac 25 ans d'âge". Il lui tendrait un verre. Prise au dépourvu, elle serait sans défense. Il attaquerait immédiatement: "Tout ceci pourrait être à vous, si vous le souhaitiez". Elle en aurait le souffle coupé. Il connaissait les femmes. Tout était question de savoir placer les bons mots au bon moment. Le cognac aurait un effet enchanteur. Il reviendrait dans la salle, menant Eva par la main (ne pas oublier de rabaisser discrètement le chauffage). Auvencelle en prendrait plein la gueule, ah, ah, ah.

Maupassy avait le bouton de la sonnette sous le doigt quand il se ravisa. Après tout, cette entrée était d'un conventionnel... 'ding-dong', Nestor, la criée de son nom, les yeux braqués sur lui et le détaillant, les baises- et les serrages de- mains, blablabla, coupe de champagne, petit-four, Monsieur l'ambassadeur, Médème la Bâââronne, ... Non! non! non!, il valait mieux que ça. Il devait être le roi de la fête ce soir, un inoubliable et pas un de ces invités de plus. Surtout si ça devait être sa dernière réception. Il n'avait jamais eu beaucoup de qualités, mais il avait toujours su se faire remarquer en soirée. Un vrai VIP, tout en strass et paillettes. Il devait trouver un moyen. Un truc de sa trempe. Une entrée inattendue, classe et sauvage à la fois. Qui ferait se pâmer les dames et rougir d'envie les hommes. Un... en fait il avait surtout foutrement envie de chier depuis quelques temps déjà. La soupe de la vieille bique sans doute. Cette conne-là, à faire revenir sa viande de contrebande dans de vieux pots rouillés, pour la servir ensuite sur des planches de bois pourries, elle devait avoir réussi à lui dérégler sa flore intestinale délicate, habituée à la porcelaine fine et au boeuf de Kobe.

Il redescendit du perron et se décida pour le jardin qui se trouvait à l'arrière du manoir. De là il pourrait atteindre les cuisines et aviserait sur place de la marche à suivre. Et accessoirement, cela lui permettrait de couler son bronze discrètement entre deux cyprès. Ses souvenirs d'enfance guidèrent ses petits pas chancelants (son pantalon trop serré lui torturait l'entre-jambe ) vers une petite grille de fer forgé, envahie par des grimpantes. Une poignée, un grincement, Maupassy était dans la place (tout baigne !). Von Broum était sans doute un bon citoyen, un adulte responsable et respectueux de l'environnement, à moins qu'il ne fût juste un foutu radin, toujours est-il que Maupassy devait tâtonner pour trouver sa route, aucune lumière n'éclairant son chemin. Il finit par se retrouver tant bien que mal entre les roses et les hortensias et décida que le lieu serait propice à enterrer son petit frère de couleur. Et puis il n'y tenait plus de toute façon. Il éplucha difficilement son pantalon telle une banane pas assez mûre, le tassant en boudin jusqu'à ses chevilles. Il s'accroupit et péta d'aise. Maupassy prit le temps de contempler les étoiles en pensant à Eva tandis qu'il accomplissait sa sinistre besogne. Sa forfaiture faite, Maupassy entreprit d'arracher quelques feuilles du rosier à sa gauche, les regroupant par petits paquets de trois pour s'essuyer. Jusqu'à présent c'était Ernesto qui se chargeait de ces triviales affaires, mais Maupassy avait eu la présence d'esprit de repérer à l'occasion les méthodes et accessoires qu'il utilisait : feuilles triple épaisseur et mouvement de va-et-vient en périphérie et sur l'Anû. Il s'y essaya en toute confiance, ça semblait enfantin... mais les feuilles de roses trop glissantes ou son geste mal assuré ne firent qu'étaler la matière molle en plus de lui en mettre plein les doigts. Il laissa finalement tomber en poussant un soupir las. Quelques pétales de roses fraiches sur l'affaire et le tour serait joué. Puis Maupassy prit peu à peu conscience d'une sensation de fraîcheur qu'il n'avait pas remarqué jusque là, tout occupé qu'il était à son travail, et qui montait de ses pieds jusqu'en hauts de ses mollets. Inspectant la chose de la main, il s'aperçut qu'il s'était enfoncé de trente bons centimètres dans le terreau des massifs fleuris. Il voulait du sauvage... son smoking crème bouseux jusqu'aux genoux et sa merde au cul allaient sans doute bigrement l'y aider. Il lâcha un dernier chapelet de pets, un mix de colère et de découragement. La messe était dite, il se releva. Il sortit son chausse-pieds de sa poche de poitrine et entreprit de remettre son pantalon. Le temps que le bien nommé moule-burnes soit enfin à sa place, et Maupassy ne put que constater, ses yeux s'étant finalement accoutumés à l'obscurité, que les deux mottes de terres merdeuses qu'il avait aux jambes avaient séché, formant deux monticules solidement attachés à son pantalon et cachant presque entièrement ses jolis mocassins italiens en croco. Il n'aurait pas su dire qui de Goldorak ou de Travolta dans la fièvre du samedi soir lui était venu à l'esprit en premier mais il n'avait plus le temps de trancher. Il était déjà très en retard, il aviserait. Maupassy se dandina avec la grâce d'une dragQueen montée sur platform-shoes vers la porte de la cuisine entre! ouverte. Il pouvait distinguer à l'intérieur un gros chinois avec un hachoir et un charolais lui faisant les yeux doux...

Mah-Jong Chang regardait sans trop y croire la "chose" qui venait d'entrer dans sa cuisine. Une sorte de bellâtre en habits de tapette, couvert de merde, et qui essayait maintenant de communiquer avec lui en lui adressant un "toi comment t'appelles !? Toi comprendre mes mots !? Toi rester calme ! Pas beau hachoir ! Ici entrée des artistes ?". Mah-Jong resta tétanisé quelques instants. Quelques minutes auparavant, alors qu'il s'apprêtait à lui donner le coup de grâce, la charolaise lui avait parlé... elle lui avait demandé de l'épargner, l'appelant 'petit-écureuil', puis avait digressé sur l'amateurisme du cuisiniste, la mauvaise disposition du piano, le système d'évacuation qui n'était plus aux normes... et elle avait raison la vache ! La montagne de muscles qu'était Mah-Jong vacilla... est-ce que finalement Maman avait raison quand elle lui disait, tout en le sanglant à son lit, "Mah-Jong, toi pas bien dans ta tête. Mâ-man va sortir danser. Toi pas crier même si arriver à retirer baï-llon. Mâ-man t'aimer chéri ! Dors !". Il l'avait tuée le jour de ses seize ans, en la poignardant à mort avec la bougie anniversaire qu'elle avait fait trôner sur sa gamelle habituelle de Canigou (Il avait réussi à ronger ses sangles de cuir pendant près de cinq ans sans qu'elle ne se rende compte de rien.). Elle s'était ensuite vidée de son sang par tous les petits trous qu'il lui avait fait sur son frêle corps. Mah-Jong était resté jusqu'au bout, admirant ces petits jets vermillons qui pulsaient en cadence et qui auraient pu lui rappeler un quelconque spectacle aquatique, si il en avait jamais vu un. Cette fois-là, il avait trouvé sa mère belle et utile. Il était ensuite allé se réfugier dans un orphelinat catholique, était devenu garçon-boucher et s'était découvert une profonde passion pour le culturisme après être tombé sur de vieux films de Shwartzanegger (il n'avait par contre jamais su écrire son nom). Le drag-queen insistant "quoi c'est ton nom l'ami ?", Mah-Jong sortit de sa rêverie. Il répondit "Chang Mah-Jong !". Après tout, la "chose" avait plutôt une bonne tête. Il plaisait bien à Mah-Jong. Le Playboy aux pieds d'argile tenta de détendre l'atmosphère avec une blague. "Hey Chang, tu la connais celle-là !? Un gros ours et un petit lapin blanc se retrouvent par hasard derrière le même buisson pour faire leurs besoins. L'ours demande au petit lapin 'Dis, ça te gêne toi, la merde qui s'accroche aux poils ?' le lapin répond 'Ben non, c'est la nature, faut faire avec...' Et sur ce, l'ours attrape le petit lapin par le col et se torche avec.. hin hin hin... Dis-moi Chang, toi dérangé par merde accrochée à poils !?". Mah-Jong avait aimé la blague. Cependant sa réponse fut tranchante. "Je suis imberbe, connard ! Et puis je suis belge, de Fosses-la-Ville, alors arrêtes de me parler comme à un mongol ou je te coupe en rondelles !". Oh mon dieu... Mah-Jong s'en voulait terriblement. Il détestait son système neuro-linguistique qui n'était que réflexes conditionnés. La vie n'avait pas été tendre avec lui, et son esprit était colère. Il ne maîtrisait pas tout ce qui sortait de sa bouche, et avait à de nombreuses reprises gâché de beaux débuts d'amitié à cause de ça. Il avait dans la plupart de ces cas "effacé" son erreur à grands coups de couteau, histoire de recommencer à partir d'une page vierge. Son interlocuteur enchaîna : "Oh mais tu parles admirablement notre langue, Chang !" Mah-Jong : "Je suis belge Ducon, combien de fois il faudra que je le répète. Je vais te tuer !" Oh non, pas encore ! Pas maintenant ! Ce petit être fragile en face de lui commençait à lui inspirer de l'amour. Et puis ces guêtres de matière sèche (qui ressemblait à s'y méprendre à de la merde) recouvertes d'éléments divers (touffes d'herbe, brindilles, fleures, et il lui semblait même avoir aperçu une taupe prise au piège) lui allaient à ravir. Ce petit look à la Vanberendonk (il avait décidément du mal avec ces noms à consonances batavo-teutonnes), l'émoustillait au plus au point. Il avait toujours aimé les artistes. Mah-Jong tenta l'approche : "S'pèce de bâtard, je vais te trancher le lard !". Mince ! Surtout ne pas effrayer ce nouvel ami/amant ? "Viens par ici que je te désosse, l'ablette" Zut ! Espérons qu'il ne soit pas du genre à se formaliser. Mais déjà, l'inconnu féru de mode fondait en larmes, le suppliant de ne pas le tuer. La carapace de Mah-Jong se brisa pour de bon. Son petit coeur pu enfin s'exprimer librement. Il couru vers le bel inconnu et commença de le consoler en entourant ses épaules de ses gros bras musculeux. Il pleurait avec le maigrichon.

Maupassy se déhancha et asséna un méchant coup de genou dans les parties du gros chinois qui se prenait pour un belge. Il tonitrua : "Ahahah, t'es tombé dedans Chang ! Maupassy est un adversaire bien trop fort pour toi ! Mhouahahaha !" Le gros homme qui se tortillait à terre parvint à dire entre deux hoquets de douleur et trois sanglots : "...t'aime !..."

Eva, après la répartie invincible du Von Broum (il avait de l'esprit, lui, maintenant ?), avait failli se trouver mal.

Que pouvait bien faire Maupassy ?

"Si vous étiez mon épouse, Madame, je le boirais".

Habituellement, c'était Eva qui usait de telles escarmouches faisant mouche.

Quand, exceptionnnellement, elle recontrait forte partie, il lui était arrivé de ne pas avoir la présence d'esprit de rétorquer, de contre-attaquer dans la seconde, et au centuple, elle avait à tout le moins trouvé la parade quelques minutes plus tard, voir le lendemain.

Trop tard, c'est entendu, pour emporter la partie, mais, au moins, elle savait qu'il ne lui avait manqué "que" du Temps pour être sacrée.

Tandis que là...

Elle avait beau se fouiller les lobes pariétaux, rien...rien!

Il devait y avoir une issue, ce n'était pas possible.

Thé...poison...épouse...

Si vous étiez mon mari, Monsieur, oho, je vous assure que...

La répartie parfaite ? Von Broum, l'orfèvre du cervelas, aurait - il trouvé le Grrrâââle ?

Elle tira discretos, discretos, vers les rideaux de taffetas, qui annonçaient la terrasse surélevée.

L'air était frais, et après l'enfermement, elle avait besoin de sentir que la bise était venue.

C'était une soirée magnifique, un ciel constellé de petits points lumineux, un petit peu comme des étoiles.

Les jardins étaient plongés dans l'obscurité.

"Giardino di Boboli", faisait rouler Eva sous sa langue.

"Giardino di Boboli". Casanova...

Tout en faisant rouler sa langue, en pensant à Casanova, à sa finesse, à la perle de Von Broum, au thé vert, Eva aperçut tout à coup une sorte de spectre blanc marchant à tâtons.

Moins d'une seconde plus tard, le spectre disparut.

Eva se passait sur les yeux un peu de cette buée de champagne que l'on peut si aisément recueillir sur les parois d'une flûte enchanteresse.

Le spectre revint sur ses pas !

Tout à coup, d'un blanc éclatant, il fut rayé : le haut était tout blanc, ses jambes étaient dorénavant foncées, puis ses mollets étaient blancs à nouveau.

Elle devait avoir la berlue.

"Je dois avoir la berlue", sconi Eva.

Tout à coup, un mugissement d'enfer se fit entendre, tandis que dans le même temps le spectre se contorsionnait, des pétards explosant dans le lointain.

Tout cela était extrêmement étrange.

Un spectre, une pétarade, alors que l'on était si loin de la ville, sur ce promontoire.

Tout autour du spectre, les feuillages bougeaient désormais très rapidement, comme si ce spectre avait le pouvoir de faire se lever le vent.

Eva déposa sa coupe de champi.

Etait-ce possible qu'on l'ait droguée ?

Et cette histoire de thé, de poison, se pouvait-il que ?

Tout s'expliquait...si Von Broum avait été si vif, c'est qu'il avait tout prévu, depuis longtemps..."Si vous étiez mon épouse, Madame, je le boirais"...il souriait, l'air triomphant, quand il avait tourné l'étalon...

Eva glapit.

Moins d'une sconde plus tard, ce sont l'index et le majeur, de concert, qui, d'Eva, mais comme c'est trivial, et puis n'importe quel lecteur, même grand amateur de télé-réalité (surtout, même) aura immédiatement et parfaitement compris ce qui se passait, et l'auteur, l'écrivain (avec sa sensibilté propre), pourra, sans craindre le reproche, laisser à l'imagination dudit lecteur le soin de.

Quelques instants plus tard, les yeux rougis, Eva se sentait mieux.

Elle l'avait échappée belle.

Elle avait un avantage.

Von Broum devait croire que tout serait bientôt fini.

Elle rentra.

Auvencelle portait une coupe à ses lèvres.

Elle se précipita, et lui donna un bon coup dans le dos.

Cela fit "Splischhhchchchh".

Auvencelle en était couverte, elle avait l'air passablement contrariée.

"Non mais qui qui m'a foutu", "Non mais ca va pas mais qu'est-ce que..."

Tout le monde les regardait.

Eva devrait être fine.

Von Broum approchait, souriant, les sourcils relevés.

"Et bien, je..aha, quelle ambiance !"

Ne voulant être en reste, il se déversa un plein verre sur le sommet du crâne.

Tout le monde, autour, après s'être regardé, en fit de même.

C'est à ce moment que Maupassy entra.

Il ne comprenait rien.

"Je...je n'ai pas soif", sconi t'il (ah non, tiens,comme c'est étrange, ici le ressort comique semble ne pas fonctionner de manière optimale. Mystères de la Création, Génie de l'Artiste. Ne pas chercher à comprendre, cela doit rester magique).

Eva loua intérieurement la prescience de Maupassy, qui, d'entrée, annonçait qu'il n'avait pas soif !

Il avait tout compris, d'emblée.

Il...il était beau comme...comme un spectre.

Des centaines de pétales de roses ornaient le bas de son pantalon de smoking crème.

La classe à l'état pur.

Galliano...(le poulet, en espagnol).

Maupassy avait l'air soulagé d'un grand poids, il paraissait autre.

Un belge tout jaune le suivait en faisant des courbettes.

Il en imposait.

"Ca en jette, hein ?", affirma Maupassy, d'une voix de stentor.

Il prit une coupe, et en aspergea Von Broum, qui ne voyait plus rien.

"Alors ? C'est la pêpêche ?"

Von Broum : "Oui, bonjour aussi...mais...que signifie ?"

Maupassy (désinvolte, comme un fumeur de cigarettes) :

"Il faut oublier les folies d'un jour pour faire place à celles du lendemain".

"Mec".

Von Broum : "...".

Un affreux blanc descendit sur la salle, tel un petit nuage vaporeux italien. Un vaporetto. Drivé par un mongol de Venise. Plus personne ne bougeait. On aurait entendu une mouche volée, si le chinois ne l'avait pas bouffée.

Ernesto, jaloux de l'entrée de Maupassy, était sorti de sa cachette (de son lieu d'observation, de son nid d'aigle, préférait-il), tout en haut, plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la scène.

Il avait toujours eu horreur des affreux blancs, comme tout le monde, sauf les allémands.

En moins de 10 secondes, il avait dévalé de son promontoire pour se mêler aux fourmis.

Il allait être brillant, il DEVAIT être brillant.

Il s'approcha, musculeux, marchant comme un bodybuildé, un porte-cigarette à la main droite (en réalité, entre l'index et le majeur).

"Je connais 2-3 blagues sur les flamands, si y a un blanc".

"Et sur les nègres, si y a pas de blanc".

Il se tapotait les oreilles, c'était très étrange, il n'entendait pas les rires, rien. Saloperie. C'était donc vrai ? La mastication rendait sourd ?

Le sang d'Auvencelle ne fit qu'un tour. D'un ample mouvement circulaire, elle s'empara d'une coupe de champagne qui était posée, au milieu d'autres, sur le plateau qui passait entre les convives, suspendu au bras d'un larbin en queue-de-pie.

En trois pas, elle s'approcha d'Ernesto.

"Sachez, Monsieur", fit-elle avec le plus de morve qu'elle pouvait trouver au fond d'elle-même. "Que mes ancêtres étaient du Limbourg!" Et elle renversa le champagne sur le jeune latino-américain. Celui-ci, pris au dépourvu, fut saisi d'une longue secousse épidermique, qui se répandit le long de sa colonne vertébrale. "En u zult niet meer zoals spreken, mijnhiir", termina Auvencelle. Ernesto fut alors pris d'un bouillonnement (et tout le monde sur place sût qu'il passerait mal - les changements brusques de températures sont souvent fatals). Il porta son regard vers son père, le Baron Von Broum, l'homme de la maison. Mais celui-ci était caché derrière Maupassy, et n'avait donc rien suivi de la scène. De plus, il ne comprenait rien au flamand. Sur Maupassy, donc, coula d'abord ce qui ressemblait à un appel à l'aide, une profonde détresse qui cherchait une ancre, un port d'attache. Mais tout cela se mua rapidement en une moue caractéristique, et bien connue de tous. Celle de la haîne dépourvue d'attaches. Ernesto allait laisser libre cours à ses pulsions. Maupassy ne s'en rendit pas compte.

"Toi", fit Ernesto avec un accent qui remontait du fond de la jungle, "Tu vas payer pour la vieille peau." "À l'Hôpital Velpeau ?" Rétorqua Maupassy, avec un clin d'oeil enjôleur à Auvencelle. Tout le monde éclata de rire, et c'est à ce moment que Von Broum se retourna. Il aperçut son fils, son propre sang, et il comprit ce qui venait de se jouer à cet instant précis. Ce petit cuistre de Maupassy était en train de prendre l'ascendant. Il était fort. Il savait répartir. Un adversaire puissant, nul doute à avoir. Puis, il était dans la force de l'âge. Il était à son avantage, et parfumé de rose. Il faudrait frapper un grand coup.

Décidé, d'un pas tranquille, il s'approcha d'Eva. Il savait que tout allait se jouer à cet instant. Aucun coup de feu ne serait tiré. Il pourrait s'en vanter encore longtemps. Il aurait déjoué tout cela sans violence.

D'une main svelte, mais légèrement humide (bon, c'est vrai, il était nerveux), il pris la paume de la jeune fille, et enjoignit un serveur à faire tinter son verre (qu'il tenait dans l'autre main, qui était moins humide, mais qui ne pouvait pas faire tinter le verre toute seule).

"Hum, brm", fit-il pour s'éclaircir la voix. "Mesdames et Messieurs, puisque nous sommes tous là, j'ai une importante nouvelle à vous annoncer."

Ernesto n'écoutait pas : tout en lui n'était plus qu'une phrase, qu'il se repassait en boucle, en décapsulant Maupassy du regard : "Celui qui n'est pas occupé à naître est occupé à mourir".

"Aujourd'hui", continuait Von Broum,

Grâce à une fenêtre laissée ouverte dans la haute salle (il fallait bien y laisser un petit courant d'air, tout de même), un insecte volant s'introduisit dans la fête sans y être invité. D'un vol silencieux, il fondit sur les protagonistes qui, à l'échelle d'insecte, semblaient avoir été changés en statues de pierre.

D'un côté, un gros humain aux favoris épais tenait par la main une jeune demoiselle dont la perruque rappelait l'époque victorienne. L'homme avait les joues rouges et le front perlant d'émotion. Inconsciemment, il émettait une série de signaux olfactifs qui allaient de la peur au parfum bon marché.

En face de ces deux-ci, trois autres formes s'étaient placées face aux premiers. Dans différentes positions qui, toutes, semblaient montrer leur stupeur, leur appréhension.

L'insecte virevolta encore quelques instants autour d'un jeune homme au parfum des bois qui lui rappelait à quel point il était bon de vivre auprès de la nature. L'insecte aimait la nature. Il se posa sur le pantalon du garçon sans que celui-ci ne s'en rende compte.

Il avait fixé son attention sur le gros humain aux joues rouges.

L'insecte, quant à lui, chercha à voir ce qui, exactement, était à l'origine de ce parfum si délicat.

"Je... je... enfin.... 'Nous'..." enchaina finalement Von Broum en mettant un genou à terre aux pieds d'Eva dans un craquement qui glaça d'effroi les quelques rhumatologues présents dans l'assistance. Le sourire qu'il avait voulu charmeur se figea dans un rictus. Une larme coula lentement et en silence sur sa joue gauche. La main qui cherchait celle d'Eva n'atteignit jamais sa cible, flottant quelques instants en l'air pour en fin de compte revenir se crisper sur sa cuisse. Un "oooouuuuch" échappa collégialement de l'assemblée, suivi par un de ces silences embarrassés avec des regards qui cherchent des trucs à regarder, n'importe quoi mais pas le sujet du drame, et qui font comprendre que ça y est, vous êtes en plein dans l'un de ces grands moments de solitude. Mais Von Broum en avait connu de pires que ça. Il avait fait la guerre madame ! Le bougre savait même tirer parti des situations les plus délicates pour finalement les retourner à son avantage. Il l'avait prouvé en de nombreuses occasions. Il réussit à articuler un "héhé...même pas mal" avant de tenter une roulade avant qui aurait dû le remettre sur pied tout en épattant la gallerie, mais qui se solda par un plat-dos violent et un nouveau craquement, au niveau des lombaires cette fois-ci. Tout le monde étant déjà occupé à regarder ailleurs, et il n'y eu personne pour voir la détresse pure qui passa furtivement dans les yeux du petit homme chauve. Chauve, parfaitement. Sa cabriole lui ayant déroulé cette longue mèche de cheveux qu'il avait laisser pousser pendant des années, et qu'il mettait deux bonnes heures chaque matin à enrouler en turban sur le sommet désespérément lisse de son crâne. Le choc violent lui avait également à moitié décroché les quatre dents de devant qu'il avait de fausses, depuis un stupide accident de chasse impliquant une giraffe et un semi-remorque roumain. La douleur et l'émotion semblaient lui avoir masqué ce fait, et Von Broum se retrouvait maintenant avec un quatuor de chicots exposé à tous les vents. Après une longue inspiration sifflante et un croisement de mains derrière la tête pour simuler la décontraction (crac), Von Broum finit sa phrase sur un ton jovial joliment composé : "...afons une craaaande noufelle à fous annonfer mes amis...". Il fit signe à deux de ses sbires qui ne comprirent pas tout de suite la signification de ces haussements de sourcils et autres roulements d'yeux. Ils les ferait exécuter dès son retour de convalescence. Ils en saisirent enfin le sens et vinrent aider leur maitre à se remettre sur pied. "une canne à pommeau d'argent !" souffla-t-il à celui qui avait l'air le moins bête. Puis haussant la voix : "Mais je fous proposse pour fela de paffer au Falon Napoléon. Nous y ferons plus à notre aise". Il souriait. Ils allaient bientôt tous être écrasés sous le poids de son génie. "Pour fela, prenons donc l'ascenfeur..." dit-il sur un ton faussement débonnaire. Il jubilait. Quel effet ! Un ascenseur dans un manoir. Déjà quelques sourcils se levaient. Ne pas montrer son émotion. Et dire qu'il ne s'agit que du début ! Von Broum précédant ses convives les fit monter dans ce qui ressemblait vaguement à un monte-charge customisé à coups de dorures et autres moulures rococottes. Des tentures de velour rouge aux murs de la cabine parachevaient l'effet "Pimp". Il y eu quelques vomis. Quand une vingtaine d'invités fut dans l'ascenseur, Von Broum fit fermer les portes en balançant un "C'est complet !" suivi de coups de canne aux quelques convives restés à l'extérieur et qui s'apprétaient à embarquer.

L'ascenceur monta en vrombissant. Von Broum étudiait d'un air détaché le panneau de contrôle de la machine, et appuya nonchalamente sur le bouton du deuxièm étage. Il avait eu son petit succès avec l'histoire de l'ascenceur. Eva, qu'il tenait toujours par la main, était silencieuse. "Cette fois je l'ai matée" se dit-il. Tout allait pour le mieux,il avait rattrapé la situation de main de maître.

Deux étages plus bas, Maupassy avait dévissé, à l'aide d'une fourchette, le panneau du bouton d'appel de l'ascenceur. Il comptait bien, en mettant en contact deux fils de couleur différente, provoquer un court-circuit et faire arrêter la machine. Il avait vu cela dans de nombreux films. Auvencelle, à ses côtés, lui tendait servilement les outils qu'il demandait: "pinces à épiler! coupe-ongles! graisse de cordonnier!!!" Elle était impressionnée. Elle avait de nouveau mal jugé Maupassy. Il était arrivé, certes assez tard, mais il était vêtu d'un splendide smoking, et avait fait une entrée triomphante. Il y avait évidemment une odeur étrange dans l'air, mais elle décida de ne pas y prêter attention. "Aïe!" cria soudain Maupassy. "Je me suis cassé un ongle!" Ïl donna un coup de pied dans la porte de l'ascenceur.

Von Broum entendit le choc deux étages plus bas et sourit. "Ils sont impatients de voir ce que je leur réserve. Bien. La fête ne fait que commencer. Par ici, ma chère." Il frappa deux fois dans les mains et deux laquais ouvrirent une somptueuse porte de 6 mètres de haut.

"Ah bin c'est malin, il marchera beaucoup moins bien maintenant".

Maupassy commençait à comprendre qu'il avait niqué l'ascenseur, et tout le monde voyait bien qu'on allait devoir se taper tous les étages à pied.

"Oui...heu...mais c'était sûrement un piège...le...l'ascenseur", grabouilli Maupassy, cramoisi.

"Un ascenseur, un piège ???" fusa, suivi comme un écho par un " Mais, c'est pas vrai, mais quel crétin, je rêve".

Ernesto avait l'air de bouillir. Se retaper l'escalier en escargot espagnol (colimaçon) ne l'enchantait guère.

"Bouffon", souffla t'il à proximité de Maupassy.

"Vous ne pensez qu'à manger", répliqua Maupassy.

Ernesto avait les yeux aussi rieurs que ceux d'un crapaud écrasé par un 18 tonnes.

Il se sentait comme s'il n'avait pas été à la bonne école, ou comme si sa chemise dépassait. Il porta la main à sa cravate, rectifia l'arrangement.

"J'espère que ca ira mieux demain, même si c'est déjà ce que je disais hier", fit Losofatil.

Maupassy s'était repris et organisait (comme un allemand) la remontée vers le Nord, la migration vers l'étage où avaient disparus Von Broum, Eva, et quelques figurants adjacents (pour faire nombre. On n'a ja-ja-jamais vu de Grand Bal à quatre, cinq personnes).

"Hop-pop-pop ! Allons sagement et doucement : trébuche qui court vite, comme disait Monsieur Shakespeare (à moins que ce ne fut ma petite soeur ? Bref !)", édictait Maupassy, paternaliste (il prenait son rôle très au sérieux).

Maupassy était songeur.

Ce Duc à cape en mousseline lui faisait étrangement penser à ce singe de Tuler, en blond, et en plus barbu.

"Cela m'étrange", rhapsodiait Maupassy.

"Venez, venez voir la vue que l'on a d'ici, Milady".

Personne ne bougeait.

"Oh, allez, Eva, quoi, venez, venez, la vue ! Allez".

Eva traîna la patte, comme un mouton orphelin égaré tout en haut d'une colline embrumée : son pas était gourd, quoi.

"Ah oui. On voit les lumières" fut sa seule réponse.

"Mrrrm", fit Von Broum.

"N'est-ce pas extraordinaire, tout ce luxe ?", crapota t'il encore.

"Bien mal acquis ne profite jamais", laissa tomber Eva, dédaigneuse.

"Ah mais si. Si si. Bien acquis profite, ah si, ah si, ah si. Si si si. Oh que oui, oui, oui, j'en profite, à mort que j'en profite. Ceux qui disent cela n'y connaissent rien, ne savent profiter de rien. D'ailleurs, je vais vous dire, Eva. Si j'avais dû travailler comme un chien depuis 250 ans pour me payer un truc comme celui-ci, plein de super trucs, et bin je n'en aurais même pas profité, bon, parce que je serais mort depuis 190 ans, mais aussi parce que l'on profite d'autant mieux de quelque chose que l'on n'a pas dû se fouler pour l'avoir, passer des heures dans une mine pour prendre un bain de champagne, oh, très peu pour moi, j'aurais honte, honte, m'entendez-vous, de dilapider de la sorte de l'argent si chèrement gagné. Non, non, croyez-moi, mon enfant : moins vous mméritez l'argent que vous avez, plus il est doux de le cracher en divins enfantillages. C'est ça le secret. Oui, parce que la religion, le capitalisme, le communisme, tout ca, ils vont vous dire que c'est beau le travail, que c'est bon, que c'est la valeur la plus noble, mais non, oh non.

Ils disent cela seulement pour convaincre les pauvres pécheurs de travailler tant et plus, de se brûler les yeux sur des machines, de se forcer le dos dans les champs, de trimer comme une bête de somme dans des bureaux pleins d'amiante, pendant que les élus, ceux qui connaissent le Secret, eux, jouent au golf en dégustant des petits fours, ou plutôt font jouer leur caddie, qui taperont eux-mêmes dans la petite baballe, au risque de se froisser un musque, comme disent ces gens. Jouer au golf...Tssss...c'est d'un commun...et puis quel manque de maturité, s'amuser à de tels riens.

Non, la possession permet de s'adonner à l'art du badinage, que dis-je de la Conversation, qui, de tous les arts, est de loin le plus pur, le plus exigeant, le plus sacré.

Eloigner l'ennui de sa vie, Eva, il n'y a pas pire que l'ennui, la routine, le bâillement.

C'est l'art de sait qui parler, de qui parle tel Voltaire, ou Casanova, ou Oscar Wilde, Guitry, Churchill jeune.

Cet art là, chère Eva, dont je suis ceinture verte première damme, est le plus noble.

La répartie en est une parcelle, une infime parcelle, mais qui n'a jamais été mouché comme une bougie par un trait tiré par un Maître ne sait pas que la Mort est douce, et souhaitable.

Eva, si vous décidez de rester ici, plutôt que de retourner librement, et avec mon équipe, je m'y engage, à ce que Monsieur-Le-Nul persiste à appeler son "Manoir" (je me gausse), vous saurez ce qu'être distraite veut dire.

Vous apercevrez, à les toucher, les perles de l'Art de s'exprimer, vous collectionnerez mille gausseries, vous n'aurez qu'à vous baisser pour ramasser, de ci, de là, les perles les plus pures d'une conversation enlevée, et, très vite, vous verrez, vous maîtriserez les rudiments d'une conversation passionnante.

Eva, vous n'aurez plus jamais à parler ou à être entretenue du temps qu'il fait, plus de passe moi le sel, merci, c'est très bon, est-ce une pointe d'aneth que je décèle, tout cela, ce sera fini, Eva.

La dichotomie entre une poire et une pomme, la définition d'un pet réussi, qui c'est le plus fort entre un rhinocéros et un éléphant géant, bref, le petit fond de commerce de la grande gigasse rousse qui vous sert de confident, j'insiste sur la première syllabe, ce sera du passé, et le passé ne vaut pas que des gens comme nous s'y attardent, Eva.

Soyez mienne, petit cabri sauvage indomptable, et je vous dirai si Dieu existe, preuves à l'appui.

Clap clap !

Le dossier Jésus - Marie - Joseph - Dieu sur mon bureau demain à 8 heures, Buttler.

Et faites attention avec cette croix, s'il vous plaît.

La dernière fois, je me suis chopé une écharde, j'en frémis encore.

Et ne vous servez plus de la reconnaissance expresse apocryphe comme d'un buvard, sombre dégénéré.

Alors, tendre amie aux yeux vermicelles, que pensez-vous de mon Offre ?

Le luxe, le calme, la volutpé, l'Art séculaire de la plus claire conversation, ou le "Manoir", les courses de cuillères avec un oeuf, la cuisine de terroir pleine de beurre salé, une pièce de théâtre par trimestre, un bal chez un voisin tous les 36 du mois et l'obligation de reporter la même robe à chaque Noel ? Mmmmh ? Prenez votre temps, vous avez jusqu'au bout de la Nuit pour venir me susurrer votre réponse, dis moi oui, mais-qui-voilà-mais-quelle-bonne-surprise-mais-c'est-notre-ami-Maupassy-mais qu'avez-vous-au-doigt-très-cher-voulez-vous-une-lime-à-ongles ?

Nous disions justement, Eva, et moi, quel dommage, pour votre Manoir, ces rustres, pendant votre absence, n'est-ce-pas ?

"La sagesse est d'être fou lorsque les circonstances en valent la peine, Von Broum", déglutit Maupassy.

Il avait lancé cela comme on crache un noyau de cerise. Ou un pépin trouvé dans un fruit ne comportant, en règle, AUCUN pépin...

"Heu...oui...Cocteau, c'est cela ? Mais quel rapport, très cher ? Quel rapport, foutredieu ???"

"Un rapport ?", interrogea Maupassy, en sifflant comme un serpent et en agrandissant "super fort" les yeux.

"...Oui...voulez-vous voir la vue ?"

"Voir une vue", intéressant, "boire une boisson", "bouffer de la bouffe, c'est ca, Von Broum ? Il y a aussi "égorger une gorge", pas vrai ?

"Oui...bon bon bon, je...je vous laisse quelques instants, je ne serai pas long, n'est-ce pas, un détail, vous savez, un grand bal...ahlalala....".

"ha ha ha" pensait Maupassy en voyant von Broum repartir fébrilement vers le Grand Salon.. "Je l'ai bien mouché, cela ne fait aucun doute!" Maupassy s'approcha de la rambarde pour admirer la vue... en effet, la vue était bien belle, comme dans ses souvenirs... Il pensait pour lui-même :"Ha! voilà bien les gens de ce monde.. à la moindre répartie un peu cinglante, ils s'enfuient à tout-va! Cela démontre tout à fait la supériorité de mon esprit aiguisé tel la charnière d'une porte blindée... heu non, je veux dire tel le dur et fier tronc d'arbre que l'on vient de bûcheronner.. ou plutôt telle la légère libellule qui ne se doute pas que le crapaud la guette dans les joncs épars..."

Une demie-heure passa ainsi rapidement.. Ernesto était parti se chercher un verre de champagne, puisque tant qu'on y était, autant boire la vie du bon coté du verre... En fait, Maupassy était seul et abandonné sur son balcon, mais il ne s'en était pas rendu compte.. von Broum avait fait verrouillé les portes qui donnaient accès au dit balcon...

Lorsqu'il fut certain que les troubles-fête étaient maintenus à l'écart, le Baron s'empara d'une nouvelle coupe de champagne et s'empressa de passer entre les convives en faisant tinter le cristal. "Ting ting, pardon, s'il vous plaît, un peu d'attention", faisait-il nonchalant. Les femmes le regardaient d'un air espiègle - il savait bien à quel point elles aimaient la gausserie, à quel point elles désireraient bientôt toutes être à la place d'Eva, pour profiter de son talent. "Ting ting", donc, "s'il vous plaît, j'aimerais dire deux mots".

Il s'avança jusqu'à un petit promontoire rapidement mis sur pied par quelques laquais fébriles. Et leva sa coupe tel un joueur de football italien, cherchant Eva du regard. La petite éfrontée s'était eclipsée au moment où le troublion avait fait son apparition sur le balcon. Et à présent, tout le monde l'observait, le sourire composé aux lèvres.

Enfin, il la repéra, près du bar. Eva, à qui Ernesto offrait à boire. Le jeune homme prenait les devant. Von Broum n'aima pas ce qu'il vu. Et il aima encore moins que ce fut avec son champagne à lui que son fils fréquentait la jeune fille.

"Comme je vous le disais donc", commença-t-il en se laissant habilement du temps pour préparer son intervention, "avant que nous ne dussions rejoindre cette halle dans une malwencontreuse..."

Et là-dessus, Eva se mit à rire. Un rire qui traversa toute la salle à la façon d'un Exocet, et qui frappa Von Broum de plein fouet. Elle avait ri! Elle riait encore! Elle ne s'arrêtait pas! Von Broum avait arrêté sa phrase au beau milieu, et goûta son rire. Il l'hûma, en découvrit les mille senteurs, se laissant border par ses longues mélopées.

"Ernesto", dit-elle, "vous êtes impayable!"

Et d'un coup, le vase de porcelaine chinoise qu'était devenu Von Broum sous l'influence du seul rire de la jeune fille, se retourna et se brisa. "Impayable!" Dans sa propre maison! C'en était trop. Le Baron devait arrêter cette ritournelle qui avait brutalement des relents aigres.

Il fendit la foule qui restait radieuse, comme si ce qui allait se passer ne pouvait être qu'une plaisante gausserie.

"Je devrais boire un peu d'eau", pensait Maupassy.

"Sinon, je vais être gris. Or, j'ai besoin de toute mon...ma...mon acuité, dirais-je".

"De plus, l'eau est bonne pour notre organisme. Combien de fois n'ais-je pas lu un mannequin, à qui était posée la question "Mais quel est donc le secret de votre beauté" ?, répondre : "C'est tout simple, je bois un litre et demi d'eau par jour ! Et je dors huit heures par jour".

Oui. Voilà ce qu'il fallait faire. Boire un litre et demi d'eau par jour. Oui.

Mais prenons (c'est une expression) tel horrible tas, tel horrible petit bossu, telle pustuleuse trogne, telle face hideuse, telle insulte aux canons de la beauté : essaierait-on de lui faire croire que s'il avait bu un litre et demi d'eau par jour, que dis-je, QUATRE litres (garçon, entonnoir !), il aurait été regardable, qu'il aurait été le Roi de la fête, le capitaine de son équipe, ou, tout simplement, qu'il aurait eu des amis ?

Non.

Et regardez-moi toutes ces lumières, là, là et là, toute cette satanée bicoque brillait comme le nez d'un ouvrier du bâtiment une chaude après-midi d'été, après 4/5 bières en petites bouteille (vous savez, celles qu'ils enterrent avec leurs excréments, dans le jardin, à quelques mètres du gros oeuvre, là où Madame creusera pour placer ses rosiers, ah les salops).

Cela heurtait Maupassy, qui était écologique depuis très longtemps. Il détestait la gabegie, ou un autre mot de ce genre.

Il aimait la Terre, la nature, et souffrait physiquement quand on l'abîmait.

Pourquoi tout ce jardin devait-il être illuminé comme en plein jour ?

Pourquoi les greniers et les combles étaient-ils illuminés comme-un-quatorze-juillet ?

Maupassy s'était souvent demandé, il y a longtemps, quand il formait son esprit, ses convictions, s'il n'aimait pas que l'on polluât, ou s'il...s'il était tout simplement radin.

Et bien non.

Car s'il éteignait les lumières et limitait au maximum le chauffage des communs, c'était également le cas chez les autres, OR, il ne payait pas les factures énergétiques des autres, tout de même !

Donc, il n'était pas radin, mais sensible à l'avenir de la planète, qu'il fallait laisser en bon état pour les enfants des autres.

La terre ne nous appartient pas, nous ne faisons que l'emprunter à ,nos enfants, disait le poète.

Et c'était vrai. Maupassy voulait que les petits enfants des petits enfants des autres puissent se baigner dans la rivière où il faisait ses ablutions, étant petit, sans avoir à passer un scaphandrier.

Il voulait que des poules, des cochons, des vaches, paissent dans les champs, il voulait des papillons, il voulait des libellules, il voulait des sauterelles, il voulait des crikquets, il voulait des escargots, il ne voulait plus de limaces, ni de moustiques, mais il voulait des écureuils ! Des tonnes d'écureuil !!!

Il voulait que le monde ressemble à un village, en France, un beau village préservé, avec des ruisseaux, de frais bocages, avec une sorte de vieux lavoir, avec un vieux fou qui fait des petits chèvres si vieux qu'on manque de s'y casser le râtelier.

Il voulait du purin sur les routes, il voulait l'odeur des foins coupés.

C'est pour cela, qu'il était écologique.

Mais parfois, il doutait.

Pourquoi voulopir que les petits enfants des petits enfants des autres puissent bénéficier d'un cadre de vie privilégié, alors qu'il ne les connaîtrait même pas, qu'il s'agirait probablement pour une grande part de petits morveux n'ayant aucun respect de rien, alors qu'au restoroute, sur le chemin des vacances, quand il s'arrêtait pour faire usage des latrines publiques, il ne manquait jamais de rire aux éclats en déversant sa "grande commission" partout sauf à l'intérieur de la cible ?

Pourquoi être si généreux vis-à-vis de futurs utilisateurs du Monde, alors que pour ses contemporains, rien n'était plus doux que de leur saloper méticuleusement leurs facilités ?

C'était insoluble, ou à tout le moins un petit peu curieux. Non ?

Maupassy regarda la lune. Diable ! Il était déjà minuit, ou presque, et au bas mot. Il était déjà minuit, au bas mot, ou presque. Il était minuit.

Cela devait faire deux heures qu'il pensait à la Vie, alors que la Fête devait battre son plein, sans Lui !

Ils devaient se morfondre !

Saperlipopette. Cette porte est coincée. Gggngngngn.

"C'est coincé", fit Maupassy.

Von Broum, pépia Eva, je vous fait mon compliment, votre Ernesto est vraiment spirituel.

Il me narrait, avec force détails savoureux, que vous aviez fait pipi au lit jusqu'à l'âge de 21 ans ?

Racontez-nous cela.

Heu...hin hin hin...oui...n'est-ce pas (tenant Ernesto par l'oreille) oui...hin hin hin...Ernesto est un petit peu flapi, dirait-on. Le pauvre ange a besoin de sommeil, n'est-ce pas ?

"Non, père, je vous remercie, mais cela pulse".

Tut-tut-tut, pas d'histoire, n'est-ce pas, Ernesto, tu vas aller dans ta chambre, et tu vas aller recommencer à cracher dans un seau pendant au moins une heure. Les invités vont manquer de glaçons, et puis c'est tellement original, les glaçons au crachat, me disais-tu encore ce matin, n'est-ce pas (gardes, p.

"Comment, mais, mais, hein, mais pas du tout, des glaçons au crachat ? Première nouvelle, mais qui, que, hein ?"

Le bruit des glaçons frappant le sol, dans un bel ensemble, faisait immanquablement penser aux carillons de Big Ben un soir de Trafalgar.

Seul Maupassy continuait à boire, là-haut, dans l'ignorance qu'il était du coup de bluff de Von Broum.

En réaité, si Ernesto avait effectivement confectionné des glaçons à l'aide de sucs corporels, c'était il y a des années, il était encore petit, ou jeune, et personne n'en avait jamais rien su.

Avec 10 ans de retard, l'ineffable Von Broum venait d'avoir eu une idée analogue, faisant une jolie illustration à rebours de l'adage nixonien "Bon sang, mais ne saurait mentir !".

Ernesto souhaitait un contrôle fiscal imminent à sa fripouille de papounet.

Il ravala ses glaviots, en même temps que sa fierté, et souriait à tout le monde, pendant que tout le monde lui tordait le nez (Bouh, qu'ils étaient vilains).

Chapitre 7: La décadence

Maupassy, coincé sur la terrasse, piétinait d'énervement. Il frappait énergiquement à la porte, et la pierre semi-précieuse de son anneau en arrachait à chaque fois un petit éclat. "Frappez plus fort, si vous voulez briser cette croûte!" criait-il. Malheureusement le bal battait son plein à l'intérieur et personne ne l'entendait. "Ne pas s'inquiéter." songeait-il. "Il vont s'aperçevoir de mon absence dans un instant, et on enverra une équipe de secours. Il y aura un serrurier 24h, qui aura tôt fait de décoincer les charnières." Il s'assit sur la rambarde de pierre et nota que son verre de porto s'était renversé et son contenu répandu sur le sol. "Au secours!!!" hurla-t-il.

À l'intérieur, les gardes avaient emmené Ernesto. Von Broum éprouva une vague de soulagement mais ses mains tremblaient vigoureusement d'énervement et tension à la suite des affronts répétés dont il venait d'être victime. Il avait besoin d'une boisson. Un porto serait le bienvenu. Il se dirigea vers le bar en essayant de mettre de l'ordre dans ses idées. Eva le suivait en demandant aux autres invités "Vous ne trouvez pas que ça pue? Il y a comme une odeur de pisse, non?" La scélérate! L'infâme petite peste! Il lui clouerait le bec vite fait. Mais ou était passé son porto? On le lui avait volé. Ce fut la goutte qui fit déborder le vase.

"Eva, je ne veux pas que vous m'aimassiez, je veux seulement que vous aimassiez, et cela pourquoi ? Pourquoi ? (c'est tout simple) : Car un incendie n'a pas de maître, Eva", dit Von Broum, prompt à relever le gant.

Hein ? Mmmh ? Oui, oui, à vos ordres, je...oui, c'est une idée. J'y penserai. Ce sera dur. Eva se mordillait l'intérieur des joues pour ne pas hurler. Quelle faconde !

"Von Broum, vos yeux sont comme deux petits coléoptères dorés", clama Eva.

Von Broum se tortillait sur lui-même, en proie à de vives rougeurs. Il papillonnait des cils, pour joindre le geste à la parole.

Eva jeta une olive par terre, de dépit. Aucun sens du second degré, c'était pathologique.

"Von Broum, vous êtes une lanterne japonaise...allumée". Vous feriez le bonheur de toute femme de goût normalement constituée, et fourbie d'une camisole chimique.

Von Broum buvait du petit lait. Ca en devenait presque trop facile. C'était limite gênant. Si Auvencelle pouvait entendre cela. Mais où était-elle, cette vieille chouette ? Ah, là-bas, avec ce jeune inconnu. Sans doute l'assomme t'elle à lui raconter ses rhumatismes. Von Broum lança une petite olive noire en l'air et l'attrappa avec la bouche (242 heures d'entraînement). "Easy !" s'exclama t'il.

Von Broum se sentait félice.

"Je me sens félice", ajouta Von Broum (il pensait ce qu'il disait, et disait ce qu'il pensait).

Von Broum avait une furieuse envie de pisser.

"J'ai une furieuse envie de..de faire un tour dans le jardin", ajouta Von Broum pour tout le canton (il fallait faire preuve de jugeotte, on a vu de ces péronelles qui s'effrayaient d'un mot leste, d'un rot, d'un rien).

Von Broum s'excusa, et décida de couper par la terrasse, ce serait plus rapide. Il n'aurait qu'à enjamber le parapet, ce serait facile, il se sentait jeune. Il fendit allègrement la foule, pardon, médème, excusez, passa près d'Auvencelle pour voir si il arriverait à lui lancer un sourire entendu et hautain, mais elle était absorbée dans on ne savait quelle conversation. Il parvint à la porte de la terrasse et essaya de tirer la poignée mais elle résistait. Quelqu'un, de l'autre côté, la tirait lui aussi vers lui. "Ah ça, mais lâchez!" cria-t-il. "Au secours!" répondit ne voix de fausset de l'autre côté. Von Broum s'arc-bouta de plus belle, car le besoin devenait pressant. Ce devait être le cognac, à moins que ce ne soit le porto? La poignée céda soudain et il tomba à la renverse, sous le poids de Maupassy qui avait été emporté par son élan. Ils se retrouvèrent sur le sol.

"Le futur n'est autre que du présent qui se précipite à notre rencontre", maugréa Maupassy, les cheveux dérangés.

"Je vais vous en foutre au cul, moi, du futur", glapit Von Broum, "vous avez de la chance, j'ai à faire", ajouta t'il avant de se précipiter sur le parapet (en courant comme un dindon constipé, les ailes repliées sur les parties charnues de son body non buildé).

Un miroir. Se recoiffer. Mais. Ce bruit. Von Broum miaulait de soulagement.

Deux petites ailes d'angelot étaient clairement visibles en lieu et place de ses omoplates.

Il sifflotait un air d'opérette, qu'il rendait méconnaissable. C'était plus une "variation sur le même thème" qu'un simple travail de recopiage (accessible à n'importe quel imbécile muni d'une bouche arrondie).

Vous faites une tête de pendentif vénézuélien, fit remarqua obligeamment Maupassy.

Je...vous en remontreriez à bien des amphores de haute précision, répliqua placidement Von Broum, décidé à jouer à plein la carte de l'apaisement.

Bras dessus bras dessous, les deux "compères" observaient, fascinés, Ernesto qui buvait des doubles Vodka-Duvel comme un cerf arrivé au point d'eau.

"Ernesto, oserais-je vous inviter à plus de tempérance ?", quémanda Von Broum, sur un ton respectueux.

Von Broum abhorrait les excès, mais savait reconnaître un tour de force quand on lui en mettait un sous le nez.

Pensez ! 8 doubles Vodka-Duvel en moins de deux minutes, c'était chiadé.

Mais à quoi cela allait-il (nous) mener ?

Ainsi pensait Von Broum.

Ernesto, un lion parvenu à une source d'eau claire après une marche forcée de 8 jours en savane a ses raisons que les amateurs de documentaires animaliers connaissent, mais...

Ernesto : "C'est dans la rosée des petites choses que le coeur trouve son matin et se rafraîchit, Père".

Sur ces entrefaits gorgiaques, Eva supputait de l'autre côté de l'Atrium.

Le Manoir était ouvert à tous les vents : les issues étaient innombrables : la terrasse, une fois le parapet éliminé, les cuisines, d'où était apparu Maupassy comme un diable sortant de boîte, la porte cochère, si l'on était à cheval sur les principes, bref, il y avait là plus de choix que d'embarras.

Mais fuir, toute seule, et pour aller où ?

Ne valait-il finalement pas mieux une cage dorée qu'une liberté trop cher payée ?

Et puis, d'abord, qu'était-ce que la liberté ?

Même ici, avec Von Broum (ce porc), n'était - elle pas plus libre qu'une caissière de Prisunic ? Dehors, sans ressources, il lui faudrait peut-être travailler !

Un haut le coeur la surprit en pleine réflexion.

"Et bien, Eva, haut les coeurs !".

C'était Auvencelle, accompagnée d'une sorte de mannequin blond limite vulgaire (vulgaire comme on aime, songeait Eva).

Par contre, cette odeur de brillantine...

Tumbler !!!

Je vous passe les "Vous ici, ça alors", et autres "remplissages de pages" auxquels se livrent quelquefois quelques écrivains peu scupuleux (ou payés à la ligne, ce qui excuse beaucoup de choses. Vous connaissez Shakespeare ? -Je vous passe également les "Nooon ? Si !-. Et je me suis laissé dire, dans la même veine, que certains apôtres auraient été payés au poids. Cela expliquerait certaines plaisanteries. Notamment le fait que Judas avait écrit ses pages sur du granit. Et que Pierre, ne comprenant décidément jamais rien à rien, s'empiffra tel un Condor dans les jours précédant la remise de sa bafouille).

Mais reprenons le fil d'or de notre récit (enlevé).

Eva recontre Tumbler, grâce à Auvencelle, qui sent la brillantine (Tumbler), mais qui est devenu blond, et est vulgaire comme on aime.

"Que faites-vous ici, vous ?"

"Je...je suis venu vous sauver !", fit, lyrique, le blondinet ("I came to save you, my dear Lady, from the big ugly one, with his lack of hair and his stinky teeth, you know, this one", montrant Von Broum, qui tenait fermement une bouteille d'une sorte de mélange improbable entre de la Vodka et...et de la Duvel, s'il n'avait pas la berlue. Ernesto semblait avoir également envie de mélanger l'apétissant breuvage).

"Quel est votre plan ?" s'enquit Eva.

"Mon quoi ? Ah ouais, ah ouais, alors on fout le camp par là, et puis on met un maximum de Miles entre lui, là (le...avec ses dents, là, et sa laque dans les cheveux, Von Broum, quoi), yeaah ?

Eva : "Oui. Mais après. Et après ?"

Tumbler : "Après ? Quoi ?"

Eva : "Pour vivre !".

Tumbler "Oui, pour vivre !".

Eva : "Bon, écoutez, mon petit bonhomme, ca ne va pas du tout. De combien disposez-vous ? Qu'est-ce que tu pèses, Tumbler ?"

Tumbler " Si je...?!?"..."Oh...Madame".

"Permettez , Mademoiselle ? Que diriez-vous d'une valse, Hamilton" ? s'enquit Jacqueline, soeur cadette de la gouvernante de Von Broum, auprès de Tumbler.

"Hamilton ? Une valse ? Qu'est-ce à ...?

Eva était déjà à couvert, filant parmi les plantes vertes.

Maupassy. Trouver Maupassy, lui confier ses sentiments à son égard. Quoi ? Maupassy était la seule et unique chance d'Eva, si les super-héros n'existaient pas.

On s'amusait parfois follement, avec Ernesto et Maupassy. Elle n'aurait pas dû.

Maupassy remettait un Louis-or à Jacqueline.

Ce valsifieur de Tuler devait sentir la valse, à présent. Maupassy se faisait l'effet d'être Jimmy Hendrix, qui tirait tous les strings.

Ce pendant, il allait bien finir par falloir agir, pensait piteusement Maupassy.

A minuit, tout se transformerait en citrouille, peut-être.

Et il ne comptait plus être là à ce moment, ayant peu d'appétit pour des souliers à l'envers.

Maupassy avait la furieuse impression que cette soirée risquait de tourner à l'aigre si on n'abordait pas les vrais sujets, les sujets qui vaches.

Certains avaient été emprisonnés, d'autres, surtout (lui) avaient été privés de viandes depuis des semaines, bref, en un mot comme "encens", par exemple, il y avait quelque chose de pourri dans le royaume des frigidaires.

Maupassy sortirait d'ici avec une femme à son bras, avec un permis en bonnet difforme l'autorisant à manger "tout ce qu'il voulait, même des animals disparus", et il partirait sur un bon mot. Pas question de retourner chez lui, ouvrir la porte de la Propriété, et trouver du pipi dans les porte-parapluies et se retrouver tout seul (aucune femme ne préparant le dîner).

"Alors, Tuler, on se fait des mèches ?", s''enquit-il délicatement auprès du petit pue le Marine, comme il aimait à l'appeler.

Tuler continuait à se lisser les sourcils avec de la salive, comme le faisaient les collaborateurs.

Maupassy, pour se concentrer, pour "se rassembler", suivait les rayonnements de la somptueuse bibliothèque (Alexandrie pouvait aller se rhabiller).

Il lorgnait sur un opuscule relié pleine peau (enfin écaille, c'était du saurien) intitulé sobrement "Le sens de la Vie pour les Nuls".

L'envie de feuilleter quelques lignes (et, qui sait, de mettre main basse sur une répartie définitive).

Mais...saperlotte, impossible de se saisir de cet ouvrage, je...HAN ! (crac, fit l'ouvrage). Il s'agissait d'un faux livre, en bois peint recouvert d'écailles, et celui-là aussi, et celui-là aussi, je...il...une fausse bibilothèque.

Von Broum paissait, au loin. "Dites, mon ami, me feriez-vous l'insigne plaisir de me laisser compulser quelques uns des merveilleux grimoires en votre possession ? Avez-vous tout lu ?

"Oui, je...écoutez, je suis fort occupé, je, nous en reparlerons, vous me direz ce qui vous intéresse, n'est-ce pas, je vous les ferai porter ? Vous avez raison de vouloir vous instruire, c'est très louable, vous n'imaginez le plaisir, au coin du feu, d'en Alexandre Dumas, un vieux porto, n'est-ce pas, j'ai toujours dit que..."

Maupassy : "Et les échardes, Von Broum ? Et le travail du bois ? Et les trompe l'oeuil ? C'est ce genre de lectures, qui ne vous laissent pas de bois, non pas, Von Broum ?

Et Pinocchio ? C'est chouette, hein, Pinocchio, et Gépéto, ca sent la chicoro, mmmh, tout cela ? Et si je menais quelques uns de nos invités au travers de votre jolie bibliothèque, Von Broum ? Mmh ?

"N'essaye po vos petites twoucs avec môo, môssiou Maupassey", répondit le soldat, sur le ton de celui à qui on ne la fait pas. Et il remplit à nouveau son verre de scotch écossais.

Maupassy, souleva imperceptiblement son pied, sous lequel on venait de couper l'herbe. Du parquet. L'Américain voulait donc jouer sur les mots, il acceptait le combat.

"Alors dites-moi, vieux (clic-clic), vous qui êtes de la dernière trempe", commença-t-il comme pour s'en faire un ami (la technique était vieille et ancestrale, mais elle prenait toujours). "Sur quels fronts avez-vous combattu ?"

Tumbler plongea subitement son nez dans le whisky. "Aoh", s'émut-il. "J'ai viou bôcoup de combats, môssiou Maupassey, bôcou de blood and guts..."

"Ah oui, les bloudêngütses", suivit avidement le jeune homme. "Les Allemands ont toute une série de raffineries, de délicatessènnes..." Il en saliva. "J'ai goûté un jour un apfelstrüdel aux fruits d'Orient..." Et il s'empara d'une série de petits-fours qui passaient par là.

La conversation était franche, d'homme à homme. Un petit cercle s'était lentement formé autour d'eux. Un cercle respectueux, comme celui au milieu duquel on place deux coqs, tout en sachant qu'il n'y en aurait bientôt plus qu'un seul. L'autre, hé bien l'autre, on ne pourrait même plus en faire un curry. Les femmes s'asseyaient délicatement sur les arceaux de leurs robes victoriennes, pour suivre plus tranquillement l'échange verbeux qui s'annonçait. Les hommes quant à eux, sortaient déjà leurs talons de chèques. Les mises allaient fuser.

"Hé bien môo awssi, de l'Asie à l'Afwique, môssiou Maupassey..." Continuait l'Américain, "J'ai woulé mon bosse un piou partout... Mais il y a une endwoit que je n'oubllie po".

Il prit une profonde respiration dans un silence que seules quelques signatures au bas d'un chèque venaient troubler. Une femme, l'épouse d'un ambassadeur, ne supporta pas la pression, et s'éloigna en s'excusant. Le cercle s'ouvra et se ferma rapidement sur son passage, comme une sangsue sur une plaie ouverte.

L'Américain allait ouvrir la bouche, lorsqu'une voix troubla la rixe.

"AFGHANISTAN..."

Un vieil homme au teint burriné par le soleil du Panshir entra dans l'arène improvisée. Il était âgé, mais émanait de lui une aura de profonds sentiments qui mirent toute l'assemblée mal à l'aise. L'étranger venait de troubler un moment crucial dans l'échange verbal qui se mettait alors en place. Comme si quelqu'un avait jeté un renard au milieu des coqs.

Quelques femmes marmonèrent à leurs époux qu'ils devraient expulser le disgracieux. Et eux de répondre, abattus par la beauté des gladiateurs: "Allons, ma mie, heu... Les, heu... Ces jeunes gens semblent se connaître."

Sur la piste, Maupassy sentit le courant lui échapper, l'attention lui passer dessus comme un quarante tonnes au-dessus d'un pauvre petit chaton qui tente de traverser l'autoroute. Oui, un pauvre petit chaton, voilà ce qu'il était. Maupassy en était désormais convaincu. Là, en face, les deux brutes épaisses - des militaires, voire des para-militaires qu'en savait-il finalement? - se jugaient du regard, ils tournaient en rond, en montrant les crocs - comme les brutes épaisses le font quand elles perçoivent la menace d'une autre brute épaisse.

Et puis, soudain, comme s'ils se jetaient l'un sur l'autre dans une retransmission de lutte grecque, les deux s'affrontèrent en poussant des cris gutturaux que personnes ne comprit. Plusieurs épouses de magistrats s'évanouirent d'émotion.

"Houga" faisait l'un, "Houga" répondait l'autre, et ils se frappaient l'avant-bras. "Boula" continuait l'un, "Boula" répondait l'autre, et ils sautaient sur place. "Haga-haga" perpétrait l'un, "Haga-haga" lui relançait l'autre, et ils continuaient une dance ésotérique dont eux seuls connaissaient les pas.

Au bout de quelques minutes, ils s'écrièrent. "Afghanistan! Bananistan!", et tombèrent dans les bras l'un de l'autre tout en riant aux larmes sous le regard ébahi de toute l'assemblée.

De l'autre côté de la salle, du côté du bar, on entendit un verre de Vodka-Duvel tomber et se rompre sur le parquet.

Ernesto suivit le verre de près, mais sans se briser, lui.

Il émit un bruit spongieux en se scrouchant par terre, le bruit d'une éponge gorgée d'eau que l'on lancerait tranquillement sur une vitre.

Cela attira l'attention de presque tout le monde, pendant une trentaine de secondes.

Von Broum s'était précipité, suivi, un peu plus lentement, par Maupassy, puis par Eva, et par Auvencelle (qui, elle, émettait très distinctement des tsss....tsss).

Immédiatement après ces trente secondes et les départs du cercle des personnalités que l'on a dites, tout le monde commençait à hurler un peu dans ce style :

  • "Gagné ! gagné ! le petit a gagné ! Lord Hushvolt, mon ami, vous êtes rincés, j'en ai peur : filez-moi mes biftons".

  • "Vous voulez rire, Marquis ? Votre petit protégé s'est pris une trempe ! L'homme des bois l'a emporté en moins de deux ! Vous ne pouvez pas être sérieux !".

  • "De quoi ? Le gros s'est dégonflé, il a suffi d'un seul regard du petit teigneux ! Allez, aboulez les sonnantes, faites dégorger les trébuchantes, allongez l'oseille, mon vieux, faites éclater la picaille, faites-moi flairer les flouzeux, rôtissez les picaillons !

  • "Vous perdez la tête, mon ami, reprenez-vous, et tenez vous pour dit que vous ne sortirez pas d'ici les poches gonflées comme un pis de jument sauvage" !

  • " Tu commences à m'écrèmer le pastiflard, gras-double, c'est ta dernière chance, après, je t'éclate le museau, à toi et au goret qui te sert d'intendante !".

  • Sortons, Monsieur le Nouveau Riche, acheteur de titre en vrac, choisiseez votre arme, et ne prenez pas les griffes ou les coups de pied, comme il est d'usage pour les gens issus de la fange, comme vous! "

(Les paris reprenaient de plus belle. Dix sous sur celui avec la tête toute rouge ! Non ! Un Louis Or sur celui avec les oreilles en pointe !).

Maupassy avait tiré une fiole de sa double poche et faisait respirer des selles à Ernesto, qui, après 10 secondes de ce traitement, rouvrit les yeux en crachottant, l'oeuil et la narine comme insultés.

Maupassy, bougre d'âne, des sels, hucha Ernesto, des sels !

Maupassy ne se tenait plus de joie : "Je vous ai sauvé la vie, Ernesto". "Comme je vous retrouve ! Chamailleur, gascon, vous jurez comme un charretier, vous êtes insupportablement querelleur, dans mes bras, sacripant, que je vous fasse un schampooing !".

Les auteurs réclament avec bienveillance (et onctuosité, pour l'en d'entre eux, spécialement suave) votre généreuse attention, Chère Madame/Cher Monsieur.

Du fait d'un certain manque de temps dû à la frénésie du Monde des Affaires actuel, et à un incident domestique (renversement d'un bol de soupe sur un dossier), le présent chapitre ne pourra être relu, ni amendé. L'auteur se livre donc tel qu'il pense, brut, sans atours et longues périphrases.

Veulillez avoir l'obligeance extrême de bien vouloir tenter de pardonner cet épisode qui, je l'espère, ne vous marrrira point trop.

Voilà :

Alors, Ernesto, bougon, il s'est relevé comme un serpent il s'apprête à piquer un ennemi en levant le cou, et a épousseté le revers de sa veste de sport et s'est dirigé vers le piano où il a esquissé quelques harpèges, égrenant les notes comme des raisins sur leur tige.

Après, tout le monde le suivait.

Alors, Ernesto il en a eu marre et il a dit : moi je vais aller regarder une émission de sport à la télé maintenant.

Alors, Von Broum il a dit "bien, mon fils, fais ce que tu veux, c'est très bien".

Et Eva elle a dit "c'est quoi comme émission ?"

Ernesto : "du sport".

Eva "quel sport ?"

Ernesto : "ca dépend quelle heure il est". Regardant sa montre, qui dit 23 h 26 mais elle est cassée dans sa chute : alors c'est du volley-ball féminin. Brésil - Suède, il fait.

Eva dit "Super, je voudrais bien voir quelle est la tendance des maillots pour cet hiver".

Ernesto : "Alors, on y va".

Eva : "c'est parti !".

Maupassy émettait quelques bruits curieux.

(petite voix de souris hystérique) : "Ahouiquelsport? ihihihihihilesnouveauxmaillots, ihihihihihi" (grosse voix de lobotomisé non recousu) "Alorsonyva, brésilsuèdevolleyball".

Maupassy semblait oublier qu'il n'était pas seul, dans cette salle de bal bondée.

Il se précipita sur un serveur, qui reculait, mais pas assez vite : "votre meilleur alcool, vite, de l'eau de seltz, vite, un siphon, vite, des glaçons, vite, popopop, pas de glaçons, plutôt, vite".

Il goba plusieurs régiments de coktails comme s'il gobait des oeufs crus.

Puis, à moité calmé, il fit : "Von Broum, allez chercher vos titres, vos actes d'acquisition, tout, on va se faire un petit Monopoly".

Von Broum : "Ah oui ? Tiens, voyez vous cela, et si je rafle la mise, je gagne deux boutons de culotte, c'est cela, un peu comme les boutons de la culotte à Mickey, mmmh"?

Maupassy : "Eva".

Von Broum : "Eva" ?

Maupassy : "Eva".

Von Broum : "Eva ???".

Maupassy (rugissant) : "Oui".

Von Broum : "Ok. Mais pas de Monopoly, c'est pour les gosses (à ces mots, le sourcil de Maupassy se relève, très vite, comme la moustache d'un chat). Laissez - moi réfléchir...Et si...oui....".

Von Broum :

Maupassy, voulez - vous être gentil ?

Maupassy : "Oui".

Von Broum :

"Gentil tout plein ? Gentil comme un lapin quand il sait qu'il aura du bon vin ?"

Maupassy :

"Oui, sans plus de façons".

Von Broum :

Bon.

Alors, laissez - moi quelques instants. Quelques préparatifs. Voudriez-vous, ce pendant, aller conter fleurette à ces demoiselles que j'aperçois là-bas ? Je vous laisse.

Maupassy, d'un pas leste, se laissait dériver vers les blanches colombes.

"Hellllo, Ladies". On est de sortie, pas vrai ? (outch). Heu...hum...Délicieux, cet orchestre, n'est-il pas ?

Les colombes, en coeur :

"Oui, Monsieur...Monsieur ?"

Maupassy :

"Lord Seingalt",

"Mais vous pouvez m'appeler Maupassy".

"Ou Momo, ou Sysy".

Alors, les filles, où habitez-vous ?

Les filles, en coeur :

Nous habitons à Meise, Lord Seingalt.

Maupassy :

"Momo".

...

Maupassy :

"Bon".

Comment vous nommez-vous, très chères ?

"Henriette, Ginette, Marcoline, et Hélène".

Maupassy :

"Je ne mettrais les pieds pour tout l'or du monde à Meise, SAUF si c'était pour aller me faire voir chez les grecs".

...Chez Hélène.

Vous avez pigé l'effet comique avec "Hélène" ?

Bon, est-ce que, oui ou bien non, comme on dit, c'est super marrant ? C'est pour ca, que j'ai souligné, ca doit être souligné, un super effet comique. Vrai ou pas vrai ?

Pif, Pouf.

Oh, écoutez : Hélène parvient à attirer des nuées d'amis à Meise. Hélène est la contradiction vivante de ce que disaient vos livres d'histoire-géo, "Meise, opasd'amis" (c'est une circonlocution, comme un rond point. A round about), et tout le tintouin.

Les colombes :

...

Maupassy :

Et c'est aussi un calembour complètement pourri, c'est cela ? De ceux qui ne provoquent que des sourires gênés (oui...dans le meilleur des cas, et si les gens sont à moitié pintés, ce qui arrive peu, dans nos milieux (pas toi, Henriette), à c't'heure.

Hum...c'étaitplus difficile qu'escompté.

Hé, Ladies :

Pour certaines personnes, dont nous sommes, "là où est Meise on, c'est là ou est Hélène". Ca, ce serait beaucoup plus pourri encore, s'il était humainement possible de faire "plus pourri". Mais c'est aussi très gentil, car c'est dit du bon du coeur.

Non ?

Ok, les grands moyens.

Mes colombes, laissez-moi être votre Arlequin.

Pour me rattraper, je vais vous raconter une blague.

La blague de toto à la totoilette. (vous aurez remarqué que j'ai nettement amélioré la blague originale avec un petit effet comique de mon cru. Totoilette, Marcoline ! Tu as remarqué - en passant - comme je suis suave et fort éloigné d'essayer de te saloper ton Grand Bal. De rien).

Ok. J'arrive décidément pas à vous dérider, je suis TROP VIEUX-JEU, c'est ca ?

Ok. Vous voulez que je change de registre, right ?

Bon, parlons peu. Les filles, nous nous sommes, pour la plupart rencontrés autour des amphis poussiéreux de la fac, étudiants bourgeois de parents universitaires (sauf vous savez qui). Nous avons ri, nous sommes partis en vacances ensemble, il y eut des histoires de cœur et de corps entre nous, des éloignements et des retrouvailles. On se comprend.

Nous n'avons pas vu les années passer, les filles, mais...ces années, qu'ont-elles fait de nous ? Sommes nous encore à l'âge des possibles, ou avons-nous atteint ce point culminant où toutes les possibilités d'échapper à ce que l'on est ont disparu ?

Nous sommes encore à moitié jeunes et beau (bon, surtout moi, parce que je prends soin de ma peau : ne JAMAIS aller se coucher sans se désobstruer les porcs), cela faisait longtemps que nous n'avions pas été réunis. Et là, ce soir, grâce à ce porc de Von Broum, qui est aussi notre hôte, un éclair a rompu la grisaille, a moulu la morne plaine hachurée par la pluie. On va se raconter nos rêves. L'une, Hélène, laissez-moi deviner, rêve de maatjes gluants et odoriférants qu'on dirait du salpêtre, et est partie pour une vie au soleil, d'autres, Marcoline, sans doute, ont fait des enfants magnifiques sans rien perdre de leur grâce juvénile. L'une, encore, aspire à épouser une épave qu'elle se proposera de tenter de maintenir à flots.

Ah, Laides, pouf pouf, Ladies, je secoue mon ménestrelle et repense à ce que je me disais in petto, ce matin, devant ce petit chat mort : « Il ne faut pas oublier que le corps dépérit, que les amis meurent, que tous vous oublient, que la fin est solitude, que le temps d'une vie est dérisoire, qu'on a trente ans un jour et quatre-vingt le lendemain.

Les filles, croyez-en votre bon vieux Momo (ce que je n'ai pas en profondeur, je l'ai en longueur), il faut vivre avec cette certitude que nous vieillirons, et ca va pas être rigolo-rigolo.

Et se dire que c'est maintenant, c'est-à-dire, ce Bal, qui importe : construire, maintenant quelque chose, à tout prix, de toutes ses forces. Gravir pas à pas son Everest à soi et le faire de telle sorte que chaque pas soit un peu d'éternité.

J'espère que je peux compter sur vous, et que vous tiendrez ce qui vous sert de mecs en laisse : pas d'histoires grivoises, pas de discussions de football : parler avec la bouche près du coeur, OUI. Concours de rot, N-O-N.

Et si c'est un vendredi et que c'est marre, que "c'est un petit peu lourd de se taper l'Everest à pied et sans Sherpa, on peut toujours se bourrer la gueule méticuleusement (au pire). Ou lancer des oeufs durs sur des ventilateurs, si la configuration des lieux s'y prête. Mais ca, ce sera sans moi. Alors, les filles, un petit punch ?

Et, revenez, et, oh, j'en connais plein d'autres, je...

Ok, Von Broum, bien essayé, ou te caches-tu, Sakkamert ???

Von Broum n'entendit pas l'adresse de Maupassy.

Mais il entendit distinctement une petite voix, sa petite voix intérieure.

Elle lui disait, sa petite voix (où était-ce lui qui prononçait ces mots ?) : " Celui-là seul connaît l'amour qui aime sans espoir ".

Soit exactement ce que pensait Himmler (c'est un allemand) en regardant Goebbels (c'est un phacochère) passer dans son bel habit blanc, Goebbels qui ne l'honorait pas. Qui ne l'honorait pas d'un regard.

Mais cela est une autre histoire, que l'on vous contera une autre fois. Ou pas, car tout cela est fort délicat.

Von Broum (c'est un phacochère, mais c'est aussi un allemand)...Mais que lis-je ? Est-ce que ce n'est pas bientôt fini, ce racisme anti allemand ? Il y a des allemands très comme il faut, surtout quand leur nom commence par von, comme von Dutch, ce grand échalas blond avec le nez retroussé, qui crachotte du Gouda et s' "exprime" dans un idiome fait d'éclats de vomi et de...Mais cela cessera t'il un jour, ces stéréotypes scandaleux jetés à la tête de l'Europe entière, l'Europe des Lumières, le Continent Promis, le...L'Europe, c'est le nec le plus ultra, ce n'est pas parce que les hollandais, les allemands, les autrichiens, les polonais, les bulgares, bref, tous ces gens là, ont quelques menus défauts (pas comme nous, les wallons, les italiens, les français, quelques espagnols, je...).

Bon.

Von Broum commençait à disjoncter menu.

Sa petite voix intérieure se transmutait en canon, et lui faisait penser tout et n'importe quoi. Surtout n'importe quoi.

Ne pas penser à Ernesto, ni à Eva, ni à rien du tout.

Ne penser qu'au Pouvoir.

Le Pouvoir qui rend beau , qui rend riche, qui rend heureux, qui rend généreux.

Consolider son Pouvoir.

Se méfier de tout le monde.

Tout le Monde veut son Pouvoir.

Pas bête, tout le monde.

Bien vu.

Se calmer.

Manger un litre de fromage blanc.

Jouer aux fléchettes tziganes en plein sur quelqu'un.

Quequ'un de soumis.

Fastoche.

Il détient le Pouvoir.

Après 8 parties (huit !) de fléchettes tziganes dans l'oeuil du préposé aux vestiaires, Von Broum gisait, la bave aux lippes.

Maupassy (qui cherchait de quoi faire du punch, pour que les gens rient follement - ok. pour que les gens rient de temps en temps - de ses blagues) le cueillit dans cet état.

"Je vois. Ce n'est pas chez vous que je trouverai beaucoup de punch. Ahahahahaha. Non ? Je vois".

Von Broum se révolutionna d'un bond, le saisit au collet (Maupassy. Le lapin était déjà loin. Suivez un peu).

"Alors, mon bonhomme, on est content de soi ? Et la carrière ? Que faites-vous de votre vie, Maupassy ? Regardez moi. Regardez ce que j'ai bâti. Regardez qui je suis. Regardez comment je suis respecté, que dis-je, révéré. Je me suis fait, tout seul. Je suis l'incarnation du héros de Kipling, cette marque de prêt-à-porter, et de leur arbre, l'If. Les femmes me caressent des yeux, les hommes m'envient. Je n'ai aucun ami. Ils sont jaloux, tous. Tous, de sales jaloux. Mais je les comprends. C'est naturel. Au somment, on est toujours tout seul. Seul. Pas de place pour deux sur un piton rocheux. Le dernier. Je suis le dernier. Je suis le premier. On n'aime pas la réussite. On aime ceux qui ont réussi. Mais j'ai trop bien réussi, me direz-vous.

  • Maupassy -: "Non, je...".

Von Broum : "C'est cela, que vous alliez me dire. Mais qui puis-je ? J'ai toujours été doué. Les professeurs m'adoraient".

  • Maupassy : "Quoi ! Je...".

Von Broum : "Taisez-vous. On devrait m'annoblir. Mais je nomme ceux qui devraient m'annoblir. On y verrait malice. J'ai tout. Le Pouvoir, l'Argent. Les responsabilités. Les ors, les honneurs. Les grades. J'ai tout. Et pourtant, vous voulez savoir, Maupassy ?

  • Maupassy : "Oui, mais là, je...du punch...".

Von Broum : "Et pourtant, parfois, je suis triste. J'ai du chagrin. Je m'ennuie. Tous ces sentiments, même un Homme tel que moi, je sais que je vous étonne, mais je ne suis pas toujours bien dans ma peau. Il y a des jours où je me sens moche, où une mauvaise lumière suffit à me prendre en horreur". Je ne suis pas beau, Maupassy. Non, ne niez pas, je sais ce que vous allez dire. 'Mais si, vous voulez rire, vous êtes épatant, vous êtes bourré de charme, on peut dire que vous avez une vraie gueule, Monsieur Von Broum'. 'Vos yeux pétillent d'intelligence, Monsieuur Von Broum'. Mais moi, je me vois tel que je suis : je suis lucide. Je ne suis pas pétrifié par le respect. Je sais que je suis de chair, presque comme n'importe qui. Je sais ce que les autres ne savent pas, n'imaginent pas. Oui, moi aussi, moi, Von Broum, je peux sentir mauvais. Oui, moi, Von Broum, je peux passer des minutes délicates là où le Roi va tout seul. Oui, moi aussi, au réveil, ou bien en short, je peux paraître ordinaire. Quelconque. Regardez-moi bien, Muapssy, et parlez moi en Ami. Me trouvez-vous quelconque ? (Von Broum s'était placé de 3/4, rentrait les "abdominaux" - alias sa sangle abominable, pour les intimes-, roulait des yeux, une veine de son front imitant ma danse du serpent dans l'effort suprême qu'il opérait de solliciter chacun de ses "muscles".

Maupassy : "Et bien, en effet. Très bien. Je...C'est très bien, vraiment. Comme vous faites jeune. Très bien. N'est-ce pas ? Oh oui. Voilà voilà".

Maupassy sentait qu'il s'en fallait d'un rien pour que l'Empereur sous sa tente n'éclate en sanglots longs comme des violons. De l'automne. Il allait falloir (faudre ?) jouer serré. Maupassy était seul, et sans armes. Il n'avait pas fait la Légion, ne connaissait que 2 des 28 façons de tuer un homme à mains nues (pour tuer un homme qui porte des gants de crinoline, il n'y a que 2 façons). Et il n'avait aucune envie d'épancher la "Soif d'Amour" de ce qu'il était convenu d'appeler son pire ennemi, si tant est qu'il avait des ennemis, lui, qui était si gentil. Maupassy devait tenter "quelque chose", et il devait le tenter vite. Avant que ces 4 mentons ne se mettent à tremblotter comme un flan durant les 8 minutes paroxystiques de Vésuvio, Pompei, ou d'un match du Standard de Liège en Tribune III.

Une idée. Il lui fallait une Idée. Maupassy se sentait tel un créatif publiciaite face au grand ponte exigeant l'Idée permettant d'obtenir le Marché qui sauverait toute la boîte (450 employés) de la ruine et des logements en préfabriqués sur une bretelle de l'autoroute reliant une cité administrée par un homme au poing levé à une cité gérée par un homme à la rose.

Une Idée. Vite. Vite. Vite, une Idée, arrrh, une Idée. Quelque chose de suffisamment génial, pour que...mais suffisamment gros, pour qu'il y croie...mais pas trop gros...Une Idée, vite, n'importe quoi, se mettre en Phase 4, aspirer de l'Air Frais, reculer de 30 cm pour ce faire, Vite.

Maupassy (blême - voix fleurie - 0, 4 décibel) : "Monsieur Von Broum...Pensez-vous vraiment qu'Eva m'aurait dit...hum...ce qu'elle m'avait dit... si vous étiez vraiment tel que vous l'avez décrit dans un moment -bien compréhensible- d'égarement total, allons, voyons, cher Monsieur Von Broum...".

Von Broum : ...

Maupassy : "Mais, que faites-vous, bougre d'empot...mais...où...que... allez-vous...faites attention !!!"

Eva bruissait d'inquiétude. Son équipe favorite était menée de 4 points, et il restait moins de 8 minutes à jouer. On n'allait pas à nouveau lui gâcher son week end.

Eva, pour tenter de se calmer, se tordait les mandibules en se répétant, tel un mantra, que dans 1.000 ans la victoire ou la défaite de l'Equipe de sa Vie, ce jour, paraîtrait peut-être un détail de l'histoire. Puis elle modifia sa formulation, ne sachant pas pourquoi, mais elle l'exécrait. Peut-être que dans mille ans, voire même dans 100 ans, les gens considéreraient que la plus que probable défaite de son kluppe en demi finale retour de la Cup ne serait somme toute, tout bien pesé, qu'un évènement comparable à la disparition des Mammouths (dont les mânes rodent).

Forte de ce baume frais comme un pamplemousse haché, Eva se remit à triturer tout ce qui lui tombait sous la main en chantant de plus belle diverses odes à la gloire des "bons petits gars" qui se jetaient à l'abordage des flancs de l'équipe adverse (composée de bâtards, si les oreilles d'Ernesto disaient vrai, ainsi que d'avortons divers, de manchots passéistes, de comploteurs notoires, de feignants drogués, de frères et/ou amis de l'arbitre, ce vendu qui ferait fort bien de s'acheter un chien et une canne blanche), avant que ledit écervelé ne siffle la fin des Temps, et ne signe la mise en bière de la Joie d'Eva pour les prochaines 72 heures. Celle-ci sifflait à présent des hymnes à la paresse congénitale des enfants du soleil composant l'armée de mercenaires ayant usurpé les places que tenaient autrefois brillament les petits gars du terroir qui déferlaient par vagues, eux, et pas comme un troupeau de limaces, à l'époque où ils étaient moulés dans leurs chemises de flanelle frappées du S et du L entrelacés.

Eva pestait sur l'Education, les Mentalités, la Dégérescence, la Noirceur des Ames, et l'absence de Quant-à-Soi des jeunes d'aujourd'hui. Belle jeunesse ! "Une bonne guerre, oui !" maugrait Eva, avant de tomber en arrière sur le sommier, vaincue par une fringale, le stress, la déception et la morne certitude qu'il en irait toujours ainsi. Elle ronflait, si les oreilles d'Ernesto n'avaient pas la berrelute. Ces pavillons externes devaient être dérèglés, ou devaient rêver. Il se mit en quête d'un pince-oreille, afin de confirmer ses soupçons.

Maupassy, sur la route du rhum devant mener à un punch fameux, s'arrêta en pamoison devant la Somme définitive du gentleman parfaitement élégant. Il cherchait ce vieux grimoire, dont il avait entendu parler étant enfant, depuis 30 ans. Et il se trouvait là, devant lui, dans sa belle reliure en cuir, très richement illustrée de clichés représentant Cary Grant, Ghandi, Don Corleone, bref, les hommes les plus raffinés de la planète.

Maupassy, tremblant d'émotion, se cala dans un recoin sombre éclairé par un trait de lune (son gosier était contracté comme une couleuvre prise au piège) et se décida à ouvrir le Tractatus définitif sur le Beau, le Bon. Ce livre était l'Arbitre des Elégances.

Maupassy ouvrit au hasard et se mit à lire, faisant sous lui :

For the spring 2112, bright navy and cream will be showing up in the office. These classic hues feel fresh for the season and are a great way to wear color subtly, without ostentation. Pair a two-piece gabardine navy suit with a steely lavender or cream cotton dress shirt and a navy tie. For a more casual, yet equally elegant look, select a navy cashmere crewneck sweater with a complementary striped dress shirt and cream or navy trousers. For each of these combinations, a black cap-toed lace-up shoe is a perfect finishing touch.

Maupassy était comme hypnotisé.

Ensorcelé.

C'était parfait.

Maintenant, il saurait.

Dorénavant, on l'admirerait.

Il connaissait tous les Secrets jusque à la Fin des Temps.

Le Graal lui était révélé.

Et tout cela, en cherchant du punch jusque dans les appartements interdits.

Eva était bien loin désormais.

Des Eva, il en aurait des tonnes.

Il n'aurait plus qu'à se baiser pour les cueillir. Non, l'inverse.

Il avait trouvé le Premier des Trois Livres ("Le Bon Manger", et le Livre, qui n'a pas de nom, sauf celui de III°Livre, qui explique, cartes à l'appui, quels sont les 2 à 3 endroits du Monde où il fait bon vivre).

Maupassy, tel Sangu Ku, venait de passer le Premier Test, de conquérir la Première de ses Trois Boules.

Il lui fallait s'échapper de cette souricière, et avec la Manière.

Un plan. Une Idée. Encore une Idée. Quelle journée ! Les lobes pariétaux de Maupassy étaient à nouveau réquisitionnés. Une rasade de sucre d'orgeat, vite. Ou une tartelette aux framboises. Mais vite !

Von Broum remonta 4 à 4 l'escalier rutilant, à l'aide de ses ménisques apprivoisés.

Ce que venait de lui servir Maupassy le faisait sautiller, frétiller, trépigner.

Il devait aller voir Eva, tout là-haut, tout là-bas, dans les Combles, en la tanière d'Ernesto, qui se prenait pour qui.

Arrivé devant la porte à double battant, Von Broum prit la sage décision de faire une pause, to have a break, afin 1) de reprendre quelque peu son souffle 2) de tendre l'oreille et d'écouter, si le hasard l'exigeait vraiment, ce qui se disait.

On n'entendait rien.

Il frappa et entra d'un même geste.

Horreur.

Mlaheur.

Vision apocalyptique.

Ernesto, penché sur Eva.

Eva qui ne le souffletait pas.

Eva les yeux mi-clos, voir tout clos.

Et Ernesto qui était là, à quelques centimètres, tel le Maître du Destin.

C'en fût trop.

Von Broum déchira l'air d'un barrissement digne de la du Barry.

Et s'éclipsa pour aller mourir au cimetière des éléphants.

Von Broum ne voulait plus "savoir de rien", Von Broum était déjà ailleurs.

Il quittait ce château, il quittait tout. Il volait déjà.

Ernesto pouvait tout avoir, puisqu'il avait Eva.

Tout avoir sauf Eva ne voulait rien dire, c'était ne rien avoir.

Ernesto se sentit tout chose.

Comme un cerf dans la forêt, comme le Roi des cerfs venait de mourir alors qu'il était le second cerf de la forêt, mais sentait qu'il était devenu le Nouveau Roi des Cerfs (tout cela était embrouillé de la sorte, en Ernesto).

Von Broum était mort, ou tout comme.

C'était triste.

La mort d'un homme.

Mais il était le chef.

Ca console, Nintendo (Ernesto ne se tenait plus de rire. Quelle bonne blague !).

Ernesto savait ce qu'il lui restait à faire.

Trouver les deux autres boules de sa quête (je vous en prie), et le Graal sera comment dire, complet quoi.

Ernesto devrait s'acheter un language, maintenant qu'il était le Chef.

Ernesto était tout entier tendu dans sa Quête, mettre la main (basse) sur les deux autres Boules, et là tout serait bien.

Il pourrait vivre heureux, et avoir beaucoup d'enfant. Ou l'inverse, parce qu'il n'aime ni les cris, ni conduire des gens à leurs cours de tchic ou de tchac.

F A I M.

Un agnelet braisé en croute avec des pistaches mises à tremper dans du Yquem 1962.

Vite.

Les folies sont les seules choses que l'on ne regrette jamais (Sauvage Oscar).

F I N.

Non:

Von Broum balaya la scène entière. Son regard ne parvenait pas à accrocher une bouée de sauvetage. Partout, il ne voyait que naufrage. Maupassy, ce jeune coq, se pavanait et épatait une galerie toute prête à tomber en pâmoison. Ses invités, ses fidèles lieutenants, sa garde, ses laquais, tout n'était que libations, digressions, salaisons. Il tenta ne pas voir, mais il vit, Ernesto, cette crapule, cet enfant de heu passons, cette canaille, conter fleurette à Eva. Il ne sut plus que penser, il vit rouge. Il tourna la tête et vit Auvencelle, qui l'observait.

"Allons mon pauvre ami" dit-elle. "Vous vous faites du mauvais sang."

"Taisez-vous! Allez-vous-en!" cracha Von Broum.

"Allons, venez, ne restez pas là à contempler votre défaîte. Partons! l'Amérique, l'Exil, nous attend, et, la, des hordes de barbares n'attendent que nous pour être matés. Il y aura du Pouvoir pour tout le monde"

"Vous...vous croyez?"

"Mais c'est ÉVIDENT!!! Ah, ah, vous vous croyez fier, à Virton? Atendez de découvrir New-York! Gettysburg! Des populations entières, prêtes à ployer sous notre joug!"

"Vous avez raison. Ces avortons m'ont déçu."

"Je vous l'avait bien dit"

Tout en conversant, Auvencelle avait entraîné Von Broum vers la sortie du château, où un hélicoptère les attendait.

Entretemps, Maupassy buvait un délicieux verre de cognac au milieu d'un groupe d'admirateurs qui riaient encore de sa dernière blague. Il chercha du regard Eva, car il voulait qu'elle aussi rie de ses bonnes blagues. Il se rendit compte qu'elle était en grande conversation avec Ernesto. Il fallait immédiatement reverser la situation. Se faire un allié d'Ernesto, et en même temps le diminuer aux yeux d'Eva... Un domestique! c'était cela, il fallait l'abaisser! "Hrrum, hum", fit-il.

"Dites-moi, mon vieux, euh, Ernesto, c'est bien ça? J'ai ouï dire que vous étiez à la recherche d'un emploi, et... qui ça? oh, des amis, je ne sais plus lesquels, j'en ai tellement... Oui. Si cela peut vous dépanner, je peux vous offrir une place de laquais... Eva, ma chère amie, pourrait occuper aisément l'un ou l'autre sbire supplémentaire... Non, non, c'est peu de choses, pour un bijou comme vous, il faut un écrin à la hauteur... Alors c'est entendu donc, Norberto. Passez voir mon comptable."

"Le tour est joué", pensa-t-il.

Eva semblait effectivement sous le charme. Elle regardait autour d'elle, la verve de Maupassy lui faisait tout d'un coup penser que tout ceci était à elle... "Mais... je... vous... ce château...?" bégaya-t-elle.

"Le vôtre, si vous le voulez" bluffa Maupassy. Quand la sauce commencait à prendre, il fallait la monter jusqu'au bout. Quitte à y verser tout le reste de cognac 12 ans d'âge.

"À MOI!!!" s'écria Eva. Elle s'élança à travers les galeries, se mira dans les miroirs, admira les plafonniers, battit les doubles portes. Maupassy courait derrière elle. "Allons, cessez! on nous regarde!"

Elle arriva dans la salle à l'extrême sud du château, ouvrit les battants, et se retrouva en face d'un vénérable orgue en ivoire pour la construction duquel plus de cinq cents éléphants durent être abattus. Il paraissait un gigantesque perchoir. La vue, delà haut, devait couper le souffle. Elle entreprit d'escalader les tubes blanchâtres. Maupassy tenta de l'aggripper, mais ses souliers vernis dérapaient sur la cire fraîche. Eva s'assit au sommet de l'orgue et ne put retenir des larmes d'émotion, à la vue de son nouveau domaine.

Maupassy parvint à attraper un pan de sa robe et entreprit de la tirer vers le bas. "Mais descendez! on nous regarde!"

"Ne me secoue pas, je suis pleine de larmes!" lui répondit Eva.

FIN

Non :

Quand, ce matin, après un tour dans la colline, j'ai coupé les communications, lappé un milk shake à la banane, fermé toutes les portes et sorti le manuscrit (on ne peut moins apocryphe) de la cache où je l'ai découvert il y a peu, après 84 années d'enfouissement, j'ai retrouvé ces personnages, tous morts depuis longtemps, avec la joie qu'on éprouve en regardant un vieux Chaplin projeté sur le mur froid blanchi à la chaux d'une chambre d'enfant. Dans maints chapitres j'ai mesuré l'écart entre ce que j'avais entendu, de mon Père officiel, Maupassy, de mon Père biologique, Ernesto, ou de Eva, ma mère biologique officielle, et ce que je voyais écrit de la main hésitante de Maupassy. Et maintenant commence un lent travail de mise au point, pour certains épisodes, de vérifications, et même de rétablissement de la réalité. Je dis réalité, et non vérité, car je ne pense pas que toutes les sauts entre la réalité et la vérité soient conscients, ou volontaires. Maupassy a raconté son histoire, pas l'Histoire. Je ne sais pas pourquoi je tiens tant à faire connaître cet écho, à transmettre l'héritage de Maupassy, mais également de tous les autres, à rétablir la réalité sur les zones d'ombre laissées par ce récit, commencé et achevé peu après cette fameuse soirée au Château, dont on m'a tant rabattu les oreilles pendant des années, à la veillée, à moi, à mes frères, mes demi frères et soeurs et mes cousins du Manoir. Ce soir, je me rends dans le Yorkeshire, pour rencontrer un vieil amerloque excentrique, un certain Tumbler. Peut-être appendrai-je l'un ou l'autre élément neuf, ou un éclairage différent sur certains faits du récit. Je pense que les générations actuelles trouveront intérêt à se replonger dans l'époque où le Monde tel qu'on le connaissait a péri, pour être réinventé par ce philosophe de la Vie un peu étrange connu à l'époque sous le nom de Maupassy. J'y serai porté, je le sais maintenant, par l'assurance que m'a donnée cette lecture et que je me suis empressé de noter en ce calepin : je les aime tels qu'ils ont vécu, pour tout ce qu'ils ont accompli.

F I N.

Non :

Eva ne dormait pas. Elle attendait qu'Ernesto oublie toutes les précautions d'usage (apprises à coup de torgnoles tout au long d'un pénible écolage - je vous renvoie à l'excellent ouvrage de Tyson Douilette, "Des 28 façons de tuer un homme à mains nues", Bibliothèque de la Légion Démocrate, 56 pages).

Encore un petit peu plus près...encore...allez...Ernesto se demandait si elle respirait encore. Parce qu'elle bleuissait. C'était joli, mais. Qu'on n'aille pas lui dire qu'elle devenait bleue à cause de la défaite de son club contre l'ennemi ancestral, le club du Milieu. Il se passait quelque chose...et si c'était...

"Gnap" !

Eva avait bondi, tel Hobbes.

Ernesto pantelait, paralysé par le coup d'index d'Eva.

"Plus bouger..." lui disait Eva.

Il obéissait, il était dans les vapes...elle connaissait la technique du Haiku.

"Que", pensait Ernesto.

"Si maintenant des gonzesses", surenchérissait-il.

Eva le dirigeait à travers les couloirs, en direction de la Grande Salle. Elle ne savait peut-être pas faire souffler le vent, mais elle savait diablement bien orienter ses violes, pensait piteusement Ernesto, peu à son avantage.

Ils étaient arrivés à la baie surplombant la Salle Da Para.

Eva le tenait toujours en respect. Elle demandait, plus pour elle-même que pour lui (il n'aurait pas pu répondre, et aurait été foudroyé s'il ouvrait le bec) : "Alors, qui c'est le patron maintenant ? Hein ? Qui c'est le patron ?".

D'un joli vase en faience représentant la victoire de Linz sur les troupes autrichiennes, Eva réduisit au silence l'Orchestre. C'est qu'il tombait de haut.

"Oyez, vous tous", commença Eva (pourquoi "Oyez", bon, cela devait être solennel, et puis c'était qui le patron ? Bref. C'est fait, c'est fait).

"Soit je suis libre, ainsi que tous mes amis, et toi, Von Broum, où que tu te caches, tu rappliques et tu reconnais ta défaite, soit Ernesto, sous vos yeux émerveillés, va se transformer en moins de 15 secondes de chute en bouillie infâme qu'il vous faudra 6 mois à nettoyer".

Alors ? Qui veut voir un tour de magie ? Vous allez vous en prendre plein tout, ca va être un carnage. Alors ? Von Broum, montre-toi, saleté ! Je tiens ton fils, je tiens ta réserve d'organes, ta poire pour la soif, celui qui signera pour acquit les factures de la Seigneurie. Alors ?

"Je suis là Eva".

Eva réprima un sursaut.

Comme celui d'un homme de 30 ans, dans toute sa force, qui réprime un petit cri d'effroi devant une araignée velue, et ses petits yeux rouges.

"Von Broum, c'est fini. Tu as perdu".

"Que veux-tu, Eva ? Je ne comprends pas. Tu n'es pas bien, ici ? Relâche ce parasite, et tu auras toutes les entrecôtes que tu souhaites. J'élève des enfants de lait, Eva. Ils ne se nourissent que de truffes, et de morilles. Ils peuvent s'ébattre dans la forêt toute la journée, ils n'ont jamais eu aucun souci, ils dorment 16 heures par jour. Ne sois pas stupide, Eva. Je n'ai que toi. Que ferais-tu de ta Liberté ? Tu n'as jamais travaillé, tu n'as plus de famille, pas d'amis. Relâche ce poltron-minet, il est tôt".

Eva : "De la charpie de parasite, ca tache, Von Broum. Je te laisse une minute pour décider : je pars et je n'entends plus jamais le moindre de tes gloussements, ou je reste après avoir transmuté la chair de ta chair en rognons de roll-mops".

Maupassy, essoufflé : "Très Chère, vous êtes magnifique, que ne m'avez-vous laissé ne fût-ce qu'une minute de plus, mon Plan allait se dérouler sans accroc ! Exigez un nécessaire de voyage, et un chauffeur sourd et muet, Honey ! Attendez-moi, je vous rejoins. Aha ! Je le savais. Von Broum, alors mon vieux, ne faites pas cette tête, ca vous pendait au nez, mon pauvre vieux. On m'appelle Maupassy !".

F I N.

Non :

Von Broum fit tinter une petite cuillère en argent à l'intérieur de sa bouche, selon le principe bien connu d'une cloque en fonte avec son petit battant.

Le cercle se formait.

"Mes Amis, je vous ai réunis ce soir pour assister à la Torture, suivie de la mise à mort, des derniers loufiats nous ayant asticotés en nos légitimes prétentions d'étouffer la planète afin de l'asservir à notre seul et unique profit, car cela nous est agréable. Nous commencerons ce soir avec Maupassy, le petit roux avec sa tête de québécquois, qui se dévorera le cuissot en carpaccio, et nous poursuivrons par Eva et Auvencelle, qui seront découpées vives et qui dégusteront qui leur râble, qui leur sot-l'y-laisse. Bourreau, fourre leur la bouche de gousses d'ail. Non. Attends. La dernière volonté des suppliciés. Maupassy, peut-être ? Vous qui avez la langue si bien pendue, profitez-en pour vous en servir une dernière fois, avant de faire chanter vos papilles. Servez-nous une jolie citation, appropriée comme à l'ordinaire, nous sommes supendus à vos lèvres vermillon".

Maupassy : "tttttt-t-t-t-t-t-t-t-t-t-t-t-t-t-t". "Je...oui, je vois ce que vous voulez dire, bien sûr, je...je suis végétarien, c'est très récent, voyez-vous, je ne vous asticote pas du tout du tout, un peu de poudre dissoute dans un peu d'eau claire, suffit à mon bonheur. Là. Je disais encore récemment à Eva (cligne cligne cligne) que toutes ces pauvres bêtes, n'est-ce pas, et puis, s'empiffrer comme fol, non, n'est-ce pas...n'est-ce pas...Une citation...oui...Jésus ne disait-il pas...comment dire...du pain, oui, du vin, oui...mais pas...non, pas ca..."Qui a bu boira"...non, pas ca..."Ceci est mon corps", aha, non, une image, tout au plus...rien de plus qu'une image, n'est-ce pas...Si tu manges trop gras, tu seras tel Bouddha...non, très peu pour moi...Rame à dents, pas de nourriture, car cher, pas manger le boeuf, ca vache sacrée, oui, je comprends, je ferai pénitence, pas de petit chocolat, merci, Carême, je...je ne vais pas vous retenir plus longtemps, je...je n'ai qu'une chose à ajouter...je...ce serait un bruit sourd...

Maupassy venait de s'affaler de tout son long, sous la hotte.

Von Broum (ce salaud, ce poivrot) le sala, le poivra.

Il déplia une belle serviette blanche et la passa autour du cou d'Eva.

F I N.

Non:

Un frais matin de printemps se levait sur Virton. Les derniers froids nocturnes s'évaporaient au-dessus du manoir encore plongé dans le silence, dont les toitures que le soleil n'avait pas encore touché étaient couvertes de rosée. Quelques femmes de chambre ouvraient déja les fenêtres. Sur le grand escalier de pierre bleue, quelques moineaux piaillaient. Au pied de l'escalier, Maupassy, affalé, vidait le contenu de son estomac sur le gazon. Plus loin, sur la prairie, les quelques invités encore doués de semi-conscience faisaient de même. Von Broum apparut sur le seuil, vêtu d'un caleçon américain, d'un cinglet et d'une robe de chambre ouverte. "Quelle mrrr..." arriva-t-il à articuler, la bouche pâteuse. Il ne se souvenait plus très bien ce qui était arrivé à la fin de la soirée. Il avait mal à la tête. Il trébucha sur Maupassy et s'étala dans les rejets corporels de celui-ci. "Brrrreuuh..." gémit Maupassy. "broups." Il sombra ensuite dans un profond coma éthylique. Plus loin, à l'intérieur du manoir, Eva, dans le même état, était allongée sur un canapé. Auvencelle lui appliquait des compresses froides sur le front. Ernesto dançait encore, à côté du baffle, au son d'un cd de Supertramp griffé, une bouteille de bière chaude à la main. L'intérieur du manoir ressemblait à Louvain-la-Neuve le lendemain des 24 heures. Il régnait un odeur composée d'un mélange de bière et de vomi.

Plus tard dans la journée, alors que le personnel nettoyait les parquets au jet d'eau et que, un par un, les invités émergeaient et s'en allaient chacun de son côté, Maupassy reprit conscience. Von Broum était toujours endormi à ses côtés. "Eh!" le cogna-t-il dans les côtes. "Hrrrrein? que..." Il se leva aussi. "Quelle biture..." "Tu l'as dit." "T'as une clope?" "Ouais"

Ils fumèrent en silence durant un moment.

"De quoi on parlait encore, avant?"

"Je ne me souviens pas..."

"Moi non plus."

Ils fumèrent encore.

"Il reste du cognac 12 ans d'âge?"

FIN

Non:

Comme si elle comptait participer à la fête, la Nuit s'était elle aussi drapée dans une longue robe obscure, dont les scintillements reluisaient comme des éclats métalliques jetés haut dans le ciel. Sur l'allée qui menait au château, elle contempla gaiement le remue-ménage qui s'installait. Elle aussi, elle aurait enfin droit à quelques scènes.

Des phares, d'abord, teintés de rouge, de bleu, qui jetaient leurs flammes colorées sur les jardins ardennais. Puis le bruit des pas sur le gravier. Prm prm prm. Comme ceci. Ils ne troublaient pas encore le murmure de la fête qui bouillonnait au loin.

On frappa à la porte. Qui s'ouvrit. Grand. Et une silhouette féminine s'introduisit dans son antre. Sur son passage, telle une vague électrique qui se répandait de proche en proche, toutes les particules de choses semblaient prendre conscience du futur. On savait immédiatement, si l'on était suffisamment attentif pour l'observer, ce qui allait se passer. Et derrière elle, venait la confirmation. Oui, c'était bien cela qu'avaient soufflé les petits doigts.

Devant la porte du grand hall, elle s'arrêta, la main sur le bois lourd du chambranle - comme si elle attendait le bon moment de faire son entrée. La silhouette, déguisée en pénombre, jeta un oeil derrière elle, et inclina la tête. Sa montre lui indiqua qu'il manquait 30 secondes. Elle devrait se montrer patiente.

15 secondes.

Go!

La porte s'ouvrit sous le fracas du bélier, et leur présence se métamorphosa dans la pièce telle une vague de sulphure. Dans la cacophonie des portes-voix.

"Police!" "On ne bouge plus!" "Toi là-bas, les mains dans le dos!" "Oui toi, le petit malin!" "Passe-moi les menottes, Maurice!" "J'en tiens un, chef!"

Bientôt, ils étaient les maîtres de la place. Encerclés, les convives jetaient des yeux au ciel, implorant la bonne grâce de leur dernier espoir. Alors, elle s'approcha, invincible.

"Où est-tu passé, Jean-Luc Van De Klurk?" Lança-t-elle. "Je m'appelle Von Broum !" Lui répondit-on dans l'assemblée, qui se fendit immédiatement pour laisser le passage à l'échange verbal.

"Jean-Luc Van De Klurk, dit le Baron Von Broum, vous êtes en état d'arrestation pour association de malfaiteurs, tentative de coup d'Etat et pour divers autres griefs envers l'Etat Belge." "Maudite Scarlette, j'aurais du vous tuer dès que j'en avais l'occasion." "Cela n'aurait que précipité la fin de votre petite manigence, Van De Klurk. Dès que Bruxelles a eu vent de votre petite rébellion, elle m'a envoyé régler la situation."

Maupassy s'imisca.

"Mais qui êtes-vous donc?" Fit-il à Von Broum. "C'est un fou", répondit Auvencelle. "Un gros propriétaire terrien qui a perdu la boule et s'est imaginé qu'il dominait un Empire."

"C'est vrai", dit un invité dans la foule. "Je lui écrivait des lettres en signant Napoléon". "Oui", confirma un autre. "Et moi, le Tsar Alexandre".

Von Broum, quant à lui, avait la mine déconfite. Il avait pris 20 ans en 5 minutes. Et tandis qu'on lui passait les menottes dans le dos sans lui réciter les droits qu'il n'avait plus, il chercha Eva du regard. Absente. La jeune femme avait disparu.

Dans le couloir, il cria. "EVA" Et un policier lui frappa le sommet du crâne. "Ta gueule, avance." "Vous n'avez pas le droit", essaya-t-il, en vain. On l'emmenait déjà. Dans l'allée, à la place des deux massifs de tulipes qu'il avait reçues de son bon ami Guillaume d'Orange, il y avait un combi de police, dont la marque des roues avait ruiné 10 années de gazon anglais

  • un don de sa Majesté la Reine.

Il se retourna encore une fois sur son domaine, et observa la foule qui avait été réunie en file indienne sur le perron, pour une vérification des identités. "EVA" cria-t-il encore. Et l'on referma la porte.

FIN

"Etrange" fit Maupassy. "Comme il semblait appeler quelqu'un". "J'ai remarqué aussi", lui répondit Auvencelle. "On rentre, grand-mère?" "J'ai perdu mon châle", soupira-t-elle.

Non :

Le mer était calme à présent.. Les rouleaux des vagues aux reflets de pétroles parvenait à peine à soulever "l'asphalte", cette couche de bitume liquide qui stagnait à présent sur toutes les côtes de la Terre..

Maupassy, chaudement installé sur son rocking-chair, abrité des embrunts cancérigènes par une couverture en duffel-coat industriel, fixait l'horizon d'un oeil torve. Plus rien, depuis maintenant dix-sept longues années, n'arrivait à le dérider comme autrefois. De gentleman-dandy, il s'était transformé en vieux sac d'os arthritique..

Maupassy, une larme suintant de son oeil gauche, se souvenait des derniers instants de son Aventure. Ce drame, qui lui avait enlevé ses raisons de vivre, Eva, Ernesto, Auvencelle, son estomac, les boulettes au brouet.. Tout cela avait disparu, pfuit!, envolés, Eva-porés...

Comment tout cela avait-il bien pu finir... Maupassy se souvenait du manoir, du bal qui devait justement, du moins dans son esprit, célebrer les noces du jambon et de l'esprit. Mais tout cela avait pris le destin entre les dents, tout cela avait arraché au cours céleste des choses leurs propres voies...

Eva, dans sa robe de soirée en thulle, Eva qui ne le regardait déjà plus, frêle enfant... Alors que tous dans le manoir savaient, lui, Maupassy, le célèbre, n'y avait vu que du feu.. Auvencelle avait remarqué le désarroi dans les prunelles sans vie de Maupassy. Elle avait ri. Un rire fort, gras, tonitruant, auquel avaient répondus tous les convives. Et Von Broum l'inique, lui avait jeté ce pavé dans la mare, éclaboussant son smoking vert-de-gris et élimé.. La honte! Cette honte terrible! Elle-même qui l'avait forcé à se replier dans sa villa du bord de mer, cette mer qu'on appelait maintenant "la mer de" , sans aller plus loin dans la localisation géographique puisque plus personne ne songeait à s'y rendre, et encore moins à s'y baigner, sauf quelques rares déspespérés... Maupassy regardait les mouettes grisâtres sur les digues de téflobéton.. Plus rien n'était à présent... Maupassy mourait à petit feu sans avoir jamais compris le fin mot de l'histoire.. Etait-il un pitre? un faire-valoir? un éternel mari? Quel avait été son rôle dans ce scandale? Il ne se rappelait plus très bien comment tout cela avait débuté, et encore moins comment tout cela avait fini.. Il se rappelait d'une seule chose, le sourire d'Eva devant son plat de carbonades, l'été dernier à Baden-Baden, lors de leurs quinze ans. Tout était si simple, si facile..

La cloche du distributeur de pilules sonna légèrement lorsqu'une légère brise fraiche fît voleter les pans de la couverture.. Les pensionnaires étaient attendus pour la distribution quotidienne. Maupassy essaya de se lever, péniblement.. Ses ossements séculaires ne pouvaient plus lui obéir.. Il retomba dans son fauteuil, vaincu.. Sa main se leva péniblement, s'agitant fébrilement comme pour peindre un improbable Van Gogh sur l'horizon maritime.. Une dernière toile..

Son bras retomba sur sa jambe gauche et il s'affaissa lentement.. Losque Maupassy confia son dernier souffle au Créateur, le soleil rougoyait, comme une entrecôte bien saignante, un souvenir, une futilité...

A coté de lui, sur le guéridon, une pilule vitaminée B-D-Oméga3 verte, un verre d'eau, et une petite cuillère...

FIN

Non jeune homme, ce n'est pas drôle :noel:

wszééééééééé

Et, tandis que Maupassy filait ventre à terre dans les sous-bois néerlandais, Eva, depuis une haute colline, contemplait l'ultime bataille qui devait marquer l'achèvement de la conquête du monde entreprise quinze ans plus tôt par son mari, Mr Bovaran. Elle se rappelait les débuts de cette enteprise ardue et hardie (comme Laurel... ha,ha,ha), qui avait commencé par la fabrication clandestine de coktails Molotovs dans les garages Maupassy (tiens au fait qu'est-ce qu'il devient celui-la?). Son mari (paix à son âme d'andouille) avait acheté 200 mercenaires, des faux sabres lasers made in taiwan, des flash-ball, des répliques d'Excalibur en inox et avait engagé des tireurs d'élites. Et aussi des tanks, des tricycles tous terrains pour ses soldats. Il avait alors lancé une guérilla officielle contre tous les pays du monde. Basé en Normandie et dans les maquis corses, lui et son lieutenant Maupassy avaient défié les superpuissances mondiales. Grâce à un réseau bien structuré et l'infiltration de plusieurs gouvernements, ils avaient conquis presque toute l'Europe, toute l'Amérique du Sud, la majeure partie de l'Asie et la moitié des EUA. Et aussi le Groenland, ainsi que quelques îles du Pacifique. Seules l'Australie et la Belgique leur posaient encore de véritables problèmes. Et Mr Bovaran était subitement mort d'une indigestion doublée d'une crise de foie. Enfin! Mme Bovaran avait le POUVOIR! Elle s'était autoproclamée chef du monde et personne (sauf Maupassy, ce sale dandy impassible et outrageusement mécano sur les bords et pas que...) n'avait protesté. Elle l'ignorait, mais c'était à cause de toutes les opérations chirurgicales que feu Bovaran lui avait payé et qui avaient fait d'elle un super canon méga people appréciée de tous (mais pas de toutes). Sa cote de popularité n'avait baissé que lorsque le silicone des ses hum avait explosé lors d'un voyage en avion à cause du changement de pression atmosphérique. Elle avait égorgé le chirurgien. A la petite cuillère. Auvencelle n'avait pas apprécié, d'ailleurs, mais elle s'en fichait. Bref, depuis qu'elle avait mis en fuite Maupassy, son principal ennemi était Von Broum, le général belge. Son armée affrontait la sienne en se moment. 500000 soldats Bovarois contre 12000 soldats belges. Les Belges étant gavés d'une potion magique à base de frites, il se battaient très bien. Mais pas suffisamment bien pour compenser leur lourd désavantage numérique, songea Eva avec un rictus sardonique. Gniark gniark. Un bruit insolite la fit revenir à la réalité. OH NON! c'était du rock. Elle avait oublié que John John Hallydoo s'était allié aux Belges (à cause d'histoires pas claires de nationalité et d'avantages fiscaux) et boostait les soldats de Von Broum avec des envolées lyriques que seuls les Belges pouvaient comprendre. C'était mal barré. Une balle perdue l'atteignit en pleine tempe. Boum. Fini. Avant de trépasser, elle eut le temps d'apercevoir le visage exultant de Von Broum. Eva se réveilla en sursaut. Maupassy (charmant garçon, songea-t-elle) se tenait penché sur elle. A poil. Eva rougit. -Gneu? fit-elle. Elle était pleine de larmes. -Arrêtez, vous allez inonder le palais.

Dehors, les oiseaux chantaient, indifférents à cette folle qui avait hurlé "Von Broum, je t'aurais" dans son sommeil.

FIN

le petit cornichon avec son pot de yaourt sur le crâne sautillait en gémissant: -je suis Belge, je suis Belge! Ce furent ses derniers mots. La tapette à mouche tenue par Von Broum l'atteignit en pleine tronche. D'un seul coup, il fut mort.